Grosses bouffes, fiestas magnifiques qu'on ne referait plus aujourd'hui... les ducs de Bourgogne ne sont pas les derniers pour le faste et la démesure ! Pour en savoir plus sur les goûts de ces princes, leurs femmes (leurs maîtresses aussi), leurs travers et leurs folies, Anecdotrip vous a concocté ce dossier.
SOMMAIRE
1 - Les ducs de Bourgogne
2 - A la table des ducs
Les ducs de Bourgogne
La Bourgogne de l'époque ? Un véritable royaume en Europe ! Les ducs ? Les princes les plus puissants d'Occident !
Une dynastie pour qui la fête, le faste, l'ambition n'ont pas de prix...Mais qui sont-ils ? On les appelle les ducs Valois de Bourgogne car ce sont des princes issus de la famille royale de France, les Valois, qui règne depuis 1328.
Leur histoire commence en 1363 avec Philippe le Hardi, fils du roi de France Jean le Bon : il reçoit en apanage le duché de Bourgogne...
Dijon, c'est leur capitale, même s'ils n'y résident pas bien longtemps... Ils sont nés au palais ducal, se font enterrer dans la chartreuse de Champmol (sauf le Téméraire). A chaque fois qu'un nouveau duc arrive pour prendre possession de son duché, on organise les « Joyeuses entrées ».
Des fêtes somptueuses dont celle du Téméraire en 1474 comptent parmi les plus belles ! Le chroniqueur Olivier de La Marche rapporte dans ses Mémoires que ce jour-là, l'abbé de Sainte-Bénigne de Dijon donnait au duc de Bourgogne un anneau doré comme signe « d'épousailles » avec son duché !
Philippe le Hardi (1363-1404)
Mouché, l'Angliche !
Il a bien mérité son surnom de Hardi, celui-là ! Mais comment l'a-t-il reçu, déjà ?
Ah, oui : ça se passe à la bataille de Poitiers en 1356, face au Prince noir. Philippe a 15 ans. Il se bat avec son père, le roi de France Jean le Bon. Un roi blessé, en piteux état, qui a baissé sa garde ! Alors le fiston avertit son paternel des coups qu'il va se prendre : « Père ! Gardez-vous à droite ! Père ! Gardez-vous à gauche ! »
Durant la même bataille, ils sont faits prisonniers par l'ennemi. Philippe flanque une gifle à un sir anglais qui insulte et se moque du roi : « Desleal chevalier, dit-il, t'appartient-il de démentir si noble personne que le roi de France ?! » Mouché, l'Anglais ! Et Philippe entre en triomphe à Dijon en 1374...
Mon précieuuux
Le Hardi prend possession de son duché ! Brabant et Limbourg en 1430, Hainaut, Hollande et Frise en 1438, Luxembourg en 1451... La Bourgogne commence à prendre de l’ampleur et à empiéter sur le saint Empire germanique !
Les villes du Nord de l'Europe comptent parmi les plus riches et les plus puissantes d'Europe, à l'époque. Le duché ne fait que s'enrichir : on dit qu'il est plus riche que le roi de France !
Philippe devient alors le prince le plus puissant de l'Occident... Il fait venir les meilleurs artistes de Flandres pour lui construire son palais à Dijon et ce qu'il considère comme la nécropole de sa dynastie : la chartreuse de Champmol. Il fait aussi réaliser un tombeau somptueux... Il se marie en 1369 avec Marguerite de Flandre.
Une nouvelle occasion pour lui d'agrandir son territoire ! Il reçoit le comté de Bourgogne (actuelle Franche-Comté), l'Artois et la Flandre. L'Artois et la Flandre sont en royaume de France mais pas la Franche-Comté, territoire appartenant à l'Empire !
Il ne fera qu'agrandir ses terres, par héritage ou achat : on a les « pays de par-delà » (les Pays-Bas) et les « pays de par-deça » (la Bourgogne et la Franche-Comté).
Saphirs et plumes d'autruches
Côté débauche de luxe, le Hardi ne fait pas dans la dentelle : on le dit bel homme, aimant les fêtes, les beaux atours et les jolies femmes. On n'a jamais vu un homme, roi ou duc, aussi richement vêtu !
