Les gisants des Plantagenêts à l'abbaye de Fontevraud : les larmes d'Aliénor, le sang d'Henri II
Le Saint-Denis des Plantagenêts
L’abbaye angevine de Fontevraud est la nécropole des Plantagenêts. Les fondateurs de la dynastie ont été inhumés ici, entre 1189 et 1254.
Le premier comte d’Anjou Geoffroy V (surnommé Plantagenet) devient, avec son mariage avec la petite-fille de Guillaume le Conquérant, attaché aux rois d’Angleterre.
Son fils Henri II d’Angleterre fonde la dynastie royale anglaise des Plantagenets.
C’est l'épouse de ce dernier, Aliénor d’Aquitaine, qui fait de Fontevraud la nécropole des Plantagenêts. Oui, à l’instar de celle de Saint-Denis, pour les rois de France !
Aliénor et Henri deviennent de généreux donateurs et grands protecteurs de l'abbaye de Fontevraud.
Aliénor d'Aquitaine
Aliénor, la belle, la fine, la lettrée, héritière à la mort de son père, en 1130, du puissant duché d’Aquitaine...
Répudiée par le roi de France Louis VII, qu’elle avait épousée en 1137. Elle ne l’a jamais aimé.
Comment aurait-il pu, lui, le tout petit, l'insignifiant roi gringalet, trop jaloux de la fière et indépendante Aliénor ?
Elle épouse le roi d'Angleterre et duc de Normandie Henri II, en 1154.
Elle aura 8 enfants, dont ses préférés, Jean et Richard. Les futurs rois anglais.
Henri la trompe ? Blessée, elle envoie ses deux garçons faire la guerre à leur père.
Il l'enferme 15 ans en prison dans une abbaye anglaise...
Aliénor n'en sortira que pour voir Henri mourir.
Elle s'enferme à Fontevraud dès 1200, où elle meurt 4 ans plus tard à l'âge de 82 ans.
Les gisants de son mari et de son fils, c'est elle qui les fait faire peu avant sa mort, peut-être avec le sien, et décide de les faire inhumer à Fontevraud.
Richard, son fils préféré, meurt pendant le siège du château de Châlus d'une flèche dans l'épaule, en 1199.
C'est le drame de sa vie. Ils se retrouveront au cœur de l'abbaye de Fontevraud, dans un dernier sommeil...
Zoom sur les gisants de Fontevraud !
Seuls subsistent aujourd'hui les gisants d'Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II (13e siècle), de leur fils Richard Cœur-de-Lion, d'Isabelle d'Angoulême (l’épouse de leur fils Jean sans Terre, morte en 1246).
Henri II d'Angleterre
Henri II décède à Chinon, en 1189. Il est le tout premier de la famille à rejoindre Fontevraud, pour y être inhumé.
Henri II n'a pas connu une fin facile. Harcelé par ses fils Richard et Jean, ligués contre lui avec le roi de France, il se retire à Chinon.
Fatigué, il a dû rendre toutes ses villes (Le Mans, Tours) et signer le traité de Colombiers.
Puis, il tombe gravement malade : il meurt à 56 ans, à Chinon, en juillet 1189.
Lui voulait reposer à Grandmont, près de Limoges. Mais la chaleur étouffante de l’été empêche le voyage, de peur que le corps ne se décompose.
Il faut faire vite ! Ce sera Fontevraud, à une vingtaine de kilomètres seulement de Chinon.
Le détail qui tue !
Alors que le fils rebelle, Richard, s'approche de la dépouille de son paternel, le sang se met à couler du nez de celui-ci. Violemment, sans s'arrêter !
Il coulera tant que le fils n'aura pas quitté la salle...
Au Moyen Age, on croyait qu’en présence de son meurtrier supposé, le cadavre d’un homme assassiné se mettait à saigner, si culpabilité il y avait.
Richard Coeur-de-Lion
Richard vient rejoindre son père en 1199. Il meurt en 1199 pendant le siège du château de Châlus, en Limousin.
