La fondation de l'abbaye au 13e siècle
L’histoire de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs commence lors de sa fondation, en 1204, au fond de la verte et lointaine vallée de Chevreuse.
C’est Mathilde de Garlande, princesse de haut rang, qui décide de fonder un monastère cistercien de femmes : le pendant féminin de l’abbaye voisine des Vaux-de-Cernay.
De cette première fondation médiévale nous reste un vestige : le beau pigeonnier !
Une histoire de... poireaux !
La vallée s’appelle, lors de sa fondation au 13e siècle, Porrois. C’est alors un lieu inculte, en friche, couvert de mauvaises herbes et de marécages.
Or, Porrois viendrait de, deux choix possibles :
- porra, qui en vieux latin désigne un trou rempli d’eau stagnante ;
- porrus, le poireau, qui pousse en abondance sur ce genre de terrain humide.
Vous serez d'accord, ces deux étymologies manquent clairement de charme ! Du coup, le nom Porrois se transforme ensuite en Port-Royal.
Angélique Arnauld, la forte tête réformatrice
Voilà la plus célèbre abbesse de Port-Royal ! Angélique (née Jacqueline) Arnauld.
- Issue d’une famille de robe d’origine protestante, ses parents ont 20 enfants : 10 seulement survivent.
- Parmi eux, Jacqueline, une petite plus vive que les autres. Après avoir marié l’aînée des filles, le père décide que Jacqueline deviendra religieuse. Elle a 7 ans, mais elle négocie : très bien, elle accepte l’entrée en religion… mais à condition d’être abbesse, rien d’autre !
- Abbesse depuis ses 11 ans, en 1602, elle n’a aucune vocation. Elle écrit d’ailleurs : « J’avais une aversion horrible du couvent, je n’aimais qu’à jouer, causer, et tous les exercices de la religion me déplaisaient. »
- Tout change, quand à 15 ans, en 1608, un sermon la foudroie. Sa conversion est ra-di-cale !
- Elle reprend les rênes de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, dont les mœurs se sont bien relâchées au fil du temps, rétablissant un travail manuel implacable, des prières rigoureuses.
- Voici le célèbre portrait d’Angélique, exposé au musée de l’abbaye de Port-Royal, peint par Philippe de Champaigne, en 1654 !
Une autre abbaye, à Paris
Trop à l’étroit, incommodées par l’humidité de la vallée de Chevreuse, les sœurs abandonnent le site de Port-Royal des Champs pour s’installer à Paris, en 1625.
Leur nouveau monastère est situé faubourg Saint-Jacques : actuellement, il s’agit de l’hôpital Cochin, qui conserve quelques vestiges de cette abbaye de Port-Royal de Paris !
L’abbaye de la vallée de Chevreuse portera désormais le nom de Port-Royal « des Champs ».
Angélique Arnauld obtient que Port-Royal soit détachée de Cîteaux, et ne relève plus que de l’archevêque de Paris.
En juillet 1630, elle démissionne, laissant un nouveau venu devenir le directeur de conscience de la communauté : Jean Duverger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran dans la Brenne, ancien aumônier de la reine Marie de Médicis.
Un personne important, dans l’histoire de Port-Royal, à l’origine de la diffusion de l’hérésie dont l’abbaye était l’épicentre : le jansénisme.
Des Solitaires dans la quiétude de la vallée
Le site de Port-Royal-des-Champs abandonné par les sœurs, s’y installent ceux que l’on va appeler les Solitaires, dès 1638.
- Ce ne sont pas des moines, mais des hommes qui ont décidé de se couper du monde et de trouver la paix dans le travail, la prière. On les appellera aussi « ces Messieurs de Port-Royal » !
- Le tout premier s’appelle Antoine Le Maistre, brillant et grand avocat parisien, beau-frère d’Angélique Arnauld, qui plaque tout pour une vie d’austérité.
- À l’image des premiers ermites chrétiens, ils se dépossèdent de tout bien matériel, vivent d'un dur travail manuel et de jeûnes répétés jusqu’à l’extrême…
- D’autres viendront le rejoindre, parmi les plus grands esprits de leur temps : le moraliste Nicole, le traducteur de la Bible Lemaistre de Sacy, l’helléniste Lancelot...
Les religieuses réintègrent le site de la vallée de Chevreuse dès 1648. Les Solitaires bougent donc sur les hauteurs, au lieu-dit des Granges.
Les Cent Marches reliaient l’abbaye aux Granges, chemin qu’empruntaient les Solitaires régulièrement, et qui datent du 17e siècle.
Le verger des Solitaires, d'énormes fruits à la table du roi !
Robert Arnauld d’Andilly, frère aîné de l’abbesse, linguiste, grand poète et traducteur, ancien conseiller d’État proche de la reine Marie de Médicis, est un de ces Solitaires.
Il s’installe à Port-Royal-des-Champs après la mort de son épouse, en 1637.
