Une triste première
Il s’agit du premier président de la République assassiné, et le premier à mourir en fonction.
Le second sera Paul Doumer, tué par balles en mai 1932, à Paris.
Sadi Carnot n’était qu’à quelques mois de la fin de son mandat...
Carnot et les attentats anarchistes
Dès 1892, une vague d’attentats anarchistes frappe la France.
Émile Henry, Ravachol, Auguste Vaillant et son attaque à la bombe de la Chambre des députés (1893)…
C’est parce que le président Carnot a refusé de gracier ce dernier, que les anarchistes le prennent comme cible.
Déjà, il avait échappé à deux attentats, en 1889 et 1890 !
Que fait Carnot à Lyon ?
Le 24 juin 1894, à 21h15, le président de la République sort d’un banquet organisé en son honneur par la ville de Lyon, avant de se rendre à la soirée de gala au Grand-Théâtre.
Il est là pour visiter l’Exposition Universelle, qui se tient au parc de la Tête d’Or.
Le récit de l'attaque
Il a frappé !
La voiture du président quitte la Bourse, puis passe par la rue de la République.
C’est là, endroit aujourd’hui marqué par une dalle rouge et une plaque sous l’une des fenêtres du palais, que l’assassin attaque.
Il y a une foule très dense. L'inconnu monte sur le marchepied et frappe, laissant le poignard dans la plaie.
Il dira plus tard du président : « Il m’a fixé en ouvrant les yeux très fort, au moment même où je le frappais. »
Des témoins disent avoir vu, non pas de la douleur ou de la surprise, mais du dégoût, sur le visage de Carnot !
Plastron ensanglanté
Carnot porte la main là où le coup a frappé : elle est couverte de sang.
Il murmure : « Je suis blessé », puis s’évanouit, tête en arrière, visage pâle et paupières mi-closes.
Son plastron est couvert de sang. On ouvre sa chemise, on découvre une plaie de deux à trois centimètres de largeur.
« Le coup a été porté avec une grande force et une grande assurance ; l'arme a pénétré jusqu’à la garde », dira plus tard le rapport d’autopsie.
Stupeur !
En attendant, on ne comprend pas immédiatement ce qu’il vient de se passer.
Certains croient que quelqu’un a envoyé un bouquet de fleurs un peu trop fort !
L’assassin, lui, court autour de la voiture en beuglant « Vive l’anarchie ! »
Passé la sidération, il se fait arrêter.
Tentatives pour sauver le président !
Vite, à la Préfecture !
Le coup de poignard a fait le bruit d’un coup de poing sur le plastron de chemise : le maire de Lyon, le docteur Gailleton, en déduira que la lame s’est enfoncée jusqu’à la garde.
On applique un mouchoir sur la plaie et l'on essaie de maintenir le président assis, en le tenant éveillé.
La voiture à cheval file de la Bourse jusqu’à la préfecture du Rhône, à un kilomètre. Carnot gémit...
Opération à ventre ouvert
On le transporte dans ses appartements, vite, une compresse glacée sur le ventre !
Cinq médecins débutent une opération de laparotomie (ouverture de l'abdomen) locale, sans anesthésie.
« Oh ! Docteur, que vous me faites mal ! » souffle le président à la première incision.
Après quoi les docteurs tamponnent la plaie avec de la gaze stérilisée. L’arrêt de l’hémorragie (c’est ce qu’on croit) fait que le président se sent un peu mieux.
La fin
L'épisode d'accalmie dure deux heures. Soudain, Carnot se plaint de douleurs à l’estomac, une gêne en respirant.
L’hémorragie n’a jamais cessé, en fait !
Son pouls devient faible. Du sang noir coule en grande quantité de sa blessure.
Il dira encore : « Je vous remercie de ce que vous faites pour moi. »
À 0h38, tout était fini...
Que dit l'autopsie ?
L’autopsie fait état d’une perforation du foie sur 12 centimètres, qui a sectionné la veine porte !
L’assassinat du président Carnot (Alexandre Lacassagne, 1894) rapporte :
« La mort a été causée par une plaie pénétrante de l’abdomen, entamant non seulement le tissu hépatique, mais encore la veine porte ; ce vaisseau, perforé au niveau de sa branche droite, et ayant ses branches de ramification gauches sectionnées dans le foie, a laissé s’écouler une quantité d’autant plus considérable de sang, que le blessé était en état de digestion. La constatation de ces lésions démontre que toute intervention chirurgicale devait être fatalement impuissante. »
Qui est Caserio, l'assassin ?
L’assassin s’appelle Sante Geronimo Caserio. Il est né en 1873, en Lombardie.
Apprenti boulanger, à Milan, il côtoie déjà les anarchistes avec qui il distribue tracts et journaux.
