Petite histoire de l'hôtel de Sens en 6 anecdotes

De 1296 à 1961

La façadeLa façade | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

1 - Pourquoi Sens ?

Sens, en Bourgogne… et son archevêché ! Paris dépend en effet de ce dernier, la capitale ne devenant archevêché qu’en 1622 !

Le tout premier à s’installer ici s’appelle Becquard, archevêque de Sens.

Il acquiert « une maison, granges et jardins sis sur la rivière » en 1296, achetés à Pierre Marcel, l'oncle d’Étienne Marcel, célèbre prévôt des marchands de Paris.

Le roi Charles V acquiert cette maison des archevêques de Sens, plus d’autres maisons, pour former l’hôtel royal Saint-Pol.

Il donne en dédommagement, à l’archevêque Guillaume de Melun, l’hôtel d’Hestomesnil : daté de 1345, il tient son nom d’un ancien conseiller à la Chambre des Comptes.

C’est à son emplacement que se construit l’hôtel actuel !

Les 8 successeurs de Guillaume de Melun font de l’hôtel leur pied-à-terre parisien...

L'hôtelL'hôtel | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA
L'hôtelL'hôtel | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

2 - Les archevêques de Sens défilent à l’hôtel de Sens !

Tristan de Salazar

C’est lui qui, entre 1475 et 1507, fait construire l’hôtel actuel, trouvant le précédent trop vétuste !

Ce fils d’un capitaine espagnol entre dans les ordres à 30 ans.

Évêque de Meaux à 32 ans, archevêque de Sens en 1474, il est un des commissaires chargé d’instruire le douloureux divorce du roi Louis XII, d’avec la malheureuse Jeanne de France.

Il officie aux funérailles d’Anne de Bretagne en 1512, puis celles de Louis XII, 3 ans plus tard.

Religieux, oui, mais guerrier comme son père ! On le voit à la bataille de Gênes, « une grosse javeline au poing »… Ses ennemis, railleurs, disent de lui qu’il « était digne d’être archevêque comme le Turc d’être pape » !

Il meurt en 1519.

Jean Bertrand

Il naît à Toulouse en 1480, où il occupe le poste de capitoul, puis élu premier président au Parlement de la ville rose, puis de celui de Paris.

Oui ! Il n’est pas religieux à la base. C’est la mort de son épouse qui le fait basculer et entrer dans les ordres…

Archevêque de Sens en 1557, puis ambassadeur de Venise en 1559, il meurt l’année d’après.

Louis Ier de Lorraine

L'oncle d’Henri de Guise, le célèbre Balafré ! Surnommé le cardinal de Guise, il sacre Henri III, en 1574.

« Il aimait fort à rire et à boire », on l’appelle même pour cela... « le cardinal des bouteilles » !

Il est archevêque de Sens une petite année seulement.

Nicolas de Pellevé

À la tête de la sainte Ligue catholique pendant les guerres de Religion, il fait de l’hôtel de Sens un des quartiers généraux de la lutte contre le parti royal.

Quand Henri IV, son ennemi, fraîchement sacré roi de France et ayant abjuré un an plus tôt, entre dans Paris le 22 mars 1594, il est malade, alité à son hôtel de Sens.

C’est là qu’il meurt 3 jours plus tard, à l’âge de 77 ans. On dit que c’est l’annonce de l’entrée du roi dans la capitale qui l’achève !

Louis-Henri de Gondrin

C’est le dernier archevêque de Sens à séjourner à l’hôtel, en 1648.

L’amant, disent les mauvaises langues, de la mythique Cateau la Borgnesse, celle qui dépucela le jeune Louis XIV...

L'hôtelL'hôtel | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

3 - Un boulet de canon dans la pierre !

Pas plus gros qu’une orange, un boulet de canon est fiché dans la façade de l’hôtel de Sens, avec la date du « 28 juillet 1830 » inscrite en dessous…

Car c’est une révolution, qui se déroule, les 27, 28 et 29 juillet 1830 : celle dite des Trois Glorieuses !

