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Petite histoire de l'abbaye de Fontevraud en 6 anecdotes

Quand : 1098 - 1955

L'abbaye | Nono vlf / CC-BY-SA
Abbaye Bénédictin Abbaye de Fontevraud

1 - Robert d'Arbrissel, un moine scandaleux

Un moine ermite breton du nom de Robert d'Arbrissel fonde le monastère, vers 1098.

Les comtes de Montreuil-Bellay lui donnent des terres dans la forêt de Fontevraud.

La petite communauté mixte, faite d'hommes et de femmes, de lépreux, d'anciennes prostituées repenties, de princesses, s'établit petit à petit.

A sa tête, une femme : Pétronille de Chemillé, jeune veuve liée aux comtes d’Anjou.

On offre la possibilité aux hommes de l’abbaye de partir, s’ils ne veulent pas se soumettre à une femme...

En tous cas, Robert choque l’Église, avec cette cohabitation des sexes !

L’ermite breton est en fait un adepte du syneisaktisme : une pratique ascétique qui prône la cohabitation (chaste) entre des personnes de sexes opposés, pour justement combattre les tentations charnelles, en s’y confrontant.

Robert, lui, choque d’autant plus qu’il passe ses nuits... parmi les femmes !

Robert d'Arbrissel

Robert d'Arbrissel | ©Musée de Bretagne / Public domain

2 - Les abbesses, des princesses Bourbons

Depuis sa fondation en 1098, Fontevraud a vu défiler 38 abbesses, jusqu’en 1792, et nombres de sœurs issues de la noblesse (ou du moins sang royal).

Parmi elles, 5 abbesses de la famille des Bourbons se succèdent à Fontevraud :

  • Renée de Bourbon (1491-1534), tante de François Ier ;
  • Louise de Bourbon (1534-1575), cousine de François Ier ;
  • Éléonore de Bourbon (1575-1611), sœur d’Antoine de Bourbon, père du futur Henri IV ;
  • Louise de Bourbon de Lavedan (1611-1637) ;
  • Jeanne-Baptiste de Bourbon (1637-1670), fille légitimée d’Henri IV et de Charlotte des Essarts, du coup demi-sœur de… Louis XIII !
Eléonore de Bourbon (Fontevraud, salle capitulaire)

Éléonore de Bourbon (Fontevraud, salle capitulaire) | ©Fab5669 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Une tradition rapporte qu’Éléonore pousse son neveu Henri à se convertir : l’histoire prétend que cette conversion se déroula à Fontevraud même, lors de sa visite en 1590 !

En tous cas, à l’abbaye, deux religieuses priaient jour et nuit pour qu’Henri se rallie à l’Église catholique...

Les portraits de ces différentes abbesses sont immortalisés sous les voûtes de la salle capitulaire.

Jeanne Baptiste de Bourbon (Fontevraud, salle capitulaire)

Jeanne Baptiste de Bourbon (Fontevraud, salle capitulaire) | ©GO69 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

3 - La sœur de Mme de Montespan, « perle des abbesses »

Elle s’appelle Marie-Madeleine Gabrielle de Rochechouart.

Elle devient la 34e abbesse de Fontevraud en 1670, nommée par Louis XIV en personne : la première depuis bien longtemps, à ne pas être de sang royal, après 5 Bourbons !

Bon, il s’agit tout de même de la sœur de Mme de Montespan, la favorite de Louis XIV !

Saint-Simon écrit, en la comparant à ses deux autres sœurs : « C’était peut-être celle des trois qui avait le plus d’esprit, peut-être aussi la plus belle. »

Elle est cultivée, parle plusieurs langues, s’intéresse à la philosophie. D’où son surnom de « perle des abbesses » !

Elle traduit Platon. Racine, à qui elle demande de relire son travail, la complimente : « Son style est admirable, il y a une douceur que nous autres hommes n’attrapons point. »

Elle fait d'ailleurs représenter la tragédie de Racine, Esther, à Fontevraud, jouée par les sœurs !

Marie Madeleine de Rochechouart (Fontevraud, salle capitulaire)

Marie Madeleine de Rochechouart (Fontevraud, salle capitulaire) | ©GO69 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

4 - Une terrible prison, une évasion tragique

Les sœurs chassées de l’abbaye à la Révolution, Napoléon transforme celle-ci en une terrible prison en 1804.

