Que deviennent-ils après leur mort ?
La question du bien-être animal dans nos sociétés n’est que très récente.
Au 19e siècle, les animaux dits domestiques, qu’ils soient chiens, chats ou chevaux, n’ont que peu de place.
En 1824, la Société protectrice des Animaux naît en Angleterre : la Society for the Prevention of Cruelty to Animals.
En France, il faut attendre 1850, pour que le comte Jacques Delmas de Grammont, militaire et député de la Deuxième République, fonde la SPA.
Protéger nos compagnons à poils et à plumes de leur vivant, c’est bien : mais que se passe-t-il au moment de leur mort ? Rien n’est prévu dans ce sens.
Les dépouilles se retrouvent au mieux chez l’équarrisseur, au pire et bien souvent, jetées aux ordures ou dans les fleuves et rivières !
La loi de 1898 qui change tout !
Tout change lorsque la loi du 21 juin 1898 (article 27) autorise, notamment, l’enfouissement des animaux domestiques :
« Tout propriétaire d’un animal mort de maladie non contagieuse est tenu, soit de le faire transporter dans les 24 h à un atelier d’équarrissage régulièrement autorisé, soit, dans le même délai, de le détruire par un procédé chimique ou par combustion, soit de le faire enfouir dans une fosse située autant que possible à 100 m des habitations, et de telle sorte que le cadavre soit recouvert d’une couche de terre ayant au moins 1 m d’épaisseur. Il est défendu de jeter des bêtes mortes dans les bois, les rivières, les mares ou à la voirie, et de les enterrer dans les étables, dans les cours attenants à une habitation, ou à proximité des puits, des fontaines et abreuvoirs publics. »
La voie était toute tracée pour la création d’un cimetière d’animaux !
L’avocat Georges Harmois et la fondatrice du journal féministe La Fronde, Marguerite Durand, s’attellent à cette tâche.
Un lieu paisible en bords de Seine
« Peu nous importe que l'on nous raille, lorsque nous crions bien haut que la dépouille d'un chien vaut mieux que la boîte à ordures. Mais à côté de ces vues plus élevées, il y a la question pratique. Il n'y a pas à Paris de moyen de se débarrasser d'un animal mort. Quelque parti qu'on prenne, on s'expose à une contravention. Nous venons répondre à un véritable besoin. »
C'est Georges Harmois, l'un des deux fondateurs du cimetière, qui s’exprime ainsi dans la presse, en 1899.
Le plus difficile, en fait, est de trouver un espace suffisamment grand, à 100 mètres de toute habitation, comme le voulait la loi de 1898.
L’endroit idéal se trouve à Asnières, au nord-ouest de Paris. Les bords de Seine y sont paisibles, avec son île des Ravageurs, occupée par des chiffonniers.
Cet îlot n’existe plus, aujourd’hui : il a été rattaché aux quais, lors de remblaiements dans les années 1970.
Un cimetière unique en France ouvre ses portes
Les deux compères créent, le 2 mai 1899, la Société Anonyme du Cimetière pour Chiens et autres Animaux Domestiques.
Le 5 juin suivant, la Société achète une partie de l’île des Ravageurs au baron de Bosmolet.
Le cimetière, le premier du genre créé, si ce n’est au monde, en France, ouvre au public à l’été 1899 !
Les membres de la Société instaurent des règles strictes, pour l'organisation des futurs inhumations, comme celle-ci, qui dit que l’on « ne permettra ni cérémonie, ni décoration ayant l'air de pasticher les inhumations humaines, ce qui serait manquer au respect dû aux morts ; les croix notamment sont rigoureusement interdites. »
De nos jours, ce règlement n’est plus appliqué. Épitaphes touchantes, jouets, gamelles ou statuettes décorent les tombes !
Des difficultés, puis la renaissance du cimetière
En 1986, le conseil d’administration décide la fermeture du cimetière, pour l’année suivante.
Les concessionnaires et amoureux du lieu se mobilisent : la mairie d’Asnières demande notamment le classement du cimetière, afin de le sauver.
Le 25 juin 1987, le cimetière obtient son classement pour son « intérêt à la fois pittoresque, artistique, historique et légendaire. »
Et alors que le conseil de la ville avait décidé de confier la gestion du cimetière à une société privée, la mairie d'Asnières reprend sa direction début 1997.
Ce qui est toujours le cas !
Petite visite du cimetière d'Asnières
Le portail art Nouveau
On doit le portail d’entrée monumental à l’architecte Eugène Petit, avec ses deux accès pour le public.
Il est de style art Nouveau.
Combien d'animaux reposent ici ?
En 2019, on comptait 869 tombes d’animaux de tous poils, de la France entière et de l’étranger.
Chats et chiens, bien sûr, mais aussi un cheval, un mouton, une poule, un singe, une tortue, des rongeurs.
