Les cadettes du roi sur le départ... ou presque !
« Toujours grosse, toujours accoucher », soupirait Marie Leszczynska !
La reine et Louis XV donne en effet naissance à 10 enfants, en 10 ans, entre 1727 et 1737.
Dont 8 filles. Mesdames, comme on les appelle ! Quatre d’entre elles quittent Versailles pour Fontevraud : les cadettes.
Il s’agit de :
- Sophie, 4 ans ;
- Victoire, 5 ans ;
- Thérèse Félicité, 2 ans ;
- Louise-Marie, 1 an.
Au début, il est prévu d’en envoyer cinq à Fontevraud.
Mais au dernier moment, Adélaïde court voir son père, se met à genoux devant lui en pleurant. Elle ne veut pas le quitter, non, non et NON !
Touché dans son cœur de père, Louis promet que Mlle Torchon, comme il aimera à surnommer Adélaïde affectueusement, ne partira pas...
Les raisons de leur venue à Fontevraud
C’est le cardinal de Fleury qui trouve, à la mi-avril 1738, que l’entretien de Mesdames coûte un bras.
Les « filles de France, actuellement au nombre de 7, embarrassaient le château de Versailles et causent de la dépense », écrit Barbier dans son Journal anecdotique !
On a donc là une raison purement économique, qui conduit le roi à envoyer ses filles cadettes dans une lointaine abbaye de province.
Mais c’est aussi pour les éloigner de « l’air vicié » de Versailles (dixit Mme Campan)... c’est-à-dire, des frasques du roi leur père, et de ses nombreuses conquêtes !
L'arrivée à l'abbaye
Il faut 13 jours de voyage pour rejoindre cette abbaye située entre Poitou et Anjou.
Un gigantesque convoi accompagne les petites filles. 20 fourgons transportent malles, meubles et linges.
Dans le carrosse à huit chevaux, les deux plus petites sont assises sur les genoux de la sous-gouvernante, Mme de La Lande, et ceux d’une femme de chambre.
L’abbesse les attend « en habit blanc », pour « ne pas point présenter à Mesdames un appareil qui aurait pu les effrayer. »
Les religieuses, de peur aussi que leur nombre n’effraie les petites, assistent, curieuses, à leur arrivée depuis les fenêtres de l’abbaye.
Les fillettes, voyant qu’on les regardait, « mirent la tête à la portière pour faire le salut, en portant leurs petites mains à leur bouche. » Puis, elles descendent du carrosse.
Un dîner pour 230 personnes est servi dans le réfectoire de l’abbaye : on y boit du « caffé ».
Ensuite, la fête continue avec des feux d’artifices : 200 fusées sont tirées au-dessus de l’abbaye !
La vie quotidienne à Fontevraud
À la tête de l’abbaye, on trouve la nièce de la célèbre Mme de Montespan, Louise François de Rochechouart, puis Mme de Saint-Hérem.
Ces deux femmes deviennent des mères adoptives, pour les princesses : elles les appellent d’ailleurs tendrement « maman abbesse » !
Écriture et calcul
On ne sait pas grand-chose du quotidien de Mesdames à Fontevraud.
Les journées se passent entre travail et prières, dans le silence.
Mme Campan écrira dans ses Mémoires que l'éducation des petites a été négligée : Louise lui aurait un jour confié qu’elle n’avait appris à lire couramment que depuis son retour à Versailles !
Ce qui est faux ! Les sœurs leur apprennent l’histoire, la géographie, les bases de la lecture, l’écriture et le calcul, avec un brin de dessin et de musique.
Promenades en calèche !
Quid des loisirs ?
Un jour d’août 1747, leur père leur fait envoyer des équipages « dignes d’elles », pour les promenades autour de l’abbaye.
Deux carrosses, deux attelages, plusieurs ânesses, des chevaux... soit 30 bêtes, et 14 personnes en tout !
On a du mal à loger personnel et animaux, mais mis à part cela, les promenades à cheval ont été les distractions favorites des filles, pendant leur long séjour !
Une bonne leçon de vie
Les religieuses de Fontevraud vont apprendre aux princesses l’humilité, à mettre de côté leur arrogance.
Parfait pour Victoire, qui « était accoutumée à une espèce de supériorité et à être très peu contrainte sur ce qu’elle désirait », raconte le duc de Luynes !
Idem pour Louise, très imbue d’elle-même.
