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La statue de Condorcet, point d'orgue de la première grande manifestation suffragiste de France !

Quand : 5 juillet 1914

Marche du 5/7/1914 (A. Harlingue) | ©Ville de Paris - Bibliothèque Marguerite Durand / Public domain
Statue Statue de Condorcet

Des suffragettes à Paris !

Le 5 juillet 1914, entre 2000 et 6000 personnes viennent déposer des primevères au pied de la statue du marquis de Condorcet, quai de Conti, dans le 6e arrondissement de Paris.

Ce grand philosophe et brillant mathématicien des Lumières a été, aux côtés de son épouse Sophie, un fervent militant en faveur de l'égalité et du droit de vote des femmes !

La statue est l’aboutissement d’une marche qui a débuté aux Tuileries : il s’agit de la première grande manifestation publique suffragiste française, organisée par l'ouvrière militante féministe Louise Saumoneau (1875-1950) et son Groupe de femmes socialistes.

À la tête du cortège, on retrouve les grandes figures du militantisme française, dont la journaliste Séverine.

Statue de Condorcet

Statue de Condorcet | ©Szilas / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Les suffragettes et le droit de vote

Alors qu’au cours du 19e siècle, les hommes obtiennent le droit de vote à travers le monde, certaines femmes, notamment en Angleterre et aux États-Unis, commencent à militer pour ce même droit.

Les suffragettes, les voilà... un terme moqueur utilisé par le Daily Mail, en 1906, pour nommer les militantes du Women's social and political union : association fondée en 1903 à Manchester par Emmeline Pankhurst, pour le droit de vote des Anglaises.

À cette date, seules les Néo-Zélandaises (1893) et les Australiennes (1901) votent !

Suivent Allemandes et Anglaises en 1918, Luxembourgeoises et Hollandaises en 1919 : en 1920, ce sont 138 millions de femmes dans 24 pays à travers le monde, qui obtiennent ce droit trop longtemps réservé aux hommes.

Mais... où en est la France, à l'époque ?

Marche du 5/7/1914 (Agence Rol)

Marche du 5/7/1914 (Agence Rol) | ©Ville de Paris - Bibliothèque Marguerite Durand / Public domain

Quid de la France et du droit de vote féminin ?

En France, la Révolution avait vu ses premiers défenseurs du droit de vote des femmes, comme :

  • Olympe de Gouges, qui, dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, écrit : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » ;
  • le marquis de Condorcet et son épouse Sophie de Grouchy, fervents défenseurs de l’égalité homme/femme.

Leurs écrits, malheureusement, rencontrent peu d'échos de leur temps, et sombrent dans l'oubli.

Rien de neuf pendant plusieurs décennies... puis, à la fin du 19e siècle, plusieurs associations militent pour le suffrage féminin, notamment Hubertine Auclert qui fonde en 1876 la société Le Droit des femmes.

Un vrai regain de mobilisation naît, au début du 20e siècle !

  • En 1907, Madeleine Pelletier, première femme médecin psychiatre diplômée et grande figure du féminisme français, lance le journal La Suffragiste ;
  • l'UFSF (l'Union Française pour le Suffrage des Femmes), fondée en 1909, compte 12 000 adhérentes ;
  • les parlementaires s'emparent de la question du suffrage féminin, avec des premières propositions de loi en 1901 et 1906, superbement ignorées par les membres du Sénat.

Il reste du chemin à faire !

Marche du 5/7/1914 (Agence Rol)

Marche du 5/7/1914 (Agence Rol) | ©Ville de Paris - Bibliothèque Marguerite Durand / Public domain

Pourquoi a-t-on défilé ce 5 juillet 1914 ?

La marche du 5 juillet 1914 est une réaction aux élections législatives du 3 février 1914 : 238 députés sur 591 refusent le droit de vote aux femmes.

Le 26 avril 1914, la Ligue nationale pour le vote des femmes, fraîchement créée, organise aux côtés du quotidien Le Journal, un vote blanc sur le suffrage féminin.

Les Françaises sont appelées à répondre à cette question : « Mesdemoiselles, Mesdames, désirez-vous voter ? »

Le référendum recueille plus de 505 000 bulletins, avec seulement 114 voix contre.

De quoi espérer convaincre la Chambre des députés, avec la ferme intention de pouvoir voter aux municipales de 1916... mais cela ne suffit pas, il faut frapper un peu plus fort les esprits.

En organisant une grande marche, par exemple !

Marche du 5/7/1914

Marche du 5/7/1914 | ©Ville de Paris - Bibliothèque Marguerite Durand / Public domain

La marche suffragiste du 5 juillet, une grande première en France

Cette première grande manifestation suffragiste française part des Tuileries et s’achève quai Conti, devant la statue de Condorcet.

On n’avait jamais vu un tel évènement ! On compte 6000 participants, selon les organisatrices, 2400 selon la police : 1300 femmes, 300 hommes, 800 curieux.

Tout le monde défile calmement, des petits bouquets de primevères à la boutonnière, des rameaux d'olivier à la main.

En tête du cortège, Caroline Rémy, alias Séverine (1855-1929).

