La Marseillaise, née et jouée pour la première fois à Strasbourg !
En deux mots !
Strasbourg. Nuit du 25 au 26 avril 1792.
Claude Joseph Rouget de Lisle, 32 ans, écrit un chant de guerre qui ne s’appelle pas encore Marseillaise, au n° 81 de la Grand-Rue.
Ce militaire de formation, poète et auteur dramatique à ses heures perdues, a été nommé capitaine du Génie dans l'armée du Rhin, envoyé en poste à Strasbourg en avril 1791.
Mais ! Une guerre ?! Quelle guerre ?
La situation de la France, au moment de la création
Les acquis de la Révolution de 1789 seraient-ils menacés ?
Roi de Prusse et empereur d’Autriche, main dans la main, seraient aux portes de la France, prêts à envahir le royaume, pour écraser les révolutionnaires !
- Louis XVI espère qu’une guerre permettra la victoire des armées des Habsbourg (sa belle-famille), qui les rétabliront dans leur droit ;
- les Girondins, eux, veulent profiter de la guerre (qu’ils remporteront, bien sûr), pour exporter les idées de la Révolution au-delà de la France, afin de libérer les peuples européens opprimés par leurs rois.
La guerre est donc déclarée au « roi de Hongrie et de Bohème », le 20 avril 1792, au nom « du roi des Français et de la Nation. »
Quelques mois plus tard, le 10 août 1792, la monarchie tombait définitivement.
C'est dans ce contexte de guerre que la Marseillaise va etre composée.
Le commanditaire de la Marseillaise, un maire érudit et éclairé
Avant de composer la Marseillaise, Rouget de Lisle a écrit l'Hymne de la Liberté, pour la fête de la Constitution du 25 septembre 1791, sur une musique signée Pleyel (oui, celui des pianos).
Le commanditaire de cet Hymne s'appelle Philippe Frédéric de Dietrich.
Ce n’est autre que le tout premier maire de Strasbourg. Un homme des Lumières, un vrai !
Amoureux des arts et des lettres, c’est un franc-maçon acquis aux idées nouvelles de la Révolution française.
Celui-là même qui commande à Rouget de Lisle la future Marseillaise !
« Quelque chose qui mérite d'être chanté »
Dans la journée du 25 avril 1792, Dietrich reçoit du monde chez lui, à l’hôtel Dartein, au n° 17 de la rue des Charpentiers, à Strasbourg.
Oh, quelques amis civils et militaires, dont les futurs généraux Kleber et Desaix : il s’agit d’offrir un banquet d’adieu aux volontaires qui vont partir pour le front, et dont fait partie le fils de Dietrich.
Rouget de Lisle, qui est un familier de l’hôtel du maire, a lui aussi répondu présent.
Dietrich lui demande alors d'écrire un chant de guerre digne de ce nom, pour remplacer le célèbre Ah, ça ira, ça ira, que l’on avait trop entendu.
« Voyons, Rouget, faites-nous quelque chose qui mérite d’être chanté ! »
Le soir, rentré chez lui, au n°81 de la Grand-Rue, Rouget s’exécute. Il passe la nuit à composer ce qu'il nomme Chant de guerre pour l'Armée du Rhin, dédié au maréchal Luckner, commandant de cette armée.
Au matin du 26 avril 1792, Rouget de Lisle, petits yeux, mine fatiguée, retourne chez Dietrich, présenter sa création !
La Marseillaise entonnée pour la première fois
La scène est archi connue ! Elle se déroule chez le maire Dietrich, à Strasbourg.
Le peintre Isidore Pils en a fait un célèbre tableau, en 1849 : on y voit Rouget de Lisle entonnant sa création, en s’accompagnant au clavecin.
Ce qui est... faux ! C’est l’épouse du maire, Louise de Dietrich, qui accompagne la voix de son mari au clavecin.
Elle écrit plus tard à son frère :
« Je te dirai que, depuis quelques jours, je ne fais que copier de la musique, occupation qui m'amuse et me distrait beaucoup. Comme tu sais que nous recevons beaucoup de monde et qu'il faut toujours inventer quelque chose, mon mari a imaginé de faire composer un chant de circonstance. Le capitaine de génie Rouget de Lisle, un poète et compositeur fort aimable, a rapidement fait la musique du chant de guerre. Mon mari, qui est un bon ténor, a chanté le morceau qui est fort entraînant et d'une certaine originalité. C'est du Gluck, en mieux, plus vif et plus alerte. Moi, de mon côté, j'ai mis mon talent d'orchestration en jeu, j'ai arrangé les partitions sur le clavecin et autres instruments. J'ai donc eu beaucoup à travailler. Le morceau a été joué chez nous à la grande satisfaction de l'assistance. »
Où a eu lieu la première de la Marseillaise ?
Une plaque commémorative, apposée sur la façade de l’actuelle Banque de France de Strasbourg, place de Broglie, rappelle qu’à cet emplacement, s’élevait l’hôtel ou fut jouée la Marseillaise pour la première fois, chez le maire Dietrich.
En fait, ce serait faux ! C’est l’historien Claude Betzinger (archives à l’appui) qui nous le dit.
Cet évènement historique a bien eu lieu chez le maire Dietrich, oui... mais pas dans cet hôtel particulier.
Il s'est déroulé au domicile qu’il occupe et qu’il loue en 1792, soit le n°23 (actuel 17) de la rue des Charpentiers : l’hôtel de Dartein !
