La cour, des divinités grecques
Nous voici dans la tour de la Ligue, avec sa salle aux fresques étonnantes ! Elles mettent en scène les grands de la Cour de France de Catherine de Médicis, sous les traits de dieux grecs !
Les Recherches historiques sur Tanlay d'Eugène Lambert disent :
« La pièce offre à l’œil un assemblage de nudités mythologiques, devant lesquelles on serait tenté de prêter à l'Amiral (de Coligny, ndlr) et à d'Andelot des goûts passablement égrillards, si ces peintures n'étaient dans le goût de l'époque et si la vie privée des deux frères ne protestait contre une appréciation de ce genre... »
Découvrons ensemble le sens caché de ces peintures…
Un lieu de réunion ?
La tradition rapporte que c’est ici que les trois célèbres frères Coligny, propriétaires de Tanlay, et leurs amis protestants, se réunissent. Est-ce vrai ? Pas si sûr ! Voici ce que dit le livre Les châteaux d'Ancy-le-Franc, de Saint-Fargeau, de Chastellux et de Tanlay (Chaillou des Barres, 1845) :
« Il nous est beaucoup plus facile de croire que ce cabinet était un lieu de délassement et de plaisir. Non, ce n’est pas en regardant nues les filles d’honneur de Catherine de Médicis, que les chefs protestants traçaient des plans de révolte contre son fils. Le lieu était mal choisi, les inspirations ne tournaient pas le moins du monde à la destruction. Les pensées graves, les combinaisons d’un plan de campagne s’élaboraient au rez-de-chaussée, dans la salle où l’on pouvait débattre les grands intérêts du parti. »
Les fresques en détail
Janus / Médicis
Commençons par la figure de la reine Catherine de Médicis, qui arbore deux visages opposés, tel le dieu Janus : l’un aux traits féminins, l’autre masculins. L’un riant et avenant, l’autre exprimant la haine. Dans sa main, « la clef du temple de la paix. »
Autour d’elle, de jeunes et jolies femmes : sans doute ce que l’on a appelé son « escadron volant » ! Parmi elles, la demoiselle Rouhet, « la belle Rouhet », qui a séduit Antoine de Navarre, qu’on devine derrière elle avec peine, comme effacé. Quand on sait que le père du futur Henri IV se convertit au catholicisme pour les beaux yeux de sa maîtresse !
La paix
Du côté des protestants, les attributs de la paix sont représentés. On voit la colombe sur l’épaule d’une femme, et le carquois vide, que tient une autre. Ils ont de leur côté le Droit, la Sagesse, la Force.
Vulcain, Mercure et Mars
Côté catholique, les attributs de la guerre : Vulcain donne des ordres aux cyclopes, qui forgent en frappant l’enclume. À côté de Janus, la Justice qui ordonne à Mercure de se mettre en marche.
Tout près de Vénus (Diane de Poitiers ?), on reconnaît le connétable Anne de Montmorency (l’oncle des Coligny), en armure, sous les traits du dieu Mars. La première sollicite Mars et lui ordonne d’attaquer les protestants.
Guerres de Religion
On sent d’ailleurs les guerres de Religion gronder au loin, avec :
- Jupiter (Henri II) sur son nuage dominant la scène, prêt à lancer des éclairs ;
- Neptune (Gaspard de Coligny), avec son trident et son cheval blanc, s’apprêtant à faire éclater une tempête ;
- Hercule (Odet de Coligny), gros barbare bodybuildé avec sa massue, semble symboliser les violences à venir ;
- au centre, Mercure, nu, en mignon, semble jeter quelque chose par terre pour le casser : c’est le cardinal Charles de Lorraine, du clan Guise.
Affrontement
On a donc là la situation des deux partis religieux qui s'opposent, à l’époque :
- les protestants, par leur attitude calme, veulent montrer qu’ils n’agressent pas ;
- les catholiques préparent leurs armes et lancent les hostilités.
Oh, mais, regardez ! La partie droite a été effacée : une usure due au temps, ou à la main destructrice de l’homme ?
Un poème de Ronsard comme inspiration
Il s’agit des Hymnes de Pierre de Ronsard (1555), plus précisément L’Hymne du très Chrétien Roi de France Henri II. 776 alexandrins à la gloire de ce dernier... ces vers s’appliquent particulièrement bien à la fresque de Tanlay !
On trouve, pêle-mêle, ces références :
- « N’as-tu pas comme lui, sur ta mer un Neptune, l’amiral Châtillon ? » ;
- « Tu as ton connétable, Anne de Montmorency, ton Mars, ton porte-épée, aux armes redoutables » ;
- Renée, la « duchesse de Ferrare, en qui le ciel a mis les vertus de Thémis »...
Ronsard est un grand ami des frères Coligny, tout particulièrement d’Odet, son protecteur.
La commande des peintures
Les peintures ont été commandées par l’amiral de Coligny à un peintre galérier, Larme. L'amiral de Coligny est général des galères : il a dû le remarquer pour ses peintures qui devaient décorer les navires du royaume.
On trouve ceci dans les archives du château :
« Travaux faits pour un cabinet que monseigneur l'Amiral a commandé de faire au-dessus du cabinet de mon seigneur d'Andelot. Payé à maître Larme 20 livres, 1 sol, pour avoir fait des peintures pour le parachèvement de la galerie de monseigneur, suivant un billet où est contenu le détail des dites peintures, faites de la main de maître Larme. »
Un document rédigé en juin 1568 : à cette date, les peintures étaient achevées.
Sources
- Claude Sauvageot. Palais, châteaux, hôtels et maisons de France. 1867.
- Émile Montégut. Souvenirs de Bourgogne. 1886.
- Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France (5e série, 7e tome). 1886.