L'île d'Aix, les derniers jours de Napoléon Ier en France

Du 8 au 15 juil. 1815

Napoléon Ier (R.U. Massard, 1785-1843)Napoléon Ier (R.U. Massard, 1785-1843) | ©Rijksmuseum / CC0

En deux mots !

C'est sur l’île d'Aix que Napoléon Ier séjourne pour la dernière fois en France, du 8 au 15 juillet 1815.


Encerclé par les Anglais, il est pris de mille doutes : tenter de fuir ? Se rendre ? C'est cette option qu'il choisi. Il quitte la France définitivement, pour l'île de Sainte-Hélène, à bord du célèbre HMS Bellerophon.

Quelle est la situation ?

Revenons au 18 juin 1815 ! La cuisante défaite de Waterloo signait la fin, pour Napoléon Ier. Le 22, l’empereur signait sa deuxième abdication. Oh, il avait bien tenté un retour, avec les Cent Jours, après sa fuite de l’île d'Elbe, au début de l'année 1815... en vain !


La signature de l'abdication faite, le gouvernement provisoire le pousse à quitter la France, pour ne pas tomber aux mains des Bourbons ou des Prussiens.

Napoléon Ier en 1815Napoléon Ier en 1815 | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Napoléon embarquerait-il pour les États-Unis ?

3 fois, les 23, 24 et 25 juin 1815, Napoléon demande à s’embarquer pour l’Amérique : il charge son ministre de la Marine, Decrès, de mettre à sa disposition deux frégates, au large de Rochefort.


Car Napoléon rêve d'Amérique... après tout, son frère Jérôme avait bien épousé miss Patterson, la fille d'un riche businessman ! Leur petit-fils Charles-Joseph Bonaparte sera même à l'origine de la création de l'ancêtre du FBI, en 1908...


Bref. L’aventure américaine tente un Napoléon qui voudrait s'y installer, acheter une propriété et se consacrer à l'étude scientifique du pays, comme il l'avait fait plus tôt en Égypte. Il écrira plus tard, pourtant, de son exil à Sainte-Hélène :

« Que ferais-je en Amérique ? Vivre en petit bourgeois ? J’y avais songé en 1815, dans un moment où j’étais très las. »

Départ de Paris, en route vers Rochefort

Napoléon quitte la Malmaison le 29 juin. Des étapes l’emmènent à Rambouillet, Chartres, Vendôme, Tours, Poitiers, Niort, Surgères. Enfin, Rochefort, où il arrive le 3 juillet. On le loge à la Préfecture.


Comme convenu, les frégates la Saale et la Méduse (celle du célèbre naufrage) ont été mises à sa disposition, prêtes à appareiller.


Mais il apprend que la flotte anglaise bloque la rade de Rochefort ! Enfin, flotte, pas tout à fait : un seul gros navire, le célèbre Bellerophon. C’est sur ce navire que Napoléon quittera la France depuis l’île d’Aix, mais… nous n’y sommes pas encore !


Commandé par sir Frederick Maitland, le Bellerophon a beaucoup souffert, lors des batailles d’Aboukir et de Trafalgar. L’équipage de ce vieux rafiot, très lent, le surnomme Billy the Ruffian (Billy le bandit) : son nom vient pourtant de la mythologie grecque ! Il désigne en effet le roi de Corinthe, fils de Poséidon, qui tue la chimère, capture et dompte Pégase.

Préfecture de RochefortPréfecture de Rochefort | ©Patrick Despoix / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Attendre les sauf-conduits...

Revenons à nos moutons (de mer) ! Pour franchir le blocus anglais, Napoléon n'a qu'à attendre les sauf-conduits signés par les Anglais, promis par le gouvernement provisoire. Mais Fouché, qui les a demandés, n'est pas pressé.


L'ancien ministre de la Police de l’empereur entend bien faire son nid, au sein du nouveau régime royaliste qui va se mettre en place.


Ajouter des lenteurs aux démarches permettant à l’empereur de fuir l’arrangeait bien, lui et d’autres membres du gouvernement, pour se débarrasser à jamais de ce prisonnier gênant leurs ambitions… Alors, l'attente commence... 4 longs jours !

Fouché en 1815Fouché en 1815 | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Bloqué par les Anglais !

Le 7 juillet, le gouvernement somme Napoléon d’embarquer sur une des frégates. Plus il attend, plus il lui sera difficile de franchir la ligne anglaise ! Mais les vents contraires empêchent tout départ.


Napoléon finit par embarquer sur la Saale, direction l'île d'Aix. Il ne reverra jamais le continent...


Le 9 juillet au matin, c’est l’arrivée à Aix. Après un tour de l'île, de ses fortifications, l’empereur veut regagner la Saale. Il apprend que le retour sur le continent lui est interdit ! Le voilà bloqué entre Rochefort et les Anglais, au large ! Plus de retour possible.


En plus, Louis XVIII est entré à Paris, la veille… le gouvernement provisoire est sur le point de céder sa place aux Bourbons : Napoléon n'est plus le bienvenu sur le sol français.

On parlemente avec les Anglais

Le 10 juillet, Napoléon envoie son mémorialiste Las Cases et son ministre Savary parler au capitaine du Bellerophon, Maitland : l’empereur compte se rendre aux États-Unis, il lui faut un laissez-passer du gouvernement anglais.


On leur a déjà demandé le document, mais on l’attend toujours ! Maitland a-t-il des nouvelles ? Réponse de l'Anglais : il n’a jamais entendu parler de saufs-conduits !


Et, petite précision : si Napoléon tente la moindre sortie en mer, il sera attaqué. Mais on peut toujours s'arranger pour qu'il trouve refuge en Angleterre, n'est-ce pas...

Se rendre aux Anglais ? Pourquoi pas

Le 11 juillet 1815, parmi la suite de Napoléon, à bord de la Saale, ça discute ferme ! Certains disent qu'il faut vite partir, pour les États-Unis, il est encore temps. D’autres grondent : « Méfiance, avec la proposition d'asile des Anglais ! » D'autres encore assurent qu'il faut, au contraire, faire confiance.


Napoléon, lui, semble voir en l’Angleterre une noble terre d’accueil, où « il jouirait des prérogatives d’un citoyen anglais. » À Carnot, il dit : « Je suis tenté d’aller en Angleterre, le peuple anglais est généreux. »


Après tout, lui-même avait déchu et exilé les rois d’Espagne, en 1808 : il avait fait de leur exil à Valençay une prison dorée remplie de doux loisirs… alors, pourquoi ne ferait-on pas de même avec lui ? On le traiterait comme un souverain sans terre, rien de plus !


En tous cas, Napoléon hésite. Il est rempli d’émotions contradictoires. Alors, au fil des jours qui passent, le scénario du départ américain se complique. Devient impossible.

Napoléon débarque sur l'île d'Aix

Le 12 juillet 1815, Napoléon décide de re-débarquer sur l'île d'Aix, les vents n’étant toujours pas avec eux. Il s'installe dans la maison du gouverneur, dont il avait ordonné la construction, en 1808.


Vous savez ? C’est lors de cette visite qu’il avait, entre autres, ordonné la construction du fort Liédot, et d'où il surveillait la construction du fort Boyard voisin.


Il prend la chambre du premier étage, car « elle avait plusieurs issues et qu’il distinguait du balcon la rade des Basques, où étaient mouillés les vaisseaux ennemis. »

Maison de l'Empereur, île d'AixMaison de l'Empereur, île d'Aix | ©Ji-Elle / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Des projets d'évasion à la pelle !

Pendant ce séjour sur l'île, on hésite. Doit-on s'enfuir, forcer le passage des lignes anglaises ? Les projets d'évasion ne manquent pas !

  • Le capitaine de la Méduse propose d'attaquer le Bellerophon : pendant ce temps, la Saale passera avec Napoléon à son bord.
  • Le capitaine Baudin, commandant les corvettes l'Infatigable et Bayadère, propose d'emmener l'empereur aux États-Unis sur le bateau américain le Pike, en l'escortant avec ses corvettes.
  • De jeunes aspirants de marine proposent de le conduire, lui et sa suite, sur deux gros chasses-marées (canots à rames), et de le remettre au bon vouloir des vents, en espérant qu’un navire de commerce neutre les récupère.
  • Le lieutenant Besson et sa goélette La Magdalene propose de charger son bateau de tonneaux d'eau-de-vie et de transformer l'un d’eux... en cachette pour Napoléon.

L'empereur, encore une fois, hésite, hésite, retourne tous les scénarios dans sa tête… mais ne se décide pas !

Maison de l'Empereur : chambre de NapoléonMaison de l'Empereur : chambre de Napoléon | ©Ji-Elle / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Joseph Bonaparte à la rescousse ?

Le 13 juillet, Napoléon reçoit son frère Joseph. Ce dernier a fait affréter un brick américain, dans l'estuaire de la Gironde, le Commerce. Joseph lui propose de prendre sa place sur l'île d'Aix, et de lui laisser la sienne sur le brick.


Joseph jouerait de sa ressemblance avec son frère, pour se faire passer pour malade, et ne sortirait du lit que lorsque Napoléon serait aux États-Unis. L’empereur refuse. Il a, encore une fois… l'impression de fuir !

Joseph Bonaparte (1806)Joseph Bonaparte (1806) | ©Rijksmuseum / CC0

Une lettre restée célèbre

Dans la nuit du 13 au 14 juillet 1815, Napoléon, comme auréolé d’un calme olympien, semble s’être résolu.


Il vient d’écrire sa lettre célèbre de demande d'asile au prince régent anglais, dans la petite chambre de la maison du gouverneur de l'île d'Aix :

« En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique et viens, comme Thémistocle, m'asseoir sur le foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse royale, comme du plus puissant, de plus constant et généreux de mes ennemis. »

Napoléon embarquant sur le BellerophonNapoléon embarquant sur le Bellerophon | ©Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla

L'empereur quitte définitivement la France

Le 14 juillet 1815, Las Cases retourne à bord du Bellerophon, avec la célèbre missive. Oui, Maitland s'engage à mener l'empereur déchu en Angleterre, avec sa suite. Sans plus de précision.


Le 15 juillet, à l'aube, Napoléon monte à bord du brick l’Épervier, suivi de 70 personnes de sa suite. Le HMS Bellerophon l’attend. Ce que personne ne semble savoir, c’est que Maitland a des instructions :

  • Napoléon ne sera jamais l'hôte des Anglais, en Grande-Bretagne ;
  • il ne doit pas non plus mettre le pied en Angleterre, ni revenir en France.

L'empereur doit juste être mis hors d'état de fourrer son nez dans les affaires de l'Europe. Une bonne fois pour toutes !


Le 7 août, il embarque à bord du HMS Northumberland. Destination : la minuscule île de Sainte-Hélène, au milieu de l'Atlantique Sud. Il y mourra le 5 mai 1821.

Sources

  • Thierry Lentz. Savary : le séide de Napoléon. Fayard, 2001.
  • Guy Godlewski. Napoléon et les États-Unis. In Revue des Deux Mondes. Août 1977.
  • Jacques Macé. Dictionnaire historique de Sainte-Hélène. Tallandier, 2004.
  • Paul Gordeaux. L'épopée amoureuse de Napoléon. Éditions Lefeuvre, 1978.
  • Claude-Alain Saby. 1815 : les naufragés de l'Empire. Éditions Servimédia, 2005.
  • Pierre Branda. Napoléon à Sainte-Hélène. Perrin, 2021.
  • Georges Maze-Sencier. Le dernier séjour de l'empereur en France, la rade de l'île d'Aix (8-16 juillet 1815). 1899.
  • Henry Houssaye. La route de Sainte-Hélène : les derniers jours de Napoléon en France. In Revue des Deux Mondes. 1904.