Son corps est embaumé, ses entrailles enterrées dans l’ancienne église castrale de Châlus, son cœur inhumé dans la cathédrale de Rouen.
On reconnaît Richard à son sceptre, sa tunique rouge et son manteau bleu ; même chose pour son père.
Tous deux portent la couronne, l'épée, les étriers et les gants : des symboles de la royauté.
Remarquez la plaque ronde sous les gants, au dos des mains des deux hommes : rappel que leurs mains ont été ointes pendant leur sacre !
Le détail qui tue !
L’épouse de Richard, Bérengère de Navarre, ne repose pas à Fontevraud à ses côtés !
Sa dernière demeure se trouve non loin du Mans, en l’abbaye de l’Epau, dans la Sarthe.
Aliénor d'Aquitaine
Aliénor, vêtue de son manteau bleu et de sa tunique grise, est l’avant-dernière de la famille à rejoindre l’abbaye, en 1204.
Remarquez son beau gisant, qui la représente vivante, allongée. Elle lit... mais les yeux fermés !
Est-ce pour indiquer que la reine a commandé son tombeau de son vivant, écrit Alain Erlande-Brandeburg dans son livre Les rois à Fontevrault (1979) ?
Le détail qui tue !
Michel Melot indique, dans son Histoire de l'abbaye de Fontevraud, que le détail incroyable dans le gisant d'Aliénor, c'est ce livre ouvert.
Le premier connu en Europe dans ce style d'effigies funéraires !
« Sans doute un livre d'heures, signe de richesse et de piété, de la culture aussi dont on créditait Aliénor. Accessoire d'autant plus symbolique qu'elle le lit les yeux fermés... »
Jean sans Terre
Et Jean sans Terre, l’un des fils d’Aliénor et d’Henri, frère de Richard ? Pourquoi ne repose-t-il pas auprès des siens, à Fontevraud ?
Il succède à son frère Richard, sur le trône d’Angleterre.
Mais face à la soif de conquête du roi de France Philippe Auguste, il ne parvient pas à conserver entier l’empire familial et ses nombreux territoires : Philippe reprend l’Anjou en 1205.
Fontevraud perd alors son statut de nécropole dynastique : les rois anglais ne pouvaient plus être inhumés dans une terre étrangère.
Alors, à sa mort en 1216, Jean est inhumé outre Manche, dans la cathédrale de Worcester. Son cœur rejoindra plus tard Fontevraud.
Isabelle d'Angoulême
Isabelle, dernière épouse de Jean sans Terre, n'a pas été enterrée immédiatement avec les autres.
On la place toute seule dans la salle capitulaire, en 1246... pour l'inhumer en 1254 près des autres gisants.
Son effigie, à la différence des autres, est en bois !
Âmes perdues
Les autres gisants de Fontevraud ont été détruits à la Révolution.
On avait entre autres :
- Jeanne d'Angleterre (reine de Sicile, sœur de Richard, morte en 1199) et son fils Raymond VII de Toulouse (mort en 1245) ;
- Henri III d'Angleterre ;
- le cœur de la fille de Richard, Béatrice...
Des siècles après, on a inhumé des personnes complètement étrangères aux Plantagenêts, comme l’une des filles de Louis XV, morte toute jeune en 1744 : Marie-Thérèse-Félicité.
Elle et trois de ses sœurs avaient été élevées à l’abbaye de Fontevraud. Mais ça... c'est une autre histoire !
Sources
- Michel Melot. Histoire de l'abbaye de Fontevraud. CNRS Éditions, 2022.
- Louis Courajod. Les sépultures des Plantagenets à Fontevrault. 1867.
- Alain Erlande-Brandenburg. Le gisant d’Isabelle d’Angoulême. In Civilisation Médiévale. 1999.
- Article Les gisants de Fontevraud. In Bulletin historique et monumental de l'Anjou (tome 5). 1858.