En préambule
Commençons par ces mots tirés du livre Palais, châteaux, hôtels et maisons de France (Claude Sauvageot, 1867).
Ils résument très bien, je trouve, l'âme du château de Tanlay, à tout jamais liée à leurs célèbres propriétaires, les Coligny !
« Ainsi, les trois frères dont l’amitié fut toujours inaltérable, les hôtes de Tanlay, sont tour à tour tombés sous le poignard, l’arquebuse, ou le poison de Catherine de Médicis. Les murs bâtis par d’Andelot cessèrent d’abriter ces trois nobles têtes ; ils ne recueillirent plus les paroles graves et généreuses de l’amiral. Mais leur souvenir a triomphé de la mort et des siècles écoulés. Il protège même contre la double faux du temps et de l’indifférence des hommes ces tourelles, ces murs, cette demeure. Voir Tanlay, c’est voir les Coligny marcher sous ses voûtes, c’est réveiller leur nom, penser la nuit au bord de ses balcons, c’est évoquer leur ombre... »
Les Coligny à Tanlay
Les Courtenay sont à l'origine de la construction du premier château, au 14e siècle.
Une puissante famille qui descend des rois de France, et qui régnait sur Tanlay depuis le début du 13e siècle !
La veuve de Gaspard Ier de Coligny, Louise de Montmorency (sœur du célèbre connétable Anne), achète Tanlay en 1535.
Nous retrouvons leurs trois fils, qui font du château leur quartier général, en pleines guerres de Religion :
- l’amiral Gaspard de Coligny ;
- le cardinal Odet de Châtillon ;
- François d’Andelot, le militaire.
Tous trois convertis au protestantisme !
Tous trois acteurs majeurs des guerres de Religion.
C'est le plus jeune des frères, François d'Andelot, qui hérite du domaine quelques années plus tard.
Gaspard de Coligny
C'est le plus célèbre des trois frères, décrit comme un « homme ambitieux, mais très prudent et très rusé ».
En deux mots ? Au service des rois de France qu’il sert fidèlement, il se convertit au protestantisme et devient l’un des leaders du parti réformé !
Il conseille Catherine de Médicis de jouer la modération face aux protestants, mais c’est son envie d’entrer en guerre avec l’Espagne catholique, qui réprime alors ses sujets huguenots, qui fait basculer son destin.
La faction catholique des Guise ne veut pas de ce conflit. Coligny est devenu trop gênant, il faut l’éliminer…
Gaspard est atrocement assassiné en 1572 à Paris : l’une des premières victimes de la nuit de la Saint-Barthélémy.
François d'Andelot de Coligny
Le plus jeune des frères, d’Andelot, se convertit au protestantisme le premier.
Colonel général de l’infanterie, c'est « l'un des vaillants et renommés de la France », dixit Brantôme.
Il a « un courage bouillant, un fougueux caractère », « un naturel fougueux et turbulent ».
Odet de Coligny
Odet, archevêque de Toulouse puis évêque de Beauvais, se convertit, poussé par François.
Celui que l'on décrit comme « esprit fin et cultivé, avec un « caractère conciliant et aimable » :
- épouse la dame de Hauteville (qu’on appelait Madame la Cardinale !) ;
- continue à porter l’habit de cardinal, tout en combattant à la tête des protestants.
Le chroniqueur Brantôme dit de lui, à la bataille de Saint-Denis, en 1567 :
« Le cardinal y fit très bien et montra au monde qu’un noble cœur ne peut mentir ni faillir, en quelque lieu qu’il se trouve, ni en quelque habit qu’il soit. »
Exilé en Angleterre, on dit Odet empoisonné par son valet, en 1571...
Ce que le château actuel doit aux Coligny
Remarquez la devise de François d’Andelot, gravée dans la pierre du château : Premium virtutis honos (« l’honneur est la récompense du courage »), avec l’aigle du blason des Coligny.
Les Coligny, qui sont partout à Tanlay !
« L’intimité dans laquelle vécurent les trois frères les a rendus inséparables dans l’histoire ; il y a entre eux communauté de pensées et de desseins ; ils partagèrent les mêmes périls, on les vit constamment ensemble. Le témoignage de cette solidarité est encore dans la participation du cardinal aux constructions que d’Andelot fit exécuter à Tanlay, en l’aidant de sommes considérables qu’il préleva sur ses énormes revenus, dus aux bénéfices nombreux dont il avait été pourvu. »
Palais, châteaux, hôtels et maisons de France (Claude Sauvageot, 1867)
Bon, on trouve plus souvent le jeune monsieur d'Andelot sur les champs de bataille que dans sa demeure de Tanlay, mais il prend néanmoins le temps de transformer son château, avec le concours de l'architecte Bertrand de Cazenove.
Gaspard l’aide financièrement.
D'Andelot fait, en 1559, construire la surprenante tour dite de la Ligue, renfermant d’étonnantes fresques, « cruel et magnifique décor, témoignage le plus parlant de ce siècle de sang et de larmes » dixit l’historien d’art Yvan Christ.
Un pavillon d'entrée appelé « petit château » ou « portal neuf » s'élève dès 1568. Dès 1565, un parc est aménagé.
Le grand château, lui, ne sera achevé qu’au milieu du 17e siècle par le nouveau propriétaire, le surintendant des finances Michel Particelli !
L'amiral aux abois à Tanlay !
Le prince de Condé, l'un des chefs protestants, habite alors le château voisin de Noyers.
La légende dit même qu’un souterrain relie Tanlay à Noyers et permettait les rendez-vous plus facilement, avec l'amiral !
Mais là, on est en mars 1568.
Gaspard a été averti que la reine a ordonné au maréchal de Tavannes de les enlever, lui, son frère François et le prince de Condé. Ils sont alors à Noyers. Tous sont sur le qui-vive !
Mais le vieux Tavannes refuse la mission, sans le dire, bien sûr : il ne veut pas désobéir aux ordres de la reine, ni s’attaquer à de si puissants seigneurs.
Il a trouvé mieux. Au lieu d’envoyer ses 2000 hommes, il dépêche des messagers porteurs de ce message, à Noyers : « Le cerf est dans les toiles, la chasse est préparée. »
Comme il l’avait prévu, les messagers se font arrêter, avec le mot sur eux...
Coligny, lui, a compris le message. Il rejoint discrètement Tanlay, rejoindre son frère.
Ils se déguisent en paysans, un outil à la main, et vont « sur les collines au nord-est en avant du château » où se trouvent les vignes, pour faire croire qu’ils travaillent.
Puis, ils rejoignent Condé pour les bords de la Loire, cap sur La Rochelle.
L’amiral fuit avec sa fille Louise, elle-même suivie de deux enfants encore en nourrice, mais aussi l’épouse d’Andelot et son fils de deux ans...
On connaît la suite : d’Andelot gagne la Bretagne, d’où il lève une armée. Puis c’est la bataille de Jarnac en mars 1569, fatale au prince de Condé.
D’Andelot meurt à Saintes en mai 1569. Empoisonné, dit la rumeur...
L’amiral, lui, après avoir vu ses amis, ses frères tomber, se faisait assassiner la nuit terrible de la Saint-Barthélémy, en août 1574.
Sources
- Chaillou des Barres. Les châteaux d’Ancy-le-Franc, de Saint-Fargeau, Chastellux et Tanlay. 1845.
- Claude Sauvageot. Palais, châteaux, hôtels et maisons de France. 1867.
- Patrice Boussel. Guide de la Bourgogne et du Lyonnais mystérieux. Éditions Tchou, 1978.