L'origine des paroles de la Marseillaise
Les paroles de son Chant de guerre, Rouget ne les sort pas de son esprit, tout brillant qu'il soit.
Il s'inspire des textes patriotiques agressifs, que l'on trouve alors dans les clubs strasbourgeois, au lendemain de la proclamation de la guerre.
À l’image de ceux du club de l'Auditoire, dont Rouget fait partie.
Regardez un peu, l’un de ces textes commence par :
« Aux armes, citoyens ! L'étendard de la guerre est déployé ; le signal est donné. Aux armes ! Il faut combattre, vaincre ou mourir ! Marchons ! Soyons libres jusqu’au dernier soupir... »
Incroyable, non ? Mais minute !
Rouget de Lisle aurait également trouvé l’inspiration dans le texte de Claude-Rigobert Lefebvre de Beauvray, intitulé Adresse à la Nation Angloise, publié à Amsterdam en 1757.
Dans ce poème de 8 pages, on lit ceci :
« Va, pour s’entredétruire, arme tes bataillons, Et de ton sang impur abreuver tes sillons. Quels murmures ! Quels cris ! Quelle horrible licence ! L’air mugit, l’éclair brille, et l’orage commence. »
Sans oublier un petit tour chez Boileau, avec cette Ode sur un bruit qui courut en 1656 :
« Et leurs corps pourris dans nos plaines N’ont fait qu’engraisser nos sillons. »
L'air de la Marseillaise
Quid de la musique de la Marseillaise ? On en a dit, des choses !
Rouget de Lisle aurait été inspiré par Mozart ! Hum, peut-être pas, tout de même.
Il aurait en revanche, semble-t-il, plagié l’œuvre d’un oratorio écrit en 1784 par Jean-Baptiste Grisons, compositeur, organiste et « maître de la chapelle » de la cathédrale de Saint-Omer ; lui-même avait tiré sa musique de la pièce de Racine, Esther.
De Strasbourg... à Marseille !
À la base, on l'a vu, notre hymne national né à Strasbourg s'appelle Chant de guerre pour l'Armée du Rhin.
Dietrich l’a largement diffusé à travers l’Alsace. Bientôt, le Chant ne connaitra plus de frontières !
Le 29 avril 1792, la création de Rouget retentit sur la Place d’Armes de Strasbourg, lors d’une parade militaire qui réunit les hommes du premier bataillon de volontaires nationaux du Rhône-et-Loire, venus du Haut-Rhin.
Des copies leur sont distribuées. L’une d’elle tombe entre les mains du docteur François Mireur, futur général des armées d’Égypte de Bonaparte. On l’a chargé d’organiser la marche des volontaires du Sud de la France vers la capitale.
En juin 1792, un banquet réunit à Marseille les fédérés de la cité phocéenne, ainsi que ceux de Montpellier et Toulon. Mireur y entonne le Chant, repris par la foule.
Le Chant prend alors le nom de Chant de guerre des armées aux frontières. Quand tous les volontaires quittent Marseille, le 2 juillet 1792 au soir, pour Paris, tout le monde a les paroles aux lèvres !
Même chose en entrant à Paris, le 30 juillet 1792. Les Parisiens l'adoptent à leur tour : ils l’ont appris des fédérés venus de Marseille… le Chant pour l'armée du Rhin devient donc naturellement Marseillaise !
La Marseillaise au fil du temps
La Marseillaise est adoptée comme hymne national le 14 juillet 1795, par le Comité de salut public.
Ce jusqu'en 1804, où Napoléon Ier lui préfère le Chant du départ.
Abandonnée sous la Restauration et le retour sur le trône des Bourbons, elle revient en force après la Révolution de 1830 et les Trois Glorieuses.
La Marseillaise est progressivement interdite, jusqu'en 1879 et la IIIe République, qui en fait de nouveau l'hymne national.
La suite ?
Rouget de Lisle quitte Strasbourg le 13 juin 1792, pour aller commander le fort alsacien de Huningue.
Le 10 août, il est démis de ses fonctions de capitaine, car il a protesté contre l'enfermement de Louis XVI, après la prise des Tuileries du 10 août 1792 !
Son ami strasbourgeois Dietrich, lui, finit guillotiné en décembre 1793.
Rouget de Lisle, jusqu’à sa mort en 1836, ne fera que vivoter, sans connaître aucun succès artistique.
En 1826, il se retrouve même en prison pour dettes !
Sources
- Arthur Loth. Le chant de la Marseillaise : son véritable auteur. 1886.
- Claude Betzinger. Sur le véritable lieu de la première exécution de la Marseillaise chez le maire Frédéric de Dietrich le 26 avril 1792. In Annuaire de la Société des amis du Vieux Strasbourg (tome 32). 2006-07.
- David A. Bell. Aux origines de la « Marseillaise » : l'adresse à la nation angloise de Claude-Rigobert Lefebvre de Beauvray. In Annales historiques de la Révolution française. 1995.
- Ferdinand Reiber. Le centenaire de la Marseillaise : étude historique. 1892.
- Le Roy de Sainte-Croix. La Marseillaise de Rouget de Lisle : notice historique. 1880.
- Pierre Larousse. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (vol 10). 1866.
- Philippe Valode. Les hauts lieux de l'Histoire de France. L'Opportun, 2020.