Autant de petits monuments touchants d’amis, de confidents, de compagnons d’une vie !
Marquise et Tony
Cette jolie tombe est celle des chiens de la princesse d’origine russe Lobanof de Rostoff.
Mémère, la mascotte des soldats
Née en 1914, cette chienne devient pendant 15 ans, jusqu’à sa mort, la fidèle compagne des chasseurs à pied, entre les deux Guerres Mondiales.
Elle appartient à Marie Sautet, surnommée la marraine des Poilus !
Cette généreuse Messine est restée célèbre pour avoir consacré ses économies à soutenir les soldats partis au front. Comment ?
En leur faisant parvenir des colis remplis de chocolats, livres, tabac, boîtes de conserve, petits mots de soutien !
Marie n'hésite pas à se rendre en personne au plus près des lignes de front, pour porter ses colis, la fidèle Mémère à ses côtés.
Rintintin, la star lorraine
Il a son étoile sur Hollywood Boulevard. Il est la première star des studios Warner... il repose à Asnières !
Mais saviez-vous que Rintintin est né en septembre 1918 en Meurthe-et-Moselle ? Oui, à Flirey, que l’armée américaine vient de libérer, en pleine Première Guerre Mondiale.
Le caporal Lee Ducan découvre, dans la ville bombardée, une chienne berger allemand et ses chiots de quelques jours.
Duncan adopte deux d’entre eux : il les baptise Nénette et Rintintin, du nom des peluches qu’offrent les enfants lorrains aux soldats, en guise de porte-bonheur !
Duncan ramène les deux chiots aux États-Unis.
Remarqué par le producteur Darryl Zanuck, qui l’a vu franchir une palissade d’un bond, Rintintin joue dans son premier film en 1922. Il en compte 28, à son actif !
Rintintin meurt le 10 août 1932, âgé de 13 ans. Lee Duncan le fait inhumer à Asnières.
Ses petits assurent la continuité, notamment dans la célèbre série éponyme des années 1950, créée par Lee Ducan himself !
Moustache, la mascotte napoléonienne
Adopté par les soldats de la grande Armée de Napoléon Ier, Moustache (1799-1811) est de toutes les batailles.
À Marengo, il donne l’alerte, la veille, alors que l’armée prussienne attaque par surprise. À Austerlitz, il récupère l’aigle que l’armée russe vole au porte-drapeau, mort au combat.
Moustache finit par rencontrer l’empereur : il lui fait le salut militaire en soulevant sa patte à hauteur de son oreille !
Ce barbet (un grand chien d’eau) meurt à l’âge de 12 ans, lors du siège de la ville espagnole de Badajoz.
Inhumé sur place, avec ses médailles militaires, sa tombe est malheureusement détruite par l’Inquisition, en 1814.
La plaque qui se trouve au cimetière d’Asnières a été posée en 2006 par les Amis du Patrimoine napoléonien.
Barry, le chien sauveteur
En 1900, la direction du cimetière fait élever ce monument en souvenir du chien Barry.
Un grand chien de la race à l'origine de l’actuel Saint-Bernard !
Ce placide colosse a été utilisé par l’hospice du Grand-Saint-Bernard, dans les Alpes suisses, pour porter secours aux voyageurs égarés dans la montagne.
Né vers 1800, Barry remplit son office jusqu’en 1814.
La phrase gravée sur le monument d’Asnières rappelle qu’il a sauvé la vie à 40 personnes, mais que la 41e lui fut fatale.
En effet, l’histoire raconte qu’une nuit, un voyageur perdu dans une tempête de neige voit galoper vers lui un énorme animal, tout croc dehors.
Pris de panique, il frappe la bête à la tête, avec son bâton ferré… il s’agit en fait de Barry ! Qui agonise dans la neige, les moines de l’hospice à ses côtés.
Barry est en fait mort de vieillesse, à Berne : le prieur du Grand-Saint-Bernard l’y avait envoyé finir tranquillement ses jours.
Sources
- Dépliant remis lors de notre visite 120 ans du cimetière des chiens 1899-2019. Édité par la Direction de la Communication de la ville d’Asnières, 2021.
- Élisabeth Bonnefoi. Marie Sautet, la plus généreuse marraine des poilus. Aleteia, aleteia.org. 10/11/2017.
- Christian Vignol. Les animaux les plus célèbres : anecdotes sur nos héros à poils et à plumes. Jourdan, 2017.
- Cimetière des Chiens d’Asnières. Tombes et sépultures, tombes-sepultures.com.
- Dorica Lucaci. Chats et chiens qui ont fait l'Histoire. L'Opportun, 2019.
- Laurent Lasne. L'île aux chiens, le cimetière pour animaux : naissance et histoire. Val-Arno, 1988.
- Bérénice Gaillemin. Vivre et construire la mort des animaux : le cimetière d'Asnières. In Ethnologie française (vol 39). 2009.