Grande femme de lettres et journaliste, première femme à diriger un grand quotidien (Le Cri du peuple), entre 1885 et 1888. Séverine s'engage en faveur du droit de vote des femmes dès le début du 20e siècle.

À ses côtés, tous les grands noms du féminisme français !

  • Marguerite de Witt-Schlumberger (1853-1924), la présidente de l'UFSF ;
  • la non moins célèbre Marguerite Durand (1864-1936), femme politique et journaliste, fondatrice du journal féminin La Fronde, co-fondatrice du cimetière animalier d'Asnières, en 1899...
Séverine

Séverine | ©Musée de Bretagne / Public domain

Prises de paroles aux Tuileries

Sur la terrasse de l'Orangerie, aux Tuileries, on a dressé une tribune tendue de rouge, ornée de fleurs.

La première à y prendre la parole, c’est Pauline Rebour, enseignante syndicaliste normande :

« Nous voulons avoir les mêmes droits que les hommes : pourquoi cela ne serait-il pas ? Je sais que toutes les femmes à mes côtés feront avec moi tout ce qu'il faut pour cela. À défaut de violence, qu'il nous répugne d'employer, nous userons de douceur, mais en même temps de fermeté. Ce que nous demandons aujourd'hui, un homme l'avait demandé bien avant nous : Condorcet. »

Oui ! Condorcet, « premier féministe de France », connu pour ses prises de position sur les droits des femmes, avec son épouse Sophie de Grouchy : il publie le 3 juillet 1790 Sur l'admission des femmes au droit de cité !

Condorcet écrit :

« N'est-ce pas en qualité d'êtres sensibles, capables de raison, ayant des idées morales, que les hommes ont des droits ? Les femmes doivent avoir absolument les mêmes. »

Voilà pourquoi cette marche du 5 juillet 1914 lui est dédiée !

Marguerite Durand (1902)

Marguerite Durand (1902) | ©Biblioteca Virtual del Patrimonio Bibliográfico / CC-BY

« L'harmonie du genre humain »

Devant l'Orangerie aux Tuileries, là où la pionnière des droits des femmes Théroigne de Méricourt se faisait fouetter en public, en 1789, pour avoir osé réclamer plus d'égalité, Marguerite Durand observe que

« partout où les femmes ont obtenu le droit de vote, des écoles se sont ouvertes, au fur et à mesure que se vidaient cabarets et prisons. »

Elle ajoute se féliciter de voir les féministes françaises manifester ainsi au grand jour :

« Vous allez sortir tout à l'heure dans la rue, et, en vous voyant défiler, on pourra dire : “C'est une grande et belle idée qui passe, c'est l'harmonie du genre humain, c'est la paix de l'humanité !” »

Séverine poursuit :

« Salut, Condorcet ! Ce dimanche 5 juillet, les femmes viendront te saluer. Elles t'ont élu leur patron en reconnaissance de ce que, le premier, tu réclamas pour elles, assujetties aux mêmes devoirs que le masculin (maternité vaut service militaire), l'obtention des mêmes droits. »

Puis elle conclut : « Nous ne voulons pas de sang sur nos droits, nous voulons de la beauté, nous voulons de la paix. »

Séverine

Séverine | ©Musée de Bretagne / Public domain

La presse s'en mêle

La manifestation (qui avait été à deux doigts d'être interdite par la préfecture) se retrouve relatée dans tous les grands quotidiens français.

Entre respect, amusement et consternation, pour certains, qui ne voient là que singerie des manifestations anglaises ! Raah, ces suffragettes, ces « hyènes en jupons »...

Séverine répondra aux critiques :

« Quelles raisons nous ont fait choisir Condorcet comme patron du féminisme ? D'abord parce que c'est un homme, et qu'il nous plaît de démentir la légende imbécile qui nous représente en état de guerre contre l'autre moitié du genre humain... »

Conclusion

Terrible coup dur, pour les suffragistes françaises !

L'entrée de la France dans la Première Guerre Mondiale, à peine 1 mois après la marche, met un coup d'arrêt au mouvement. Même chose lors de la Seconde.

Il faut attendre le 21 avril 1944 pour que les femmes françaises obtiennent enfin le droit de voter et de se présenter à une élection, via l'ordonnance de De Gaulle.

Attendre un an de plus, pour voir les Françaises voter pour la toute première fois, le 29 avril 1945, aux municipales.

Sources

  • Jean-Michel Guieu. Gagner la paix : 1914-1929. Éditions du Seuil, 2016.
  • Benoîte Groult. Le féminisme au masculin. Grasset, 2010.
  • Le vote des femmes en France : le « référendum » du 26 avril 1914. Histoire par l'Image, histoire-image.org. Mars 2017.
  • Collectif. Femmes et République. La Documentation française, 2021.
  • Dossier de presse Exposition de l’ordonnance instituant le droit de vote des femmes de 1944. Cycle Les Essentiels, 14 septembre 2022 – 9 janvier 2023, Archives nationales Paris/Pierrefitte-sur-Seine.
  • Dossier documentaire en ligne Vote des femmes, 1914 : Campagne Condorcet. Bibliothèques spécialisées de la ville de Paris, bibliotheques-specialisees.paris.fr.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !