Les petites histoires de l'exil du roi Ferdinand VII d'Espagne à Valençay

De 1808 à 1814

Ferdinand VII (Goya, 1800)Ferdinand VII (Goya, 1800) | ©The Metropolitan Museum of Art / CC0

Détrôné, Ferdinand !

Talleyrand, brillant diplomate et ministres des Affaires étrangères de Napoléon, achète le château et son domaine de 19 471 hectares en 1803.

Lui qui voulait disposer d’une belle demeure, pour recevoir ses hôtes de marque, il va être servi !

Mais il faut tout refaire : il fait redécorer les appartements dans le style Empire et redessiner le parc.

Bienheureux dans son petit paradis berrichon, Talleyrand pensait que rien, jamais, ne viendrait entraver son bonheur.

À moins que... Voilà que Napoléon exile le roi d'Espagne Ferdinand VII.

On est en pleine guerre entre les Bourbons espagnols et le Royaume-Uni, opposées à la France de Napoléon Ier.

Le Corse fait abdiquer Ferdinand et met son frère Joseph sur le trône.

Que faire du jeune Ferdinand le détrôné, 24 ans ?

On l’envoie, avec son oncle Antonio (53 ans) et son frère l’infant don Carlos (20 ans), prendre le frais à Valençay. Talleyrand se fera un plaisir de jouer les geôliers...

ValençayValençay | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Recevoir... des hôtes illustres

L’empereur écrit à Talleyrand :

« Votre mission est honorable : recevoir chez vous trois illustres personnages pour les amuser est tout à fait dans le caractère de la nation et celui de votre rang. »

Talleyrand enrage ! On le vire de chez lui ! Hmm… soi-disant, c'est une affaire de quelques mois…

Napoléon avait d'ailleurs écrit à Talleyrand :

« Je désire que les princes soient reçus sans éclat extérieur, mais honnêtement et avec intérêt, et que vous fassiez tout ce qui vous sera possible pour les amuser. Si vous avez à Valençay un théâtre, et que vous fassiez venir quelques comédiens, il n'y aurait pas de mal… »

Talleyrand répond :

« Les princes auront tous les plaisirs que peut permettre la saison qui est ingrate. Je leur donnerai un parc pour se promener, une forêt très bien percée, des chevaux, des repas multipliés et de la musique. »

Pour le théâtre, « il n’y en a point. » Mais « il y aura assez de femmes pour que les princes puissent danser si cela les amuse. »

Chambre de FerdinandChambre de Ferdinand | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Les princes arrivent à Valençay

Bref ! Voilà donc ces princes, issus d'une des plus vieilles familles d'Europe, qui débarquent au château, le 18 mai 1808...

Talleyrand écrit dans ses Mémoires :

« Les princes étaient jeunes, et sur eux, autour d'eux, dans leurs vêtements, dans leurs voitures, dans leurs livrées, tout offrait l'image des siècles écoulés. Cet air d'ancienneté, en rappelant leur grandeur, ajoutait encore à l’intérêt de leur position. »

Les Espagnols restent, non pas 3 mois, comme prévu... mais 5 ans !

Valençay devient une vraie prison dorée.

Chambre de Ferdinand : détailChambre de Ferdinand : détail | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Ragoût espagnol et maître d'équitation

Talleyrand fait tout pour leur rendre le séjour agréable.

Il entoure ses hôtes « de respect, d’égards et de soins. »

Un des cuisiniers du château, Boucher, « mit tout son art et son cœur à leur faire de mauvais ragoûts espagnols » !

Le curé de Valençay s'occupe de soulager leurs âmes.

Un médecin de Toulouse est toujours disponible pour le moindre petit bobo.

On engage un « maître de musique » de Châteauroux, un « chef de cabinet de physique » (les princes adorent faire des expériences).

Foucaut, de la Grande écurie du Roi à Versailles, leur donne des cours d'équitation. Les leçons de danse ? Ils les suivent « sans grand entrain » !

Ils partent à la chasse, dans le vaste domaine, on donne des bals sur la jolie terrasse du château…

Parc de ValençayParc de Valençay | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

À Valençay, plus d'étiquette !

