Que fait Margot à Nérac ?
Voilà Marguerite de Valois, la reine Margot, à Nérac !
En 1572, elle épouse Henri de Navarre, futur roi Henri IV.
Dire que son frère, le roi Charles IX, avait dit :
« En donnant ma sœur au roi de Navarre, je l'ai donnée à tous les huguenots du royaume » !
Henri, le gaillard béarnais, petit-fils de la Marguerite de François Ier…
Henri a fui Paris en pleines guerres de Religion, après le massacre de la Saint-Barthélémy, après quatre ans de résidence forcée à Paris, lui, le protestant.
Il part s’installer à Nérac, dans la cité de ses ancêtres, de 1576 à 1585.
Son premier séjour (1578)
L'arrivée de ces dames depuis Paris
La reine Catherine de Médicis, sa fille Margot et la belle-sœur de celle-ci, Catherine de Bourbon, partent de Paris à l’été 1578.
Margot rejoint son mari chez lui, à Nérac.
C’est la longue transhumance vers le sud-ouest, qui passe par Étampes, Orléans, le val de Loire avec Blois, Azay-le-Rideau, puis Poitiers, Cognac, Libourne près de Bordeaux, Marmande, Agen, Auch...
Le 15 décembre 1578, elles quittent Condom pour Nérac. Enfin !
Perdrix et confitures
Henri a préparé leur venue depuis plusieurs jours : il a fait demander au gouverneur de la province « de lui envoyer à Nérac tout le gibier qu’il pourrait prendre. »
Aussi, il commande :
- un tonneau de vin de Graves mis spécialement en bouteille et porté à Nérac ;
- « onze pipes de vin blanc et clairet achetés à La Réole » ;
- « 50 perdrix vives, 46 cailles, 12 palombes et un épervier » ;
- le jardinier du château de Pau fait amener « pavies (variétés de pêches, ndlr), poires et autres fruits, en deux voyages » ;
En général, on mange bien, au château de Nérac : les comptes rapportent des achats de confitures, « tant d’abricots que de poires de safran, apportées de Tours », de boîtes de dragées, de massepains...
Un poème d'accueil !
En tous cas, à l’arrivée de Marguerite le 15 décembre, le poète du Bartas compose un poème lu par trois demoiselles du pays, en latin, français et gascon.
Ravie, Marguerite « s’empresse de détacher de son cou un mouchoir de gaze et l’offre à la demoiselle Sauvage comme gage de satisfaction » !
Le départ
On passe 8 jours à Nérac.
Catherine quitte la cité le 22 décembre, car elle ne veut pas passer les fêtes de Noël en pays protestant. Elle se rend à Port-Sainte-Marie.
Marguerite, elle, fait des allers-retours entre Agen, Pau et Nérac.
Son second séjour (1579-1585)
En descendant la Garonne...
Le 7 août 1579, tous reviennent à Nérac.
Marguerite et Catherine descendent la Garonne à bord de 6 bateaux, de Moissac à Agen.
Henri de Navarre et sa suite les suivent depuis la berge.
Sur le rivage, des « mariniers » ont été embauchés pour danser afin de divertir ces dames, dans leurs embarcations !
Une foule incroyable de serviteurs !
Margot est arrivée avec 33 dames et filles d’honneur, plus encore, avec celle de sa mère Catherine de Médicis… le fameux escadron volant !
On dénombre aussi :
- 12 femmes de chambres, 2 lavandières, 6 maîtres d’hôtels ;
- 8 panetiers, 4 échansons, 3 « écuyers tranchants », sans oublier les « gallopins », « enfants de cuisine » et « porteurs » ;
- 5 « écuyers d’écurie » ;
- 5 médecins, un apothicaire et un chirurgien ;
- quantité de valets, quelques « valets de garde-robe », « huissiers de chambre », tapissiers...
La plus belle cour
Margot à la campagne, à Nérac ? Elle qui aime les fêtes, la vie…
Hé bien, elle fera de Nérac une cour plus belle que celle de Paris, où l'on s'étourdit de festivités !
Margot raconte d’ailleurs dans ses Mémoires :
« A Nérac, notre cour était si belle et si plaisante que nous n'envions point celle de France... »
Comédiens italiens, poètes de cour
Tous les jours, on donne bals, concerts, spectacles.
