Paoli | ©Rijksmuseum / CC0Rendez-vous à Morosaglia, dans la maison natale de Pascal Paoli, pour évoquer l'histoire du héros de la république corse indépendante.
Pour tout savoir de sa vie passionnante !
1 - 5 avril 1725 : sa naissance
Ce petit-fils de meuniers, fils de paysans s’appelle Pasquale (Pascal) parce qu’il est né le vendredi 6 avril, à Morosaglia.
Le premier vendredi après Pâques, soit le jour de la Crucifixion du Christ, chez les catholiques.
Le vendredi, un jour de malheur et de superstition… ce qui fait que ses parents le font naître le jeudi, le 5 avril !
Il est baptisé dans l'église Sainte-Réparate de Morosaglia.
Eglise Sainte-Réparate, Morosaglia | Église Sainte-Réparate, Morosaglia | ©Pierre Bona / Wikimedia Commons / CC-BY-SA2 - 1739 : Naples, le premier exil
Il a 14 ans, quand il accompagne son père Hyacinthe en exil à Naples, à l’été 1739. Pourquoi ?
Tout au long du 18e siècle, la Corse, sous domination génoise depuis le 13e siècle, affronte une série de révoltes de la part des Corses. La dernière date de 1729.
Les généraux rebelles de l'île, dont fait partie Hyacinthe Paoli, élisent un roi, en 1736, le baron Théodore de Neuhoff, un aventurier à la tête d’un éphémère royaume corse.
Les troupes des rebelles se font écraser par les Français appelés à la rescousse par les Génois.
Les chefs de l’insurrection, dont Hyacinthe, se font exiler... bref !
Naples, au 18e siècle, est le centre européen où philosophes, historiens, économistes se retrouvent, où brillent les plus grands cerveaux de l'époque.
C'est dans ce bouillon intense que le jeune Pascal infuse et reçoit sa formation, à l’Académie Royale.
Il dévore les auteurs anciens qui traitent de l’Histoire, Tite-Live, Plutarque, Machiavel, L’Esprit des Lois de Montesquieu, son livre de chevet. Paru en 1748, ce best-seller du siècle des Lumières évoque la séparation des pouvoirs...
Ce sont ces lectures qu’il va tenter de mettre en application en Corse.
Maison natale de Paoli | ©Sicilarch / Wikimedia Commons / CC-BY-SA3 - Juillet 1755 : la Corse aussi a son 14 juillet !
Oui ! Qui n'est pas en 1789, mais en 1755.
Cela se déroule le jour où Pascal Paoli, 30 ans, fraîchement revenu de son exil napolitain, se fait élire général en chef de la nation corse, dont il proclame l'indépendance face à la république de Gênes.
Le premier État démocratique européen !
Si vous voulez en savoir plus, l'histoire se passe au couvent de Casabianca...
Statue de Paoli, Morosaglia | ©Pierre Bona / Wikimedia Commons / CC-BY-SA4 - Novembre 1755 : la constitution corse
En juillet 1755, on l’a vu, Paoli revient d’exil et se fait nommer général en chef de la nation corse, à la tête de l’insurrection contre Gênes.
Novembre 1755 voit naître la constitution de cette république corse, qui inspirera plus tard les États-Unis, pour la leur.
Paoli demande même au philosophe Jean-Jacques Rousseau de la lui pondre !
Ce texte inachevé, publié à titre posthume, s’appelle Projet de constitution pour la Corse.
Rousseau a travaillé d’après documents, car il ne mettra jamais un pied en Corse !
Lui qui avait écrit dans son Contrat social : « J'ai quelque pressentiment qu'un jour, cette île étonnera l'Europe »...
J.-J. Rousseau | ©Rijksmuseum / CC05 - Novembre 1762 : Paoli officialise le drapeau corse
En devenant chef de la nation corse et en la dotant d’une constitution, Paoli va, pendant 14 ans, créer une vraie république, avec sa monnaie, sa marine, son université.
Et son drapeau ! La mythique tête de maure noire sur fond blanc doit son officialisation à Paoli !
Elle est déjà présente en Corse dès le 10e siècle, emblème du roi d’Aragon qui régnait sur les îles méditerranéennes, symbole de la victoire des croisés sur les Sarrasins.
Les Corses finissent par se l’approprier, notamment en 1736 avec le roi de Corse Théodore de Neuhoff.
Mais son adoption définitive, on la doit à Paoli, le 24 novembre 1762.
Une assemblée à Corte fait de ce symbole le drapeau officiel de la nation corse.
La tête de maure avait jusque-là le bandeau sur les yeux. Paoli le relève sur le front :
« Les Corses veulent y voir plus clair. La liberté doit marcher au flambeau de la philosophie. Ne dirait-on pas que nous craignons la lumière ? »
Le drapeau corse avant Paoli | ©Jimmy44 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA6 - Octobre 1765 : Boswell, l'ami écossais
L’avocat et écrivain James Boswell, c’est l’ambassadeur écossais de la Corse de Paoli.
Celui qui, à l’internationale, dans tous les pays anglo-saxons, va faire connaître les actions de Paoli et achever d’en faire une star.
Après un périple à travers l’Europe, voilà Boswell en Corse pendant 5 semaines. En octobre 1765, il rencontre Paoli.
Le Corse se dit : quoi de mieux que cet homme pour faire connaître son île à l’étranger, et surtout, rallier à sa cause indépendantiste les Britanniques ?
Les deux échangent des heures sur la philosophie, la littérature, Paoli parlant un peu l’anglais.
De retour chez lui, Boswell publie Account of Corsica (État de la Corse). Un incroyable succès traduit en plusieurs langues, un vrai best-seller, dirait-on aujourd’hui !
Boswell publie 80 articles dans le London Chronicle sur la Corse et son général Paoli.
« Je crus trouver en Corse ce que je ne trouverais en aucun autre endroit au monde ; un peuple combattant pour sa liberté, et s’élevant par ses propres forces d’un état de bassesse et d’oppression à celui du bien-être et de l’indépendance » écrit-il dans État de la Corse.
Etat de la Corse | État de la Corse | ©Digital Library of Slovenia / Public domain7 - Mai 1768 : la Corse devient française
La fin de la nation indépendante de Paoli arrive à grands pas…
Gênes, fatiguée des luttes continues avec les Corses, cède l’île à la France, avec le traité de Versailles !
Paoli, amer, soupire alors :
« Jamais peuple n’a essuyé un outrage plus sanglant. On ne sait pas trop ce que l’on doit détester le plus du gouvernement qui nous vend ou de celui qui nous achète Confondons-les dans notre haine puisqu’ils nous traitent avec un égal mépris... »
Alors, en fait… ce traité n'est pas un marchandage. Gênes ne vend pas, n'offre pas la Corse aux Français.
La Corse est placée sous administration française, qui se chargera de pacifier l'île, de briser Paoli et sa nation corse.
Elle gardera l'île si Gênes ne rembourse pas les dépenses militaires de la France, liées au maintien de l'ordre.
Or, le coût des opérations est énorme ! Gênes ne pourra jamais payer.
Les Français le savent pertinemment bien, non ? Alors oui, c'est un gros jeu de dupes, mais ce n'est pas une vente, concrètement ! Et l'île restera française...
Mais les Corses ne se soumettent pas ! Et continue de lutter pour leur indépendance. Les Français lancent l’offensive.
Quelques mois plus tard, en octobre 1768, c’est la bataille de Borgo : Paoli et ses troupes arrachent la victoire aux Français et les repoussent.
En mai 1769, la bataille de Ponte Novu marque pourtant la défaite des Corses, en déroute totale. Paoli doit s’exiler, il choisit l’Angleterre.
Corte en 1772 | ©The British Library / Public domain8 - 1769 : une star en Europe !
Paoli quitte la Corse. Le chemin de l’exil vers Angleterre le conduit d’abord à travers toute l’Europe, où les grands intellectuels et politiques le voient comme le fondateur du premier État démocratique européen.
Voltaire le premier, qui le cite dans son Siècle de Louis XV, et s’exclame : « Toute l’Europe est Corse ! »
Frédéric II de Prusse lui offre une belle épée d’or, dont la lame porte les mots Pugna pro patria (Bats-toi pour ta patrie).
Catherine II de Russie se fait envoyer de Londres en juillet 1769 un portrait de Paoli :
« Ce portrait me réjouirait encore davantage si lui-même continuait à montrer les dents à nos maudits malfaiteurs, ces odieux Français. »
Avant d’écrire :
« En ce moment, je fais tous les matins une prière : « Mon Dieu, sauvez la Corse des mains des coquins de Français. » (Le roman d'une impératrice, Waliszewski, 1893)
Goethe , lors de la visite de Paoli en 1769 à Francfort :
« La Corse était restée longtemps le point sur lequel se dirigeaient tous les yeux. Lorsque Paoli, hors d’état de poursuivre sa patriotique entreprise, traversa l’Allemagne pour se rendre en Angleterre, il s’attirait tous les cœurs. C’était un bel homme, svelte, blond, plein de grâce et d’affabilité. Je le vis dans la famille Bethmann, où il passa peu de temps et où il accueillit, avec une gracieuse amabilité, les curieux qui se pressaient autour de lui. »
Paoli | ©Rijksmuseum / CC09 - 1769-1789 : l’exil en Angleterre et… une femme ?
Paoli va passer 20 ans en exil en Angleterre, reçu en grand chef d’État, en patriote courageux. L’incarnation de la liberté.
Il rencontre les plus grands intellectuels de l’île, se fait introduire chez les francs-maçons, fréquente les clubs littéraires, tout ceci placé sous la protection du roi George III, qui lui verse une très confortable pension.
Parmi ses amis, il y a Richard et Maria Cosway, deux artistes peintres.
Paoli tombe amoureux de Maria. Étonnant, pour celui pour qui son combat pour une Corse libre a été sa seule maîtresse, semble-t-il...
Il écrit : « Lorsque je vous ai irritée, l’autre soir, je vous ai trouvée encore plus belle et c’est pourquoi je vous ai priée de vous regarder dans la glace. »
Puis : « Si vous en avez été irritée, soyez en paix. Vous vous êtes vengée en me laissant au remords le plus amer et à la plus profonde mélancolie, comme autant d’impitoyables ministres de votre rigueur. Ils me tourmentent jour et nuit. »
Pourtant, il lui écrira ne pas avoir de « vertus conjugales » et qu’il ne se mariera jamais, expliquant plus loin que c’est parce qu’il n’a connu que des déceptions amoureuses.
« Avec ma constance, j’aurais été un mari ennuyeux, et Dieu sait quelle compensation l’autre aurait trouvée pour échapper à l’ennui » !
La légende dit que les deux ont eu une fille ensemble.
L’enfant s’appelle... Paolina. Ce qui serait normal, puisque Paoli en est le parrain ! À moins que ?... mystère !
Maria Cosway, 1785 | ©Rijksmuseum / CC010 - 1770 : la célébrité aux États-Unis
Comment se fait-il que l’on compte, bien loin de la Corse, pas moins de 7 villes portant le nom de Paoli, aux États-Unis ? Colorado, Indiana, Oklahoma…
Juste avant le début de la Révolution américaine, en 1775, des associations de patriotes se forment : les Sons of Liberty (les Fils de la Liberté).
- Ils ont pour modèle ce Paoli dont ils ont lu les mérites grâce à Boswell, ce grand homme qui lutte pour la liberté, l’indépendance ;
- ils chargent au cri de Remember Paoli, en Pennsylvanie. Ils se retrouvent dans une taverne baptisée General Paoli Tarvern ;
- l’un d’eux, Ebenezer McIntosh, appelle son fils Pascal Paoli McIntosh…
- le 3e président Thomas Jefferson dote sa maison de Monticello en Virginie d’un buste du Corse !
