À Port-Royal, on aime les miracles : vous vous souvenez de celui de la Sainte-Épine et de l’œil malade de Marguerite Périer, la nièce du grand Pascal ?
Là, dans ce petit escalier de bois qui débouche sur le cloître de l’abbaye, a lieu un autre miracle...
Une douleur qui ne laisse pas de répit
Avez-vous déjà vécu cela ? Pire qu’une nuit d’insomnie, une nuit de douleurs intenses.
Elle est là, comme un monstre tapi, vous laissant impuissant, à vous rendre fou, les mains crispées sur les draps, immobile. Vous en pleureriez presque.
Catherine, c’est ce qu’elle ressent, depuis deux ans. Des douleurs insupportables à la jambe.
Cette nuit d’hiver, alors que les ténèbres calmes et glacées ont envahi Port-Royal, elle ne dort pas.
Les yeux grands ouverts. Hiboux malheureux.
Malgré le froid, elle plaque son pied, d’abord, sur le carrelage gelé. Puis se laissant glisser sur le sol, elle pose sa jambe.
Le froid l’envahit mais pour un moment, elle respire, la douleur s'est envolée...
Douleurs et fièvre
Catherine de Sainte Suzanne de Champaigne est paralysée des jambes depuis 1660.
Deux ans de souffrance à peine supportable.
Ces mots sont de Catherine même :
« Le 22 octobre 1660, je me trouvais fort mal de grandes douleurs que je ressentais par tout le corps, qui obligèrent à me faire saigner 3 ou 4 fois et à me purger ensuite sans que j’en eusse du soulagement. Le 13 novembre, le mal changea tout à coup et se jeta tout à fait sur le côté droit, particulièrement sur la jambe, où je ressentais de grandes douleurs. »
Viennent une grande fatigue, une fièvre violente, et le côté droit paralysé.
La fièvre dure plusieurs mois, avec une jambe droite en feu.
À tel point qu’elle ne supporte plus les draps la nuit, et doit poser sa jambe nue sur le carrelage glacé de sa chambre, pour la soulager un peu !
La situation est grave...
Les lettres de l'abbesse de Port-Royal, Angélique Arnauld, disent :
« Une de nos sœurs était réduite à ne pouvoir du tout se soutenir sur ses pieds, ce qui lui a fait passer une partie de ce temps au lit, ou bien dans une chaise où elle ne pouvait se tenir qu’en ayant une de ses jambes haute, qui était celle sur laquelle elle ne pouvait se tenir, de sorte que l’autre lui était presque inutile quoiqu’elle n’y eut pas de douleur à être dessus. »
À la fin, on doit la porter à chaque déplacement dans l’abbaye.
Fatigue et douleur l’empêchent de dormir.
L’abbesse Agnès Arnauld, sœur d’Angélique, accepte de prier pour Catherine.
Pas pour sa guérison, mais pour qu’elle reçoive la grâce divine de « bien souffrir son mal » !
La guérison… et l’escalier !
Catherine dit avoir guéri le 6 janvier 1662, au terme de plusieurs prières...
Elle tente quelques jours après de se lever, dans sa chambre... et la voilà qui fait des pas de long en large !
Là, avec l’aide d’Agnès, elle descend les « 40 marches » de notre fameux escalier, pour aller à la messe.
Rebelote pour revenir dans sa chambre...
Un miracle immortalisé en peinture par Philippe de Champaigne
Cette guérison miraculeuse a inspiré un tableau, peint par le père de Catherine, aujourd’hui exposé au musée du Louvre (image ci-dessus) !
Il s'appelle Ex-voto de 1662.
Il montre la sœur Catherine de Champaigne et Agnès Arnauld, la première allongée sur une longue chaise de bois, en prière.
Une scène dépouillée. Des teintes sobres, en camaïeu subtil de gris beige.
Philippe de Champaigne, le peintre officiel de la cour de Marie de Médicis, puis de Louis XIII et Anne d’Autriche.
On le considère comme un peintre janséniste, car il a des liens avec l’abbaye de Port-Royal : normal, sa fille Catherine y a pris le voile, en 1656 !
Sources
- Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques. 1858.
- Gailly de Taurines. Père et fille : Philippe de Champagne et sœur Catherine de Sainte-Suzanne à Port-Royal. 1909.
- Binet-Sanglé. Psycho-physiologie des religieuses. In Archives d'anthropologie criminelle, de médecine légale et de psychologie normale et pathologique (tome 17). 1902.