Le dernier souffle d'Agnès
Tout au bord de la route, au milieu d'un pré couleur mousse, on aperçoit la silhouette claire au toit roux d'un petit manoir rural.
Une pancarte sur un mur un peu ruiné nous apprend qu'il s'agit du « manoir d'Agnès Sorel », du 13e siècle.
Mais oui ! Saviez-vous que c'est ici que la belle Dame de Beauté, favorite du roi Charles VII (première maîtresse officielle d’un roi de France), a poussé son dernier soupir ?
En chemin pour la Normandie
La première maîtresse officielle d'un roi de France s'est mise en route en cette mi-février pour la Normandie, depuis son joli logis de Loches.
Elle qui était venue prévenir le roi d'un grand danger sur sa personne, un meurtre, qui sait...
Charles VII ? Oh, il était venu reconquérir la Normandie sur les Anglais !
Flux de ventre et testament
Agnès est alors enceinte de leur 4e enfant. Elle arrive au manoir du Mesnil-sous-Jumièges complètement épuisée par le voyage. Elle accouche d'un enfant mort-né.
Un peu pus tard, un « flux de ventre » (des diarrhées) la dévaste. Elle se sent partir !
Elle désigne ses exécuteurs testamentaires (Jacques Cœur l'argentier du roi et son médecin Robert Poitevin), puis trouve la force de rédiger son testament.
Elle lègue une partie de ses biens aux bonnes œuvres, surtout aux moines de Jumièges, pour qu'ils disent des messes pour elle...
À 18h30, le 9 février 1450, Agnès, 28 ans, rend son dernier souffle, après avoir murmuré ces mots : « C'est peu de chose, et orde (sale) et fétide, de notre fragilité. »
Et voilà. Elle s'éteint, dans ce manoir, si loin de sa riante Touraine...
De quoi est morte Agnès Sorel ?
Sa mort est brutale. Inattendue.
Est-ce vraiment un empoisonnement, comme l’a souvent murmuré certaines rumeurs ?
Des ascaris en grand nombre
Le médecin légiste et archéo-anthropologue Philippe Charlier a étudié les restes d’Agnès Sorel, en 2004.
Vous savez ? Son corps repose en la collégiale Saint-Ours de Loches (37).
Il indique qu’Agnès est atteinte d’ascaridiose : une maladie parasitaire où le tube digestif est infesté de vers blancs de 2 à 25 cm de long.
Les symptômes ? Douleurs, saignements digestifs, diarrhées, reflux de vers par la bouche, avec complications mortelles, si absences de traitement.
Des fougères mâles ?
Il a donc été retrouvé des œufs d’ascaris en nombre important, dans le liquide de décomposition d’Agnès Sorel.
Combiné à un autre élément, plus surprenant à première vue, celui-là : des pollens de fougère mâle !
La fougère mâle sert depuis l’Antiquité de vermifuge, de traitement contre oxyures, ténia ou autres ascaris, ainsi que l’explique Raspail dans Histoire naturelle de la santé et de la maladie chez les végétaux.
La racine de la fougère est prise en décoction, poudre ou lavement et tue le ver lentement, mais sûrement.
L'affaire du mercure : surdosage, empoisonnement ?
Si Agnès a, à coup sûr été soignée avec des décoctions de fougères mâles, elle a aussi reçu un traitement à base de mercure.
Le sel de mercure est bien connu depuis l’Antiquité comme remède contre de nombreux vers, associé à la fougère.
Sauf qu’avec Agnès Sorel... il semble qu’il y ait eu intoxication !
Une concentration très importante de mercure a pu être décelée sur ses cheveux et poils pubiens amalgamés au liquide de décomposition.
Ce n’est pas une contamination post-mortem (absence de mercure à la surface des os), mais bien une intoxication qui a été massive, et a eu lieu entre 48 et 72 heures avant la mort.
Après… est-ce un surdosage médicamenteux ou un empoisonnement ? Le mystère court toujours !
La liste des suspects
La mort d’Agnès Sorel a été très brutale. Donc vite suspecte. A-t-elle été empoisonnée ? Mais par qui ? Pourquoi ?
Sur la liste des suspects figure d’abord Antoinette de Maignelais, propre cousine d’Agnès, qui du haut de ses 16 ans, ne cache pas ses ambitions de devenir la nouvelle favorite en titre auprès du roi.
À la mort d’Agnès, Antoinette devient en tous cas la maîtresse de Charles VII et la nourrice des 3 filles que sa cousine avait données au roi...
Ensuite, on a le propre fils de Charles, le futur Louis XI, qui hait Agnès plus que tout, et entretient des relations houleuses avec son paternel.
Viendra le tour de Jacques Coeur, le grand argentier du roi (amant présumé d’Agnès), soupçonné de l’empoisonnement de la favorite, puis totalement blanchi.
Sources
- Clémentine Portier-Kaltenbach. Histoires d'os et autres illustres abattis. J.-C. Lattès, 2007.
- Philippe Charlier. Médecin des morts : récits de paléopathologie. Fayard, 2006.
- Pierre Champion. Agnès Sorel. 1930.
- Michel Benoit. Les morts mystérieuses de l’Histoire. Eyrolles, 2016.
- François Steenackers. Agnès Sorel et Charles VII. 1868.
- Pierre Clément. Jacques Cœur et Charles VII. 1866.