La France nationale ou histoire nationale des départements de France par Ducourneau raconte que des comptes de 1392 mentionnent un Philippe avec « un manteau de velours noir, les manches ornées de branches de rosier d'or, avec 442 feuilles et 22 roses aussi en or, 22 saphirs 22 rubis et 176 perles » et « un chapeau de velours cramoisi orné de 12 plumes d'autruche, 2 plumes de faisans, 2 plumes d'oiseaux des Indes », plus « une écharpe brodée de 25 gros balais, 23 gros saphirs, 22 feuilles de chêne en or avec 66 grosses perles... »
Sans oublier son gros collier doré flanqué d'un aigle et d'un lion avec la devise « En loyauté »...
Jean sans Peur (1404-1419)
Même pas peur !
Né en 1371 à Dijon. Il est malingre et pas bien beau, Jean, mais doté d'un caractère brave et ambitieux. Il part à la croisade de Nicopolis contre les Turcs (un échec). Puis, le voilà qui prend la succession de son père Philippe le Hardi. Bah, duc c'est bien...Mais il voudrait mieux, Jean : être roi de France !...
Pour ça, il prend parti contre son cousin Louis d'Orléans, son ennemi, le frère du roi dingue Charles VI. Il le fera assassiner en 1407 à Paris... dans son hôtel particulier, mais oui : Jean ne lui laisse aucune chance ! 20 de ses hommes de main lui tombent sur le râble et couic, l’assassinent.
Le roi pardonne et Jean peut regagner Paris. Mais la mort de Louis va déclencher une guerre civile entre 1411 et 1435 : Armagnacs VS Bourguignons !
Le pire de la crise vient en 1418, avec le massacre des Armagnacs... On massacre, on égorge à tour de bras. Puis le 11 septembre 1419, Jean se fait occire par les hommes du dauphin, le futur Charles VII... Na, Louis d'Orléans est vengé.
J'te fais la nique
Saviez-vous que Jean avait fait frapper de petites pièces de monnaies, les nicquètes ? Elles portent ce nom car elles devaient « faire la nique » au duc d'Orléans !
En représailles, le duc d'Orléans avait pris pour symbole un bâton noueux. Jean sans Peur riposte en prenant le rabot : ainsi la nicquète portait d'un côté le rabot plus 2 bâtons noueux et de l'autre les armes de Bourgogne... (vu dans Histoire populaire de Bourgogne).
Philippe le Bon (1419-1467)
Les ducs de Bourgogne, le retour : voilà maintenant celui qu'on surnomme le Bon, le fils unique de Jean sans Peur.
Pour se venger (et par esprit de contradiction, na), il va s'allier aux Anglais. Il signe même le traité de Troyes, qui dit qu'à la mort du roi de France, la couronne revient au roi d'Angleterre !
Blond hardi
Philippe se marie en 1430 avec Isabelle du Portugal. A l'occasion, il fonde l'ordre de la Toison d'Or. Késséssé, la Toison d'or ?
Un ordre qui prend pour racine la légende de Jason et des Argonautes, créé pour relancer la mode de la chevalerie, des croisades, pour fédérer tous les seigneurs autour du duc. A la base, on y compte 25 membres qui jurent de servir le grand maître : le duc.
Leur réunion se tient tous les 3 ans.Pour l'occasion, ils portent des vêtements magnifiques : une robe vermeille avec fourrure et bien sûr le collier...
Un collier qui porte le bélier d'or et des doubles fusils (« briquets » comme on dit à l'époque) séparés par une gerbe de flammes.
Bélier, avec un « B » comme Bourgogne... on dit aussi que les fusils représentés avaient la forme d'un « B »... première lettre de Bourgogne. L'ordre existe encore aujourd'hui !
Sur la Toison, on lit ceci dans La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne :
« L'anecdote conte que des cheveux demandés à 24 dames galantes de Philippe le Bon, un « lacs » d'amour fut tressé, mais que la mèche cédée par l'une d'elles, par Marie van Crombrugghe, était d'un blond hardi, et qu'elle suscita les plaisanteries des courtisans. C'est alors que serait née, dans l'esprit du duc, la délicate inspiration d’instituer un ordre de chevalerie à la gloire de la toison ridiculisée parce que dorée. »
Vraie anecdote ? Légende ? On ne sait pas mais l'histoire est jolie !