C’est un passionné d’horticulture : il va assouvir sa passion ici, en s’occupant de défricher et de planter des arbres fruitiers.
Le verger actuel date des années 1990 : on y voit des espèces anciennes de poiriers, pruniers, pêchers.
Parmi les créations de Robert :
- la nectarine « Blanche d’Andilly » ;
- la grosse pêche « pavie de Pomponne » ou « pavie monstrueuse » ; elle fait partie de ces « fruits monstres » cultivés à Port-Royal, dont raffolait la cour d’Anne d’Autriche ;
- la pêche « la Royale », probablement créée à Port-Royal-des-Champs vers 1650 !
Les Petites Écoles
Les Messieurs de Port-Royal, dès 1638, ouvrent sur le site de Port-Royal-des-Champs les « Petites Écoles. »
Ils y dispensent un enseignement à 25 jeunes élèves issus de familles nobles des environs. Dont celui que l’on ne présente plus, Jean Racine, qui vit ici de ses 16 à ses 19 ans !
Le bâtiment actuel date de 1651, tandis que l’aile de style Louis XIII en briques a été ajoutée en 1893.
Les anciennes Petites Écoles abritent aujourd’hui le musée national de Port-Royal, qui expose l’histoire de l’abbaye à travers, notamment, une incroyable collection de portraits de jansénistes réalisés par le peintre Philippe de Champaigne (dont la fille est religieuse à Port-Royal de Paris).
L'enseignement résolument moderne des Petites Écoles
Racine lui-même écrit que les professeurs des Petites Écoles « ne sont pas des maîtres ordinaires. »
L’enseignement, novateur pour l’époque, est de très grande qualité :
- ils sont les premiers à enseigner en français, alors que les collèges ne jurent que par le latin ;
- les Solitaires mettent au point des méthodes pour apprendre les langues vivantes et la lecture, notamment de manière ludique ;
- on n'emploie plus les châtiments corporels pour punir les élèves ; le professeur est à l’écoute de chacun ;
- les élèves travaillent par groupes de 5 maximum, autour d’un précepteur ;
- la plume métallique remplace la plume d’oie ;
- la culture grecque, oubliée au 17e siècle, est primordiale, ce qui marquera les tragédies de Racine.
Le jansénisme
Vous vous souvenez ? Dès 1630, Angélique Arnauld se lie avec l’abbé de Saint-Cyran, Jean Duverger de Hauranne.
Celui qui est devenu directeur de conscience des sœurs de Port-Royal est un disciple du théologien flamand Cornelius Jansen.
Cet évêque d’Ypres est à l’origine d’un très grand mouvement religieux, le jansénisme. Ce courant radical du catholicisme pose problème : il remet en cause la grâce divine.
Les deux sites de Port-Royal deviennent le centre du jansénisme en France, via Angélique et Antoine Arnauld, son frère théologien.
Un courant religieux bientôt attaqué par les Jésuites, car considéré comme une hérésie. Condamné par l’Église en 1653, il devient la bête immonde à abattre.
Le jansénisme causera la fin et la destruction de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, en 1710, on va le voir !
Port-Royal-des-Champs... rasée !
En 1653, le pape condamne officiellement le jansénisme, jugé trop radical.
Les persécutions contre les jansénistes commencent sous le règne du jeune Louis XIV, puis s’intensifient ; les religieuses sont attaquées, les Petites Écoles fermées en 1656.
Dès 1656, prêtres et religieuses de France doivent signer un formulaire qui condamne le jansénisme. Les sœurs de Port-Royal, « pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons », tiennent bon, refusent !
Cette lutte perpétuelle finit par épuiser la très courageuse Angélique Arnauld, qui pourtant avait toujours fait front debout. Elle s’éteint le 6 août 1661, après des semaines de tourments.
La lutte atteint son plus haut point en 1679 : le roi expulse les Solitaires, les religieuses toujours plus brimées.
Le 20 octobre 1709, Louis XIV chasse les 25 dernières sœurs de Port-Royal-des-Champs : la plus jeune… a 60 ans !
Le site de l’abbaye est entièrement rasé au début de l’année 1710 : la démolition dure jusqu’en juin 1713. Le cimetière des sœurs est lui aussi détruit.
Une chapelle néo-gothique a été construite en 1891 à l’emplacement de l’ancienne chapelle.
Sources
- Éd. Finot. Port-Royal et Magny. 1888.
- Marie-Joëlle Guillaume. Le Grand Siècle au féminin : femmes de foi, de culture et de gouvernement. Perrin, 2022.
- Collectif. Guide Vert Île-de-France. Michelin, éditions des Voyages, 2002.
- Rémi Mathis, Sylvain Hilaire. Pourquoi La Manière de cultiver les arbres fruitiers n'est pas l'œuvre d'Arnauld d'Andilly. In Dix-Septième Siècle (n° 263). 2014.
- Les Petites-Écoles. Société des Amis de Port-Royal, amisdeportroyal.org.