Un enfer sur terre : elle est considérée comme l’une des plus dures prisons françaises !

  • En 1814, on compte 469 femmes et hommes ;
  • en 1817, 784 détenus, 1 087 en 1819, 1 617 en 1842 ;
  • on observe un pic de 1 826 prisonniers en 1853 !

De cette période sombre, un vestige : les « cages à poules », des cellules individuelles.

La petite histoire la plus célèbre sur cette période est celle de l’évasion de trois détenus, le 15 juin 1955. Ils s’appellent Georges Damen, Roger Dekker, Gustave Merlin.

Leur cavale d’une semaine fait les gros titres des journaux. Ils seront rattrapés et fusillés à une cinquantaine de km de l’abbaye-prison, à Ste-Maure-de-Touraine (37)...

Fontevraud

Fontevraud | ©Uwe Brodrecht / Flickr /CC-BY-SA

5 - De mystérieuses cuisines

Mystérieuses, des cuisines ? Celles de l’abbaye, en tous cas, oui ! C’est un bâtiment étonnant, à l’allure étrange, avec sa toiture couverte d’ardoises telles des écailles de poissons !

Construit au 12e siècle, il a un temps servi de chapelle funéraire, au début du 19e siècle, pour les gisants des Plantagenêts.

Mais plus qu’une cuisine, serait-ce un fumoir à viandes, à poissons (nombreux dans la Loire voisine), selon l’hypothèse de l’historien Michel Melot ?

L’idée est séduisante, mais sujette encore à caution. Une étude archéologique (entamée en 2017) est en cours !

Les cuisines

Les cuisines | ©Alain GENERAL / Pixabay

Mystérieuse aussi, car une légende très fantaisiste raconte qu’au 11e siècle (notre abbaye n’existe pas encore), la forêt voisine de Tranche-Col abritait les pires brigands qui soient.

Leur chef, Evrault, vivait au lieu-dit la fontaine d’Evrault. La légende s’en empare : jusqu’au 19e siècle, on croyait dur comme fer que les cuisines avaient été le repaire d’Evrault !

Un fanal à son sommet permettait d’attirer les voyageurs égarés et de les détrousser.

Mais un jour, Evrault trouve un homme endormi sous un arbre : Robert d’Arbrissel, le fondateur de la future abbaye. Un saint homme prêchant comme personne !

Alors que les sbires d’Evrault entraînent Robert pour le tuer, Evrault finit par s’interposer, s’agenouille aux pieds du moine... et se convertit.

Il n’en fallait pas plus pour que Robert ne décide de fonder ici son monastère !

Les cuisines

Les cuisines | ©Alain Rouiller / Flickr / CC-BY-SA

6 - Le séjour des filles cadettes de Louis XV

Saviez-vous que Louis XV envoie quatre de ses filles à Fontevraud, le 20 juin 1738 ?

Le couple royal donne naissance à 10 enfants, dont 8 filles.

Elles ne sont pas toutes élevées à la cour de Versailles : les « filles de France embarrassaient le château de Versailles et causent de la dépense », écrit Barbier dans son Journal anecdotique en avril 1738 !

Elles débarquent à Fontevraud avec un convoi de 120 chevaux, 8 carrosses, 20 fourgons, 200 personnes : leur séjour dure 12 ans.

Thérèse meurt à Fontevraud à l’âge de 8 ans, en 1744, à cause, dit-on, de l’humidité et du froid qui règnent dans l’abbaye.

Les trois autres retrouveront les fastes de Versailles : Victoire en 1748, âgée de 15 ans, Sophie et Louise en 1750, âgées de 16 et 13 ans.

Sources

  • Jean-Robert Masson. Guide du Val de Loire mystérieux. Éditions Tchou, 1968.
  • Jean-Marc Bienvenu. Aux origines d'un ordre religieux : Robert d'Arbrissel et la fondation de Fontevraud. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 1974.
  • Michel Melot. Histoire de l'abbaye de Fontevraud. CNRS Éditions, 2022.
  • Cécile Berly. Les femmes de Louis XV. Perrin, 2018.
  • Daniel Prigent. Fontevraud, une maison de force et de correction (1804-1963) dans une abbaye. Les nouvelles de l'archéologie (n°149, 2017).

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !