Le procès et l'exécution de François Koënigstein, dit Ravachol, à Montbrison

Du 21 juin au 11 juil. 1892

Ravachol (A. Bertillon, 1892)Ravachol (A. Bertillon, 1892) | ©Metropolitan Museum of Art / CC0

De quoi s'agit-il ?

Le célèbre anarchiste Ravachol, originaire de la Loire, venait d'être condamné aux travaux forcés pour attentats, par la cour d'assises de Paris, en avril 1892.

1 mois plus tard, il doit cependant répondre d'une série de crimes commis dans la région de Saint-Étienne, lors d'un procès mémorable à Montbrison !

Procès qui se déroule au palais de justice de Montbrison, dans l’ancienne église Sainte-Marie du couvent de la Visitation.

Palais de justice, MontbrisonPalais de justice, Montbrison | Ancien palais de justice, Montbrison | ©Velvet / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Ravachol en deux mots, pour commencer

  • François Ravachol naît Francis Claudius Koënigstein le 14 octobre 1859, près de St-Étienne. Ravachol, c'est le nom de sa mère, Marie. Son père s'appelle Jean Adam Koënigstein, un Hollandais fraîchement émigré. Tous deux ouvriers. Un homme violent qui abandonne femme et enfants, pour mourir aux Pays-Bas un an plus tard ;
  • la famille dans une misère noire, le jeune François doit partir travailler dès ses 8 ans ;
  • ouvrier teinturier à 16 ans, il connaît très tôt les salaires de misère, les conditions de travail inhumaines dans des teintureries entre Lyon et Saint-Étienne, d'où il se fait renvoyer plusieurs fois pour avoir osé rapporter les injustices sociales, et avoir fait grève ;
  • à 18 ans, il devient anarchiste et athée après avoir lu Le Juif errant d'Eugène Sue et assisté à une conférence de la figure politique socialiste et communarde Paule Minck. La vision du monde, selon Ravachol ? Il faut « l’anéantissement de la propriété », pour mettre fin aux inégalités sociales. L’abolition de l’argent, aussi, « motif de toutes les discordes, de toutes les haines, de toutes les ambitions » ;
  • vivotant pour nourrir les siens, entre braconnages et petits délits (profanation de la sépulture d'une riche baronne stéphanoise réputée avoir été enterrée avec ses bijoux), il passe bientôt au stade supérieur. Le crime !

Assassinat et attentat : le procès parisien

Le 18 juin 1891, Ravachol assassine un ermite de 93 ans, à Chambles (Loire) : la rumeur le disait disposer d'une petite fortune ! Il vole le magot, se fait arrêter, s'évade et se cache en Espagne après avoir mis en scène son suicide.

Installé ensuite à Saint-Denis en région parisienne, il dynamite l'immeuble parisien du juge Benoît, en mars 1892.

Juge qui avait fait lourdement et injustement condamner des anarchistes, un an auparavant, pour avoir participé à une manifestation. Anarchistes systématiquement arrêtés et passés à tabac par la police... Ravachol était devenu fou !

Aucune victime n'est à déplorer, dans l'attentat... mais les très gros dégâts défraient la chronique.

Immédiatement arrêté puis jugé en une seule journée, fin avril 1892, Ravachol se fait condamner par la cour d'assises de la Seine aux travaux forcés à perpétuité.

Arrestation de Ravachol (Le Progrès Illustré, 1892)Arrestation de Ravachol (Le Progrès Illustré, 1892) | ©Numelyo, Bibliothèque numérique de Lyon

Début du procès de Montbrison

1 mois après son procès parisien, le voilà qui comparait aux assises de Montbrison, dans la Loire, le 21 juin 1892.

La cour d'assises de la Loire se réunit alors dans l'ancienne église du couvent des Visitandines de Montbrison, du 17e siècle.

Une église Sainte-Marie reconnaissable entre mille à son dôme (1701) et son escalier à double rampe, aménagé au début du 20e siècle !

En 1790, cette église devient la salle du tribunal criminel, puis de la cour d’assises de la Loire jusqu’en 1968, date de son transfert à Saint-Étienne...

Ancien palais de justice, MontbrisonAncien palais de justice, Montbrison | ©Olive Titus / Flickr / CC-BY

Pourquoi un procès à Montbrison ?

Voilà donc Ravachol comparaissant à son ultime procès, celui qui le verra condamné et exécuté ! Mais que lui reproche-t-on, exactement ?

Vous vous souvenez l'assassinat de l'ermite, dans la Loire, en 1891 ? La profanation de la tombe de la baronne soi-disant enterrée avec ses bijoux ?

Voilà la raison ! Ajoutez à cela une série de 4 assassinats que Ravachol aurait commis dans la région de Saint-Étienne, entre 1886 et 1891.

S'il reconnaît le meurtre de l'ermite et la profanation de sépulture... il nie pour tout le reste !

Ancien palais de justice, MontbrisonAncien palais de justice, Montbrison | ©Pierre L'iserois / Wikimedia Commons / CC-BY

Une ville en état de psychose !

Lors du procès de Ravachol, Montbrison est en état d'alerte maximale : on a peur que des collègues anarchistes ne tentent de le faire évader !

Le maire panique à l'idée qu'un attentat frappe sa ville : une vraie psychose s'installe. Des gendarmes patrouillent jour et nuit dans les rues.

Les jurés recevant des lettres de menace, la police est obligée de les protéger. L’un d’eux, en apprenant sa désignation en tant que juré, fait une crise de nerfs : on doit le faire évacuer !

Sans oublier la soixantaine de journalistes, qui débarque de la capitale pour couvrir l'évènement : on doit déménager des pupitres de l'école normale, pour les installer dans la salle du palais de justice.

Ravachol (1892)Ravachol (1892) | ©Clermont Auvergne Métropole - Bibliothèque Overnia

La délibération et le verdict

Lors de son procès, Ravachol reconnaît avoir tué et volé, oui. Mais uniquement pour soutenir la cause anarchiste, travailler « au bonheur de l’humanité » et satisfaire ses besoins, au passage.

Dans une déclaration écrite par ses soins en prison (qu’il n’a jamais pu lire au procès de Montbrison), Ravachol explique :

« J’ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n’avons pas trop souffert, je suis resté ce que vous appelez honnête. Puis le travail a manqué et est venue la faim. C’est alors que l’instinct de conservation me poussa à commettre certains des crimes que vous me reprochez et dont je reconnais être l’auteur. Jugez-moi, Messieurs les jurés, mais si vous m’avez compris, jugez en me jugeant tous les malheureux dont la misère, alliée à la fierté naturelle, a fait des criminels et dont la richesse, dont l’aisance même aurait fait des honnêtes gens ! »

Cela ne suffira pas, cette fois, à sauver sa tête : le procureur de la République, Clément Cabanes, demande la peine de mort pour Ravachol, « l’assassin des femmes et des vieillards, le faussaire, le déterreur de cadavres. »

Le jury délibère à peine une demi-heure. Le verdict est prononcé à 3 h 15 du matin. La mort !

La sœur de Ravachol, Joséphine, s’évanouit. Lui réagit à peine ! D'ailleurs, un peu plus tard, il écrit à son frère :

« Ne t'afflige pas de ma condamnation. Il est préférable qu'il en soit ainsi, car s'il avait fallu aller au bagne, j'aurais eu cruellement à souffrir. »

Le procureur Cabanes au procès de RavacholLe procureur Cabanes au procès de Ravachol | ©Clermont Auvergne Métropole - Bibliothèque Overnia

L'exécution est prévue pour ce matin...

Ravachol refuse de se pourvoir en cassation. Le président de la République Sadi Carnot refuse de le gracier...

Ravachol monte donc sur l'échafaud le 11 juillet 1892, à Montbrison. Il est précisément 4h05 du matin.

On a fixé le lieu de l’exécution à l’angle de la rue du Palais-de-Justice et de la rue des Prisons (actuelle rue des Visitandines).

Un carrefour rebaptisé pour cette sinistre occasion « place des Prisons » : le Code pénal stipule en effet que l’exécution devait avoir lieu... sur une place publique !

Deibler, un célèbre bourreau à Montbrison

Ce 11 juillet 1892, à Montbrison, un célèbre bourreau va faire tomber le couperet de la guillotine sur le col de Ravachol.

Il s'appelle Anatole Deibler. Le plus célèbre bourreau de Paris, entre 1885 et 1939 ! Pas moins de 400 condamnés perdent la tête, durant sa longue carrière, officiant seul en tant qu'exécuteur-en-chef, ou aux côtés de son père Louis.

Ils guillotinent notamment les célèbres Geronimo Caserio (assassin du président Carnot), Désiré Landru, Joseph Vacher (premier tueur en série français), Paul Gorguloff (assassin du président Doumer)...

« Vive la révolution ! »

À propos de l'exécution de Ravachol, un fonctionnaire de police écrit dans son rapport :

« Justice a été faite sans incident, ni manifestation d'aucune sorte. Le réveil a eu lieu à 3h40. Le condamné a refusé l'intervention de l’aumônier et m'a déclaré n'avoir aucune révélation à faire. »

Ravachol refuse en effet l'assistance du prêtre, à qui il lance : « Je m'en fous de votre Christ ; ne me le montrez pas, je lui cracherai dessus ! »

Le rapport poursuit :

« Pâle et tremblant, il a montré bientôt un cynisme affecté et une exaspération au pied de l'échafaud dans la minute précédant l'exécution. »

Effectivement on l'entend entonner avant de monter sur l'échafaud une chanson du Père Duchesne :

« Si tu veux être heureux, Nom de Dieu, Pends ton propriétaire, Coupe les curés en deux, Nom de Dieu, Fous les églises par terre ! »

Puis, la tête sous le couperet, le fonctionnaire indique qu'il crie « Vive la République », alors qu'il a crié « Vive la ré »... Plus sûrement « Vive la révolution » !

Conclusion

À ses juges de Montbrison, Ravachol avait dit :

« J'ai fait le sacrifice de ma personne. Si je lutte encore, c'est pour l'idée anarchiste. Que je sois condamné m'importe peu, je sais que je serai vengé. »

En effet, l'affaire Ravachol est le point de départ d'une série d'attentats anarchistes qui secoue la France pendant 2 ans.

Avec pour point d'orgue l'assassinat du président de la République Sadi Carnot, à Lyon en 1894.

Sources

  • Claude Latta. Histoire de Montbrison. Éditions Horvath, 1994.
  • François Foucart. Anatole Deibler : profession bourreau. Plon, 1992.
  • Claude Latta. Ravachol (1859-1892). In Village de Forez, bulletin d'histoire locale (n°82-83). Octobre 2000. Village de Forez, Groupe d'histoire locale du centre social de Montbrison, vdf.montbrison42.fr.
  • Collectif. Les grandes affaires criminelles en France. Chronos, 2021.
  • Maryline Todesco. Montbrison : l’illustre passé du Palais de justice. Le Progrès, leprogres.fr 05/08/2021.