« Être seuls, sortir dix fois par jour dans le jardin, dans le parc, étaient des plaisirs nouveaux pour eux. »

Enfin ! Ferdinand et Carlos, les deux frères, respirent, loin de l’étouffante étiquette espagnole.

Elle leur interdisait tout loisir, danse, cheval, chasse. Même une simple promenade demandait une autorisation !

À Valençay, il goûte pour la première fois de leur vie à une liberté to-ta-le.

Incroyable, mais vrai : Talleyrand leur fait tirer leur premier coup de fusil !

Salon bleuSalon bleu | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Whist, broderies florales et grisailles

La table Louis XV du « salon bleu » a servi aux princes espagnols… de table de jeu ! Talleyrand est un grand amateur de jeu de cartes, de whist, tout particulièrement.

Dans le Grand salon, vous remarquerez les fauteuils et les canapés, avec leurs jolies tapisseries à motif floral : ce sont les dames de la cour d’Espagne qui les ont brodées, à partir de feuilles ramassées dans le parc !

Quant à la chambre du roi d’Espagne, le lit Louis XVI a été spécialement fabriqué pour Ferdinand.

Sur les murs, un magnifique papier peint panoramique en grisailles, présentant des scènes de la vie de Psyché et Cupidon !

Broderies des dames espagnolesBroderies des dames espagnoles | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Une taverne en pleine forêt

Au milieu des bois du domaine, des grottes de tuffeau ont partiellement servi de carrières de pierres, pour la construction du château.

L’une d’elle devient la « taverne des Espagnols » ou « buvette. »

C’est là que les majordomes du château accueillaient les princes espagnols en exil au château (lien) et les servaient des rafraîchissements !

Taverne des EspagnolsTaverne des Espagnols | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

On a frôlé l'incendie !

Un soir, Ferdinand tire en l’honneur de son hôte un feu d'artifice dans le jardin, qui brûle toute une allée en un dixième de secondes...

Du coup, le pauvre Talleyrand se plaint : ses « invités » ont mis le bazar chez lui !

Car ce n’est pas le seul feu d’artifices qu’ils font tirer :

« Oui, c'est assez bien. Mais les Espagnols y ont tout dégradé, à force d'y tirer des feux d'artifice pour la saint Napoléon. »

Taverne des EspagnolsTaverne des Espagnols | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Une tranquillité parfaite

Ferdinand, « moitié moine moitié sauvage » comme disait la duchesse de Dino, n'a pas songé un seul moment à s'enfuir.

Une légende raconte qu’il dénonçait même à ses gardiens les propositions d'évasions qu'on lui faisait !

Talleyrand rassure d’ailleurs vite l’empereur :

« Le château et les environs sont dans la tranquillité la plus parfaite. Je ne crois pas qu'il y ait un lieu dans le monde où on sache moins ce qui se passe en Europe. »

Chambre de Ferdinand : détailChambre de Ferdinand : détail | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Le départ des princes espagnols

Le 11 décembre 1813, le traité de Valençay signait le retour des princes chez eux : Ferdinand reprenait possession du trône de son père Charles IV, sous le nom de Ferdinand VII.

Le 13 mars 1814, « un simple frac de voyage sans aucune décoration » emportait les princes loin de Valençay.

Suivi par un long cortège de chariots, chargés de tous ce qu’ils avaient acheté en 5 ans : vins, argenterie, porcelaines, mobilier…

Avant de quitter le Berry, on l’avait félicité, Ferdinand soupire : « Priez Dieu que nous n’ayons jamais de motifs pour regretter Valençay ! »

Nostalgique, Ferdinand fera envoyer un portrait de lui au château (que l'on voit encore), et baptisera l’une de ses frégates du nom de Valençay...

Sources

  • Juliette Benzoni. Le roman des châteaux de France. Perrin, 2012.
  • Pierre Rain. Les chroniques des châteaux de la Loire. 1921.
  • André Hallays. En flânant... Touraine, Anjou et Maine. 1925.
  • Georges Lacour-Gayet.Talleyrand. 1930.