Une petite histoire du château de Montargis : le bastion protestant de Renée de Ferrare
La plus célèbre propriétaire du château, fille d'un roi de France, italienne par mariage, a fait de Montargis une enclave protestante, pour des coreligionnaires persécutés.
Qui est Renée de France (Ferrare) ?
- C’est la fille du roi de France Louis XII et d’Anne de Bretagne, née à Blois le 25 octobre 1510. Elle a 3 ans, à la mort de sa mère, 5 à celle de son père, 14 lorsque sa sœur la reine Claude, épouse de François Ier, meurt à son tour.
- Elle est la tante du roi de France Henri II et la grande tante des rois François II, Charles IX et Henri III !
- Avant d’épouser Hercule de Ferrare, Renée avait été fiancée de nombreuses fois : notamment à Henry VIII d'Angleterre et au futur empereur Charles Quint. Tous ces projets sont finalement annulés, pour raison politique !
- Son gendre est un catholique extrémiste : le duc de Guise, responsable du massacre de Wassy. Il avait épousé sa fille Anne d'Este… le petit-fils de Renée est donc le duc Henri Ier de Guise, le célèbre Balafré !
Une éducation soignée en France
La petite Renée, très tôt orpheline de père et de mère, est prise en charge par Louise de Savoie. La mère de François Ier lui donne une éducation soignée (histoire, mathématiques, philosophie), aux côtés notamment de la future reine de Navarre Marguerite d'Angoulême, dans un cercle érudit et humaniste.
De par son éducation très stricte et religieuse dispensée par Louise de Savoie, Renée est catholique. Supposée ! Car on commence à voir fleurir les idées d’un certain Luther... des idées qui la séduisent.
Un mariage avec un prince italien
Renée a 18 ans, quand elle épouse Hercule II d'Este, le fils de la mythique Lucrèce Borgia, petit-fils du sulfureux pape Alexandre VI, héritier du duché italien de Ferrare. Elle lui a dit oui, en juin 1528, à Paris, en la Sainte-Chapelle.
Dès le lendemain, tous deux prennent le chemin de Ferrare, en Italie. Une nouvelle vie qui commence ! Une nouvelle vie sombre et malheureuse.
Renée la Française en Italie
Renée se sent rapidement seule. La nostalgie de la France la prend-elle, certains soirs ? Elle ne la reverra pourtant que 32 ans plus tard.
C’est en son palais de Ferrare, qu’elle reçoit ceux qui doivent fuir la France, théologiens et poètes protestants persécutés à cause de leur foi :
- Clément Marot, d’abord, le poète un peu trop sulfureux qui critique le pape, qu’elle nomme son secrétaire ;
- Calvin, qui trouve asile à Ferrare en 1536, et devient le directeur de conscience de Renée. Elle entretiendra avec lui une abondante correspondance, jusqu’à sa mort en 1564.
Blasphématrice et hérétique !
Renée ne se convertira jamais au protestantisme, mais vivra selon les principes de la religion réformée. Ce qui signifiait tout de même rompre à moitié, avec l’Église catholique…
Ajoutez à cela qu’elle accueille des « coreligionnaires » chez elle, et que, oh, sacrilège, on murmure qu’elle n'allait plus à la messe et ne se confessait plus… De pire en pire, elle prend parti, défend un chantre (avec succès) arrêté pour blasphèmes, pendant la messe...
Trop, c’est trop ! Inquiète, Rome fait envoyer les filles de Renée dans un couvent, l’accuse d'hérésie et la condamne à la prison et la confiscation de tous ses biens, en septembre 1555. Elle, la fille du roi de France ! Mais ce n’est pas tout ! Il y a… l’ombre du mari, Hercule d'Este.
Plier l'échine face à Hercule d'Este
Ce n’est pas un mariage heureux. Le duc de Ferrare a fini par prendre ombrage des libertés prises par Renée. Il s’en plaint ouvertement au neveu de Renée, le roi de France, Henri II, allant jusqu’à prétendre qu’elle a frappé ses propres filles, pour les empêcher de pratiquer la religion catholique !
Hercule bannit tous ceux accueillis par son épouse. Marot inclus, qui écrit à Marguerite de Navarre (elle aussi convertie) les malheurs rencontrés par sa parente Renée :
« Ah ! Marguerite, écoute la souffrance Du noble cœur de Renée de France, Puis, comme sœur, plus fort que d’espérance, Console-là. »
Renée préfère plier. Courber l’échine, face à un mari avec qui elle était en guerre depuis pratiquement le début. Elle se repent. Afin que l’on finisse par la libérer. Que les disputes cessent !
Le retour de Renée de Ferrare en France, à Montargis
À la mort d’Hercule, en 1559, leur fils, qui grognait « qu'il aimerait mieux vivre avec des pestiférés qu'avec des huguenots », préfère envoyer Renée vivre en France.
La voilà qui revient après 32 années en Italie. Alors, quand elle pénètre dans ce château de Montargis glacial, médiéval, sinistre, mal entretenu, elle lance de grands travaux, afin de pouvoir y vivre confortablement.
Pourquoi Montargis ? C’est une terre qu'elle a reçue en compensation de la perte de ses droits sur la Bretagne, donnée par son beau-frère François Ier comme dot, lors de son mariage avec Hercule.
Simple donjon sous Clovis, la forteresse passe aux rois de France sous Philippe Auguste : au 14e siècle, Charles V le fait reconstruire par Raymond du Temple, l’architecte des châteaux du Louvre et de Vincennes.
Renée va le transformer en merveille Renaissance, avec le concours de l’architecte Androuet du Cerceau : un joyau dont il ne reste malheureusement plus rien, aujourd’hui.
L'enclave protestante de Renée, à Montargis
À Montargis, Renée accueille les protestants fuyant les premières tueries et persécutions, mais pas que : elle aide « de remèdes et d’argent » « 10000 âmes de pauvres Français. »
En 1562, une émeute éclate à Montargis. Les protestants, sous l’autorité de Renée, veulent établir un prêche, dans l’église de la ville. Les catholiques n’apprécient pas du tout : il y a des morts, et les protestants réfugiés dans le château se font assiéger.
Une autre fois, Renée veut empiéter sur le cimetière de la ville pour agrandir ses jardins, les ouvriers soutenus par les protestants. Renée leur ouvre la porte de son château. Même le petit Agrippa d’Aubigné, alors en fuite, trouve un moment refuge ici ! Le gendre de Renée, le duc de Guise, envoie même des hommes, assiéger le château. Renée, du haut d’une tour, résiste... le siège est levé.
À Montargis, rebelote : le Parlement de Paris lui intente un procès pour hérésie, l’accusant de rébellion !
Une tombe discrète à Montargis
Invitée au mariage d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois à Paris, Renée échappe au massacre de la saint Barthélémy et regagne Montargis, au milieu d’un val de Loire ensanglanté par les massacres des guerres de Religion.
Renée de Ferrare, fille d’un roi de France et d'une duchesse bretonne, épouse italienne, meurt dans son château de Montargis vers 3 h du matin, le 15 juin 1575. Sans avoir une seule fois renié sa foi protestante.
Inhumée dans une tombe sans aucun signe distinctif (on ne sait où dans la ville), son cercueil est porté par 6 des plus pauvres habitants de Montargis...
Sources
- Louis Jarry. Renée de France à Montargis : épisode des guerres religieuses. 1868.
- Emmanuel Rodocanachi. Une protectrice de la réforme en Italie et en France : Renée de France. 1896.