Retrouvez les autres épisodes de Talleyrand intime à Valençay :
- Talleyrand intime à Valençay (partie 1) : la vie quotidienne au château
- Talleyrand intime à Valençay (partie 3) : santé et hygiène de vie du prince
- Talleyrand intime à Valençay (partie 4) : le prince et son domaine
- Talleyrand intime à Valençay (partie 5) : les femmes de sa vie
La table d'un grand diplomate
La table du plus célèbre des diplomates, ministre de Napoléon Ier, Charles Maurice de Talleyrand ?
Elle est célèbre dans toute l’Europe !
Les réceptions diplomatiques qu’il organise, à Paris ou à Valençay, sont grandioses : sa cuisine est tout simplement... « la meilleure du monde. »
Oh, grâce notamment à son cuisinier, le grand Antonin Carême, qui le sert 12 ans durant, avant de travailler pour la duchesse de Berry, le prince de Galles ou le tsar Alexandre Ier...
Carême a-t-il travaillé pour Talleyrand à Valençay ? Aucune source ne le montre, mais ce n’est pas impossible !
Au château berrichon ont travaillé d’autres grands cuisiniers comme Boucher (dit Boucheseiche), Riquette, Savard, Chevalier et Louis Ebralt.
Sorbetière et four viennois
Entrons dans le vif du sujet : les cuisines du château de Valençay !
Dès 1815, la duchesse de Dino, nièce par alliance et compagne de Talleyrand, fait venir un « four viennois » de la capitale autrichienne, idéal pour la cuisson des pâtisseries.
Un four toujours en état de marche !
Ici, on a l’eau courante, des fours à pain, un tourne-broche, des bassines à confitures… même une sorbetière et un moulin à glace : pratique, le parc du château disposant d’une glacière !
Dans une lettre de 1827 de Talleyrand à son intendant, on le voit justement se soucier des provisions de glace :
« Le temps paraît se remettre à la gelée, et j’espère que vous en avez profité pour remplir les glacières. »
Un inventaire de juin 1816 mentionne l’incroyable équipement de la cuisine :
- 80 « casseroles rondes » ;
- 10 « casseroles à sauter » ;
- 5 poissonnières, une turbotière ;
- 9 « marmites de différentes rondeurs »…
Sans oublier le personnel, comptant 4 chefs, un rôtisseur, un saucier, un pâtissier… dont un spécial pièces montées, glaces et confitures !
Chez Talleyrand, on dîne « à la française », avec un menu composé de trois services :
- le premier à base de potages, entrées ;
- le deuxième de viandes rôties, de poissons, d’entremets et de légumes ;
- enfin, le dessert, avec fromages, fruits, compotes, glaces et sorbets.
Le château de Valençay est réputé pour sa cave... et son incroyable moka !
Que mange Talleyrand ?
Après trois tasses de camomille le matin, Talleyrand ne prend qu’un seul repas le midi, « large et copieux, autant que délicat », rapporte Sainte-Beuve.
Son fromage préféré ? Le Brie ! « C’est pour moi le roi des fromages », dit-il.
« La seule royauté à laquelle il soit resté fidèle », écrira Eugène Sue !
Autrement, Talleyrand mange du potage, du poisson,
« une entrée de boucherie qui était presque toujours une noix de veau (ou des côtelettes de mouton braisées ou un peu de poulet) ou de la poularde au consommé. Ses entremets habituels étaient les épinards ou les cardons, les œufs ou les légumes de primeur, et en entremets de sucreries les pommes ou poires gratinées. Un autre jour, un peu de crème de café. Il ne buvait que d’excellent vin de Bordeaux, légèrement trempé d’eau, un peu de xérès. »
Quand ce n’est pas le xérès, c’est le vin de Madère ou de Malaga, dont il raffole, et qu’il commande « très sec, le moins liquoreux possible. »
Une cuisine inventive et moderne !
Chaque matin, Talleyrand passe une heure dans la cuisine de Valençay.
Il prend « des nouvelles de chacun, lutinant les servantes et s’enquérant auprès des laquais de ce qu’ils avaient entendu dire des invités de la veille. »
Carême rapporte que Talleyrand a de grandes connaissances en cuisine !
C’est d’ailleurs lui qui le pousse, à Valençay, à travailler des produits frais, de saison : ce qui a un coût, mais qui représente une grande nouveauté, à l’époque.
Il l’incite aussi à inventer une cuisine plus légère, raffinée, bref, les bases de la gastronomie moderne.
Un jour, Talleyrand impose même à Carême le défi de réaliser les menus d’une année entière, sans jamais proposer deux repas identiques !
La salle à manger de Valençay
Le château de Valençay conserve sa belle salle à manger, avec sa table en acajou, prévue pour 36 invités.
À voir aussi ses « consoles rafraîchissantes » en marbre et sa statue d’Hébé, divinité grecque de la jeunesse.
On y voit également la table à trancher en métal argenté, de la maison Ravinet-Denfert : sous la cloche, la viande se conservait au chaud.
On versait de l’eau bouillante dans la double paroi, et, sur le dessus, on encastrait une plaque d’étain, sur laquelle on venait découper la viande.
Talleyrand lui-même découpe ladite viande ; il s’adresse alors à ses convives avec « une échelle descendante » :
― Monsieur le duc, Votre Grâce me fera-t-elle l’honneur d’accepter de ce bœuf ?
― Monsieur le prince, aurai-je l’honneur de vous envoyer du bœuf ?
― Monsieur le marquis, accordez-moi l’honneur de vous offrir du bœuf.
― Monsieur le comte, aurai-je le plaisir de vous envoyer du bœuf ?
― Monsieur le baron, voulez-vous du bœuf ?
Puis, quand venait le tour du môssieur lambda, il demandait :
― Bœuf ?
Sources
- Des collections remarquables. Château de Valençay, chateau-valencay.fr.
- Bernard de Lacombe. La vie privée de Talleyrand. 1910.
- Panneaux informatifs affichés dans le château.
- Marie-Pierre Rey. Le premier des chefs. Flammarion, 2021.
- Anne Gerardot. À la table du château de Valencay. P.U. François Rabelais, 2021.
- André Hallays. En flânant... Touraine, Anjou et Maine. 1925.
- Michel de Decker. Talleyrand, les beautés du diable. Belfond, 2010.