Thomas Jefferson | ©Wellcome Collection / Public domain11 - 1789-1793 : Révolution française, brouille mortelle avec les Bonaparte !
Paoli rentre en France après 20 ans d’exil, en 1789. On lui réserve un accueil triomphal partout où il passe, sur le continent comme en Corse.
On le nomme « président du directoire départemental et commandant en chef de toutes les gardes nationales », avec les pleins pouvoirs.
D’abord rallié aux idéaux de la Révolution française, il déchante et s’en détache peu à peu, avec la folie de la Terreur. Paoli n'est pas contre la France, mais contre la Terreur, les exécutions, la guillotine...
Et puis, arrive la réunion de la Corse à la France.
Deux clans s'opposent. Les paolistes, pour l'indépendance, contre les pro-français.
Et il y a les Bonaparte...
Le père, Charles, avec qui Paoli a lutté contre les Français, s’est rallié à la cause française. Paoli ne lui a jamais pardonné ! Le fils, Napoléon, alors jeune lieutenant, n’a plus non plus les mêmes idées que le vieux général...
Les désaccords entre Paoli et Bonaparte s’accentuent à la suite d’une lettre de Lucien Bonaparte, 18 ans. Il dénonce à la Convention la soi-disant trahison de Paoli, en mars 1793, qui voudrait livrer l'île aux Anglais.
Lucien fait mouche : la Convention ordonne l'arrestation de Paoli, ce « traître à la patrie ». La Corse se soulève !
Les paolistes saccagent la maison natale de Napoléon à Ajaccio en mai 1793, celui-ci échappe même de peu à la capture et l'assassinat !
Le 11 juin 1793, les Bonaparte quittent l’île précipitamment à destination de la France continentale, Napoléon déclarant « Ce pays n’est pas pour nous »...
Napoléon et sa famille fuyant la Corse, 1793 | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC012 - 1794-1796 : le royaume anglo-corse
Paoli compte bien sur l’Angleterre, pour sortir la Corse du pétrin sanglant où elle patauge, là où il a de nombreux amis et soutiens.
Les Anglais... débarquent en février 1794.
Un éphémère royaume anglo-corse voit le jour, avec à sa tête le vice-roi Gilbert Elliot.
La Corse redevient indépendante, pour quelque temps !
Sir Elliot débarque le 14 janvier 1794, chargé de représenter le roi George III.
Paoli pense qu'il va être naturellement nommé vice-roi ? Perdu ! C'est Elliot. Un Paoli peu à peu très gênant, qu’il va falloir faire bientôt exiler définitivement… en Angleterre, en 1795.
Sir Elliot (George Chinnery, 1812-1847) | ©Rijksmuseum / CC013 - 5 février 1807 : à la base, il n’est pas enterré en Corse
Non, Paoli repose d'abord en Angleterre ! C’est à Londres, dans sa maison d’Edgeware Road qu’il meurt le 5 février 1807, à 82 ans.
« J’ai assez vécu », écrit-il peu avant.
Le soir même, on l’inhume au cimetière de Saint-Pancrace.
Un buste signé Flaxman surmonte sa tombe. Buste déplacé plus tard à l’abbaye de Westminster, avec une plaque commémorative.
Paoli voulait que son corps soit transporté à Morosaglia, sa ville natale, auprès de son frère Clément inhumé là en 1794.
Chose faite en septembre 1889, sa maison natale transformée pour l’occasion en chapelle.
Sources
- Michel Vergé-Franceschi. Pascal Paoli, un Corse des Lumières. Fayard, 2005.
- A.-M. Graziani. Pascal Paoli, père de la patrie corse. Tallandier, 2017.
- Gaston d'Angélis, Don Giorgi. Guide de la Corse mystérieuse. Éditions Tchou, 1968.
- Arrigo Arrighi. Histoire de Paoli. 1843.
- Serge Astolfi. Le second testament de Paoli ou le crime de Sainte-Hélène. 2016.
Tombe de Paoli, Morosaglia | ©Piero Montesacro / Wikimedia Commons / CC-BY-SA