Margot a ses musiciens ordinaires : deux joueurs de luth, un de musette, 6 violons, trois « musiciens exécutants. »
Le roi de Navarre engage un joueur de farces, Nicolas Léon, sans oublier les troupes ambulantes de comédiens italiens, comme celle de Massimiano Milanino.
La cour de Nérac a ses poètes, comme Guillaume de Saluste, seigneur du Bartas, qui écrit le premier recueil de ses vers, La Muse Chrestienne (1574) en les dédiant à Margot :
« Fille du grand Henri, et compagne pudique D’un autre grand Henri, ô Marguerite unique, Qui décore la France... »
Mais on compte aussi le poète Agrippa d’Aubigné, fidèle compagnon d’armes d’Henri, ou Michel de Montaigne.
L’auteur des Essais et maire de Bordeaux entretient avec Margot de grands échanges littéraires !
Une coexistence pacifique ?
On apprend dans les Mémoires de Margot qu’Henri va au prêche au temple et elle de son côté à la messe, « dans la chapelle qui est dans le parc. »
Ensuite, on part se promener
« dans un très beau jardin qui a des allées de lauriers et de cyprès fort longues ou dans le parc, en des allées de trois mille pas qui sont au long de la rivière, et le reste de la journée se passait en toutes sortes de plaisirs honnêtes, le bal se tenant ordinairement l'après dîner et le soir. »
Aurait-on à Nérac une coexistence pacifique entre protestants et catholiques ?
Peut-être bien. Henri fait de Nérac un « petit Louvre », avec une bi-confessionnalité qui règne dans sa cour, réunissant catholiques et protestants.
Les historiens (comme Françoise Hildesheimer) parlent de « laboratoire de la coexistence », qui prendra réellement corps avec l’Édit de Nantes (1598).
Les aménagements de Margot
Margot réaménage entièrement le vieux château des d'Albret.
- Elle aménage les jardins avec une orangeraie plantée de cyprès, des bassins pour tortues et poissons ;
- elle engage des artisans qui raccommodent tapisseries et meubles ;
- elle installe une « cuve à baigner » avec tablette pour écrire, que l’on remplit avec des tonneaux d’eau fraîche, puisée dans la Baïse voisine.
Dents blanches et éponge
Tandis que Marguerite prend soin d'elle et du château, Henri sent « de l’aile et du pied », rapporte Agrippa d’Aubigné dans son Divorce satyrique !
Il y fait dire à son ami Navarre :
« Ne vous étonnez plus si, poudreux et suant au retour de la guerre, de la chasse , ou de mes autres violents exercices, elle avait mal au cœur de me caresser, jusqu'à changer les draps, où nous n'avions seulement demeuré qu’un quart d’heure ensemble. »
On sait pourtant, avec les livres de comptes du château, qu’Henri le puant commence à prendre soin de lui, à Nérac !
- Il se fait livrer de la poudre d’or abrasive, pour des dents plus blanches ;
- une « éponge pour laver la tête du roi », pour son bain ;
- de nouvelles frusques à base de toile de Hollande et de soie...
Conclusion
Est-ce la guerre des Amoureux qui s’est jouée à Nérac qui met fin au séjour du couple, dans la cité béarnaise ?
En tous cas, Marguerite quitté Nérac en 1585 pour Agen, avant de s’exiler à Usson en Auvergne.
Rejetée par son frère qui critique sa vie scandaleuse, et par son mari à qui elle ne donne pas d’héritier...
Sources
- Jean-Hippolyte Mariéjol. La vie de Marguerite de Valois. Éditions Patat, 2014.
- Philippe Lauzun. Itinéraire raisonné de Marguerite de Valois en Gascogne. 1902.
- Hélène Tierchant. Henri IV, roi de Navarre et de France. Éditions Sud-Ouest, 2010.
- Christophe de Villeneuve. Notice historique sur la ville de Nérac. 1807.
- Grégory Champeaud. Concilier tant d’esprits et de fantaisies diverses : le laboratoire politique d’Henri de Navarre à Nérac (1577-1579). In Albineana, Cahiers d'Aubigné. 2012.
- Jean-Christian Petitfils. Henri IV. Perrin, 2012.