Il se fait arrêter plusieurs fois, puis quitte l’Italie au printemps 1893 pour échapper au service militaire.
Il traverse la Suisse, le sud-est de la France, hop, pour atterrir à Lyon. Malade, il entre à l’hôpital.
C’est là, d’après lui, que des idées criminelles lui viennent.
Les exécutions des anarchistes Vaillant et Henry lui font bouillir le sang. La rage l’anime. Il est désabusé, blasé, mais ne se suicidera pas ! Enfin, si, mais indirectement...
À sa sortie de l’hôpital, le voyage présidentiel à Lyon est annoncé : sa décision est prise, il tuera Sadi Carnot.
Caserio pense que ce crime sera utile à la cause de l’anarchie.
Mais il dira aussi que s’il avait croisé, avant de frapper, le « regard fixe mêlé de douceur et d’effroi que M. Carnot a jeté sur lui lorsqu’il s’est senti blessé, il n’aurait jamais enfoncé le poignard dans le corps de sa victime. »
Retour sur la journée qui a précédé l'attentat
De train en train
Caserio a fait le voyage à Lyon depuis Sète. Le matin du 23 juin 1894, avant de partir, il achète un poignard chez un armurier.
Puis il prend le train pour Montpellier, quatre autres qui le mènent à Avignon, Tarascon, Vienne et Lyon.
Il fait une chaleur d'enfer !
À Lyon, la foule est considérable. Caserio sait juste qu’il doit se rendre à la Bourse, pour avoir lu dans le journal que le banquet offert au président se déroulait là.
Parmi la foule lyonnaise
Devant la Bourse, Caserio remarque la manière dont les forces de l‘ordre ont fait ranger les badauds, lui montrant la direction que va suivre la voiture du président.
De là où il se trouve, il ne pourra pas attaquer, étant sur la gauche du parcours ; or, un haut personnage tel qu'un homme d'État occupe toujours la place de droite, dans une voiture.
Il compte donc passer de l’autre côté, mais... on ne laisse passer que les dames !
L’arrivée d’une grande voiture à deux chevaux permet à une quinzaine de personnes de traverser. Il en profite aussi.
C’est le bazar, parmi la foule qui grossit toujours plus !
Caserio frappe
Caserio, qui était au fond de la rangée de badauds, contre le mur, peut remonter vers la chaussée. Soudain, on entend la Marseillaise. Carnot ! Il arrive !
Il ouvre sa veste, en sort le poignard, bouscule deux personnes devant lui et va droit vers le président.
Il plonge la lame dans sa poitrine, jusqu’à la garde, en laissant le poignard dans la plaie.
Le président se rejette vivement en arrière, ne comprend pas... personne n’a compris ce qu’il venait de se passer !
On crie : « Arrêtez-le ! » Des gardes le saisissent enfin.
Procès et condamnation de Caserio
Le procès s’ouvre le 2 août 1894, devant la Cour d’assises du Rhône.
Œil pour œil
Caserio ne nie rien. Il dit avoir agi sans émotions. Il ne plaide pas la maladie mentale, assume tout : si c’était à faire, il le referait !
Quand on lui dit qu’en plus d'avoir assassiné un homme, il a assassiné un père de famille, il répond en italien : « On n’a pas eu pitié des femmes et des enfants des anarchistes qu’on a guillotinés en France, pendus en Amérique, fusillés en Espagne. »
Anarchie et mort
La Cour le condamne à la peine de mort, avec une exécution qui aura lieu sur une des places publiques de Lyon.
Caserio ne dit rien, il sourit, comme il l’a toujours fait pendant son procès.
Quand on lui dit qu’il a 3 jours pour se pourvoir en cassation, il murmure : « Vive la Révolution sociale ! »
Puis, quand les gendarmes l’emmènent, il crie aux jurés : « Courage, camarades, vive l’anarchie ! »
Il tremble !
Le jour de l’exécution, le 16 août 1894, Caserio refuse de parler à son avocat, ou son aumônier.
Lui qui la veille encore était gai, causant, plaisantant, là, il est livide. Il tremble.
Qui ne le serait pas, devant la mort ?
Il tremblera jusqu’à la fin. On l’a vu murmurer des mots, avant de mourir. Certains diront que c’était Vive l’anarchie...
Les obsèques du président
Les funérailles du président Sadi Carnot ont lieu le 1er juillet 1894 à Paris, dans la cathédrale Notre-Dame.
On l’inhume le jour même au Panthéon, aux côtés de son grand-père Lazare Carnot.
Et si vous vous demandiez, c'est Jean Casimir-Perier qui lui succédait dès le 27 juin.
Source
- Alexandre Lacassagne. L’assassinat du président Carnot. 1894.