La mort de Maurice Dupin à Nohant

Image d'illustrationImage d'illustration | ©Céline Martin / Pixabay

Une nuit d’horreur, à Nohant.

Le père de George Sand, 4 ans, Maurice Dupin de Francueil, meurt des suites d’un terrible accident de cheval, sur le chemin qui le menait de La Châtre à Nohant. Il avait 30 ans.

Maurice, Nohant...

Maurice est le fils unique de Marie-Aurore de Saxe et Louis Dupin de Francueil, né en 1778.

Sa mère l'élève seule, après la mort de Louis, en 1786.

D'abord à Châteauroux, puis Paris, et finalement à Nohant, domaine que Marie-Aurore achète en 1793.

Ah, Nohant... lieu de tous les bonheurs, de toutes les promesses !

Maurice, officier de l'armée impériale, promis à un brillant avenir !

Lieu de mort, aussi, puisque c'est là que le jeune homme rend son dernier souffle, après une terrible chute de cheval...

Le terrible Leopardo

Voilà Leopardo d’Andalousie. L’objet du crime, si je puis dire !

George Sand raconte :

« C’était Ferdinand VII, le prince des Asturies, qui avait fait don de ce terrible cheval à mon père, à la suite d’une mission que celui-ci avait remplie à Aranjuez. Il avoua que c’était le seul cheval qu’il ne pût monter sans une sorte d’émotion. C’était pour lui une raison de plus pour vouloir s’en rendre maître, et il trouvait du plaisir à le vaincre. Pourtant, il lui arriva une fois de dire : « Je ne le crains pas, mais je le monte mal, parce que je m’en méfie, et il le sent. »

La soirée du drame

Le 17 septembre 1808, Maurice se rend chez des amis à La Châtre, dîner et passer tranquillement la soirée.

Vers minuit, sa mère, Marie-Aurore de Saxe, s’inquiète. Maurice. Il n'est pas rentré.

Son cœur se serre. 8 kilomètres seulement séparent La Châtre de Nohant !

George raconte qu’à cette époque, la vieille dame ne marche quasiment plus.

Exceptée cette nuit « sombre et pluvieuse », où la mère qu’elle est sort dans la nuit noire

« relever son cadavre à une lieue de la maison, à l’entrée de La Châtre. Elle partit seule, en petits souliers de prunelle, sans châle, comme elle se trouvait en ce moment-là. »

Mais son fils était déjà mort...

Le récit de l'accident

C'est George Sand qui raconte le drame :

« Voici comment ce funeste accident était arrivé. Au sortir de la ville, cent pas après le pont qui en marque l’entrée, la route fait un angle. En cet endroit, au pied du treizième peuplier, on avait laissé, ce jour-là, un monceau de pierres et de gravats. Mon père avait pris le galop en quittant le pont. Il montait le fatal Leopardo. Au détour de la route, le cheval de mon père heurta le tas de pierres dans l’obscurité. Il ne s’abattit pas, mais, effrayé et stimulé sans doute par l’éperon, il se releva par un mouvement d’une telle violence, que le cavalier fut enlevé et alla tomber à dix pieds en arrière. Étendu sur le dos, sans aucune blessure apparente, la colonne vertébrale brisée, il est mort sur le coup. Au lieu fatal, terme de sa course désespérée, ma pauvre grand’mère tomba comme suffoquée sur le corps de son fils. [...] La pauvre mère, pâmée sur le corps de son fils, ne faisait entendre qu’un râle semblable à celui de l’agonie. »

Maurice DupinMaurice Dupin | ©Paris Musées - Musée de la Vie romantique / CC0

L'annonce à Sophie

Terrible. Marie-Aurore vient de perdre son fils unique.

Maintenant, il fallait annoncer le drame à Sophie, son épouse, la mère de George Sand.

Celle-ci écrit :

« Je ne sais pas ce qui se passa jusqu’au moment où ma mère apprit cette effroyable nouvelle. Il était six heures du matin, et j’étais déjà levée. Ma mère s’habillait. Je la vois encore au moment où Deschartres (précepteur de Maurice, ndlr) entra chez elle sans frapper, la figure si pâle et si bouleversée, que ma mère comprit tout de suite.

« - Maurice ! s’écria-t-elle ; où est Maurice ? »

« Deschartres ne pleurait pas. Il avait les dents serrées, il ne pouvait prononcer que des paroles entrecoupées :

« - Il est tombé….. non, n’y allez pas, restez ici… Pensez à votre fille… Oui, c’est grave, très grave…. »

« Et enfin, faisant un effort qui pouvait ressembler à une cruauté brutale, mais qui était tout à fait indépendant de la réflexion, il lui dit avec un accent que je n’oublierai de ma vie :

« - Il est mort ! » Puis il eut comme une espèce de rire convulsif, s’assit, et fondit en larmes.

George Sand enfantGeorge Sand enfant | ©Paris Musées - Musée de la Vie romantique / CC0

Quand mon papa aura fini d’être mort...

George Sand poursuit :

« Je vois encore dans quel endroit de la chambre nous étions. C’est celle que j’habite encore et dans laquelle j’écris le récit de cette lamentable histoire. Ma mère tomba sur une chaise derrière le lit. Je vois sa figure livide, ses grands cheveux noirs épars sur sa poitrine, ses bras nus que je couvrais de baisers ; j’entends ses cris déchirants. Elle était sourde aux miens et ne sentait pas mes caresses. Deschartres lui dit :

« - Voyez donc cette enfant, et vivez pour elle. »

« Je ne sais plus ce qui se passa. Sans doute les cris et les larmes m’eurent bientôt brisée : l’enfance n’a pas la force de souffrir. J’avais pourtant compris la mort, mais apparemment je ne la croyais pas éternelle. Je ne pouvais me faire l’idée d’une séparation absolue, et je reprenais peu à peu mes jeux et ma gaîté avec l’insouciance de mon âge. De temps en temps, voyant ma mère pleurer à la dérobée, je m’interrompais pour lui dire de ces naïvetés qui la brisaient.

« - Mais quand mon papa aura fini d’être mort, il reviendra bien te voir ? »

« La pauvre femme ne voulait pas me détromper complètement ; elle me disait seulement que nous resterions bien longtemps comme cela à l’attendre. Elle avait au plus haut point le respect de l’enfance, que l’on met trop de côté dans des éducations plus complètes et plus savantes. »

Maurice repose aux côtés des siens, dans le tout petit cimetière familial du domaine de Nohant.

Source

  • George Sand. Histoire de ma vie.