Deuxième après celle de 1789, on prend les mêmes (quasiment) et on recommence ! Exit Charles X, fin de la Restauration…

En attendant, le boulet a été tiré lors de l’attaque de la caserne de l’Ave Maria, et se serait « égaré ».

Le boulet de canonLe boulet de canon | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

4 - La reine Margot s'invite

Elle arrive à l’été 1605, après un exil auvergnat de 18 ans. L’hôtel est vacant, Henri IV l’y loge.

Elle est méconnaissable, obèse, une perruque de tifs blondasses sur la tête, « son énorme gorge découverte, ses énormes joues qui croulaient sous le rouge », dixit Paul Rival dans La folle vie de la reine Margot (1929)…

Un de ses amants trouve la mort devant l’hôtel de Sens, en avril 1606, tué par un autre prétendant !

Elle le fait supplicier devant la façade, et repart comme elle est venue, avec, en prime, cette chanson que l’on chantait dans tout Paris :

« La Reine Vénus demi-morte De voir mourir devant sa porte, son Adonis, son cher amour, Pour vengeance a devant sa face Fait défaire en la même place L’assassin presque au même jour Là, de ce sang jugeant coupable Son œil et ce lieu misérable, Elle quitte l’hôtel de Sens, Comme un hôtel de sang infâme, Où a laissé la bonne femme Les reliques de son bon sens. »

C’est elle qui fait abattre le figuier qui se trouvait au centre du carrefour, et qui donne son nom à la rue actuelle qui borde l’hôtel !

Pourquoi ? Il gênait le passage de madame...

L'hôtelL'hôtel | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA
L'hôtelL'hôtel | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

5 - Des fonctions en tous genres !

Entre 1689 et 1743, l’hôtel de Sens est occupé par « les messageries, coches et carrosses de Lyon, Bourgogne et Franche-Comté », qui y avaient leur siège.

Au 19e siècle, des ateliers en tous genres occupent les salons de réception :

  • une blanchisserie ;
  • une fabrique de conserves alimentaires ;
  • une confiturerie ;
  • et même un « coupeur de poils de lapins », pour fabricant de casquettes !

La ville de Paris le rachète en 1911 pour y accueillir en 1961 la bibliothèque Forney, après une reconstruction quasi totale et un agrandissement des bâtiments.

Cour intérieure de l'hôtel, 1921 (E. Atget)Cour intérieure de l'hôtel, 1921 (E. Atget) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

6 - Nostradamus débarque

Le célèbre Michel de Nostredame est logé chez l’archevêque de Sens, dans l’hôtel, à la demande du roi, qui :

« prit soin de le faire loger autant splendidement que commodément, en ordonnant au cardinal de Bourbon de lui donner un appartement dans son hôtel. »

On ne sait pas ce que Nostradamus a fait, mais

« il y fut attaqué de la goutte, pendant dix ou douze jours, ce qui lui attira un accablement de visites, qu’il aurait pu éviter, s’il eut été en état de se manifester au public. »

Une fois remis sur pattes, le roi et la reine lui envoient, en guise de consolation, « une gratification de deux cents écus d’or, et ensuite l’assurèrent de leur royale protection en toutes choses. »

Nostradamus pouvait repartir semer ses prophéties à tout-va…

Sources

  • Charles Duplomb. L’hôtel de la reine Marguerite première femme de Henri IV. 1881.
  • Fernand Bournon. L’hôtel royal de Saint-Pol à Paris. 1880.
  • Paris et ses quartiers (n°13, juillet-août 1976).
  • Yvan Christ. Le Marais, ses hôtels, ses églises. Les Libraires associés, 1965.
  • Pierre de Haitze. La vie de Nostradamus. 1711.
  • Jacques Hillairet. Connaissance du vieux Paris. Éditions Princesse, 1963.