Y'a qu'un ch'veu
Philippe, qui renoue un peu avec le faste du Hardi, aime les femmes, le luxe et les fêtes. Après tout, il règne sur une des plus belles cours d'Europe ! On le voit souvent sobrement vêtu de noir, un chapeau sur le crâne. Chapeau qui sert de cache-misère ! Chut, ne le répétez pas, mais le duc n'a plus un poil sur le caillou... On lit dans
Curiosités historiques et littérairesque l'utilisation des perruques date du milieu du XVe s, dans l'Europe occidentale. On dit même que c'est Philippe le Bon qui a lancé cette mode !
« Une longue maladie lui ayant fait perdre tous ses cheveux, les médecins, redoutant pour lui la nudité absolue de la tête, lui conseillèrent d'avoir recours aux faux cheveux. A peine ce conseil fut-il suivi que 500 gentilshommes flamands, par politesse de courtisans, imitèrent le prince... »
Lubrique ?
Et les femmes, alors ? Il a pourtant pour devise « Autre n'aurait », qui paraît destinée à sa femme... mais collectionne une trentaine de maîtresses ! « Avait aussi en lui le vice de la chair, estoit durement lubrique et frêle en cet endroit », avoue Georges Chastellain dans ses Chroniques des ducs de Bourgogne... Ca, c'est dit !
Charles le Téméraire (1467-1477)
Chaud bouillant !
Le dernier des ducs de Bourgogne ! On a déjà brossé un portrait du duc au chapitre gastronomie : oui ! Car Charles a le droit à une spécialité culinaire, un gâteau franc-comtois appelé le Téméraire. Rien que ça ! Du Téméraire, on retiendra l'image d'un homme survolté, violent, guerrier, courageux. Un vrai chevalier !
Olivier de La Marche, son chroniquer dit :
« Bon compagnon était alors avec les filles, car il n'était point marié. Mais lui marié jamais rompit son mariage [...] Surtout il joutait très souvent, et à ce métier était renommé, non pas seulement comme un prince mais comme un chevalier dur, puissant et à douter. […] Il était chaud, actif et dépiteux... »
Mon gros diamant
Tout comme le Hardi aime les beaux atours et les grosses pierres précieuses qui brillent, le Téméraire possède le plus beau d'entre tous les bijoux : le Sancy ! Un énorme diamant qu'il s'est fait faire à Bruges et qu'il perd sur le champ de bataille de Morat en 1476.
Retrouvé, il passe de mains en mains jusqu’à tomber entre celles du sieur de Sancy... qui lui donne son nom. Il tombera ensuite chez les rois de France...
La légende dit en tout cas que le diamant du Téméraire est le premier diamant jamais taillé ... mais on a dit aussi la même chose pour le bijou que Jacques Cœur a offert à Agnès Sorel, non ?
Les moitiés des ducs
Et les duchesses, dans tout ça ? Les voilà qui arrivent :
Hardie aussi, la dame ?
La femme de Philippe le Hardi s’appelle Marguerite III de Flandres (ou Marguerite de Mâle). C'est à elle qu'il offre le château de Germolles, qu'elle fait entièrement réaménager à son goût.
Les 3 moitiés de Charles
Celles de Charles le Téméraire s'appellent Marguerite d'York, Catherine de France et Isabelle de Bourbon.
- Catherine de France, fille de Charles VII, a 12 ans et Charles 7 ans lors du mariage. Des gamins ! A-t-on pas idée de marier des gamins... Et attendez la meilleure ! La Littérature française à la cour des ducs de Bourgogne de Georges Doutrepont nous apprend que pour son mariage, la mère de Charles lui offre... un jeu d'échecs en bois et un chariot de cuivre ! Catherine meurt à l'âge de 17 ans, « sans consommation de mariage » nous dit La Marche. Michault Taillevent, poète de la cour des ducs, écrit en hommage un Lai sur la mort de Catherine de France...