Un jour à Fontevraud, l’abbesse demande aux femmes de service de s’asseoir, pendant que la petite fille boit. Ce qui va à l’encontre de l’étiquette !
« Debout, s’il vous plaît, Madame Louise boit » piaille l'enfant. Personne ne bouge...
« Je suis la fille de votre roi ! », glapit Louise.
Elle s’entend répondre d'une des sœurs : « Et moi, Madame, je suis la fille de votre Dieu ! »
Punitions et angoisses !
Mme Campan dira plus tard que les filles ont subi des brimades et des punitions disproportionnées, de la part des sœurs. En tous cas, maladroites.
Par exemple : Victoire, qui n’avait pas été sage, se retrouve enfermée seule dans un caveau.
Les angoisses dont elle souffrira toute sa vie d'adulte seraient dues « aux violentes frayeurs qu’elle éprouvait à Fontevraud toutes les fois qu’on l’envoyait par pénitence prier seule dans le caveau où l’on enterrait les religieuses. »
Même traumatisme, semble-t-il, pour la très timide Sophie, qui plus tard souffrira d'une peur panique du tonnerre, « attrapée » à l’abbaye !
Les portraits de Nattier
Le peintre Nattier reçoit de nombreuses commandes de la part de la famille royale, dès 1742.
Dont celle des portraits de Sophie, Louise et Victoire, alors à Fontevraud.
C’est Louis XV qui désire faire une surprise à son épouse, en lui offrant les portraits de leurs filles ! Leur tout premier, qui plus est.
Nattier est envoyé en secret à Fontevraud, en septembre 1747, pour peindre les princesses. Il achève les portraits en mars 1748.
Alors bien sûr, les petites sont vêtues de belles robes à paniers, elles portent perles et fleurs, leurs visages ont bonne mine...
Marie Leszczynska découvre les peintures à Fontainebleau. Surprise, elle écrit à une amie :
« Je ne puis assez me louer des attentions du roi. Il m’a surprise très agréablement, en me montrant les portraits de mes filles. Les deux aînées sont belles, mais je n’ai rien vu de plus agréable que la petite (Louise) : elle a la physionomie attendrissante et très éloignée de la tristesse. »
Le dur retour à Versailles
Victoire est la première à regagner Versailles, au printemps 1748.
On a conservé la lettre qu'elle adresse à ses deux sœurs restées à Fontevraud, pour raconter sa nouvelle vie au château :
« Mon papa m’a fait toutes sortes d’amitiés, et pendant que je lui baisais les mains, le dauphin s’est jeté à mon cou et m’a embrassée pendant un quart d’heure ! »
Avant d’ajouter :
« Si je t’avais, et ma pauvre Mimie, je serais trop contente. »
Les deux autres rentrent à l’automne 1750.
Le retour est brutal. Un contraste terrible avec Fontevraud !
Elles découvrent le luxe, les courbettes, l’étiquette, la superficialité et l’hypocrisie omniprésentes, là où à l’abbaye, on leur avait appris l’humilité, et à être tout sauf oisives.
Une sœur emportée par la maladie, l'autre devient religieuse
Oh… mais, attendez ! 3 sœurs sur 4 étaient rentrées de Fontevraud ! Félicité ne reviendra jamais à Versailles.
La petite de 8 ans avait à été prise de fièvre, le 24 septembre 1744.
3 jours plus tard seulement, elle agonisait. Elle succombe à la variole dans la grande abbaye le 28 septembre 1744, sans jamais avoir revu les siens.
Elle a été inhumée au milieu des sépultures des rois d’Angleterre Plantagenets : sa tombe n’a pas survécu aux saccages de la Révolution.
L’une des pensionnaires royales de Fontevraud, Louise, sortira considérablement marquée, par son passage à l’abbaye.
Elle se fera sœur chez les carmélites de Saint-Denis, en 1770 !
Sources
- Michel Melot. Histoire de l'abbaye de Fontevraud. CNRS Éditions, 2022.
- Cécile Berly. Les femmes de Louis XV. Perrin, 2018.
- Mathieu da Vinha, Raphaël Masson. Versailles : histoire, dictionnaire et anthologie. R. Laffont, 2015.
- Célestin Port. Notes et notices angevines. 1879.
- Michel Antoine. Louis XV. Fayard, 2014.
- Casimir Stryienski. Mesdames de France, filles de Louis XV, documents inédits. 1911.
- Abbé Édouard. Fontevrault et ses monuments. 1873.