- Isabelle de Bourbon, petite-fille de Jean sans Peur. Elle fait son entrée à Lille en 1455 : 2 ans après vient au monde Marie de Bourgogne, future femme de Maximilien d'Autriche...
- Voilà Marguerite d'York, surnommée la « duchesse Junon » : le mariage à Bruges en 1468 est resté dans les annales comme une des plus belles fêtes du temps ! C'est encore le chroniqueur Olivier de La Marche qui nous en donne la description dans ses Mémoires. Le clou du spectacle, ce sont ces deux géants flanqués d'une baleine, « la plus grande et la plus grosse qui fut jamais vue par nuls entremets ». Elle est si haute que « deux hommes à cheval ne se fussent point vus l'un l'autre aux côté d'elle ». Elle bouge ses nageoires et le corps entier ! De sa bouche sortent deux sirènes qui se mettent à chanter. Arrivent auprès d'elle « 12 chevaliers de mer ». Cet entremets a été le plus beau, dit La Marche, « car il y avait dedans plus de 40 personnes »...
N.B. : A la base, les entremets désignent les petits divertissements donnés entre chaque plat, « entre les mets ». Plus tard, l'entremets désignera un plat sucré comme salé...
Philippe et ses 3 dames
Les femmes de Philippe le Bon répondent aux noms d'Isabelle de Portugal, Michelle de Valois, Bonne d'Artois.
Isabelle de Portugal est très belle, intelligente et cultivée. Très pieuse aussi ! Les chroniqueurs racontent qu'elle allait souvent à la Chartreuse de Dijon. Dans sa cellule, elle confectionnait de petits pains au lait et des pâtés de poissons qu'elle donnait ensuite aux moines ! Tradition qu'on conserva après sa mort.
Chez les Chartreux de Dijon, on les appelait « pâté à la duchesse » et « pain au lait à la mode d’Isabelle » !Elle aussi a le droit à son poème hommage à sa mort, écrit par le poète breton Jean Meschinot : Petite et brève lamentation et complainte de la mort de Madame de Bourgogne.
Maîtresses en pagaille
Et qui dit duchesses dit maîtresses et enfants illégitimes ! Oh là là, on en a eu une tripotée, alors rassurez-vous, on ne va pas tous vous les faire !
La palme revient bien sûr à Philippe le Bon : ce grand séducteur a une quantité phénoménale de maîtresses et donc, plein d'enfants illégitimes, dont :
- Cornille, « le grand bâtard de Bourgogne »
- David de Bourgogne évêque de Thérouanne
- Raphaël de Bourgogne surnommé Mercatel (nom de sa mère)
- Jean de Bourgogne prévôt d'Aire
- Antoine dit aussi le « grand bâtard de Bourgogne » dont la mère s'appelle Jeanne de Trelle
- Baudoin, seigneur de Falais, dont la mère s'appelle Catherine de Tiesferies...
A la table des ducs
A boire !
Les ducs s'y connaissaient en matière de grande bouffe ! Festins, banquets, appelez-les comme vous voulez : on savait recevoir...
Déjà, pas de bon repas sans vins : les ducs de Bourgogne se nomment eux-mêmes « princes des bons vins » ou « princes des meilleurs vins de la chrétienté, à cause de leur bon pays de Bourgogne, plus famé que tout autre en croît de bon vin » ! Ils offrent leur nectar aux rois : même Charles le Téméraire en offre à Louis XI... son ennemi juré !
Poudre d'or et nonnettes
Et les plats, alors... une évocation à s'en lécher les babines !
Dans Dijon ancien et moderne de Charles Hippolyte Maillard de Chambure, on lit le menu suivant servi en novembre 1385 : vins de Pomard, faisans « à la poudre d'or », « pâtés de groseilles, tartelettes et confitures de poivre, anis et aulx confits, orge pilé, épinards au sucre rousset, pots de gingembres verts, coignardes, confires de cerises, verjus de pommes au girofle... »
Aujourd'hui, les spécialités bourguignonnes ne manquent pas : fromages et vins, jambon persillé, œuf en meurette, moutarde de Dijon, nonnette, escargot, douceurs en tout genre comme anis de Flavigny, cassissine, négus et jacqueline...