Hypothèque sur les vignes !
On a toujours fait du bon vin de muscat et du riesling, à Riquewihr.
Mais là, on va faire un bond dans le temps jusque dans les années 1735.
À l’époque, le plus gros des vignes de Riquewihr appartient à un Allemand : le duc de Wurtemberg.
Et un qui adore ce vin, c’est Voltaire !
Le rapport ? Le duc Charles-Eugène de Wurtemberg, neveu du roi de Prusse, est un prince fauché. Et il a besoin d’argent.
Comment faire ? En hypothéquant un peu de ses vignes, par exemple ? Voilà une excellente idée !
Et devinez qui se trouve de passage en voyage à Colmar, à la même époque... Voltaire.
Qui achète l’hypothèque. Le philosophe donne 300 000 livres au prince. Mais il y a des petits problèmes...
Voltaire se plaint qu’il y a toujours du retard pour le paiement.
Mais surtout qu'il y a une perte d’argent à cause de la différence entre les sous français et les allemands.
Sans compter le duc de Wurtemberg qui ne veut pas payer les frais d’envoi de l’argent, alors Voltaire y va de sa poche...
Voltaire revient en Alsace, d’août 1753 à novembre 1754.
Il en profite pour passer à Riquewihr, histoire de voir si ses vignes se portent bien.
Ce qu’il fait dans la région ? Il revient d’un long séjour chez l’empereur Frédéric le Grand, en Allemagne... avec qui il vient de se brouiller.
Brouille chez Frédéric le Grand à Potsdam
Ça faisait un moment que Frédéric et Voltaire étaient amis.
Liés par une passion commune pour la philosophie... Ils s’écrivent beaucoup.
Jusqu’à l’exil de Voltaire par le roi de France, qui n’a pas aimé qu’il se moque de sa cour.
Voltaire s’envole donc pour la cour de Prusse à l’été 1750, à Berlin puis à Potsdam.
Il y mène une vie de patachon, pendant 2 ans. Mais bientôt, ses relations avec Frédéric deviennent tendues.
Voltaire, le philosophe des Lumières, pourfendeur des oppressions en tout genre, combattant le fanatisme religieux et bataillant pour la liberté de pensée... mais irrespectueux du catholicisme et de la monarchie absolue...
Il se brouille facilement avec tout le monde. Ici, la brouille se fait avec un autre Français, Maupertuis.
Un académicien protégé de Frédéric que Voltaire, jaloux, va ridiculiser dans un bouquin. Frédéric fait brûler ledit bouquin.
Agacé, il dit à tout le monde de Voltaire et de sa présence ici : « On presse l’orange et on en jette l’écorce... »
Dégoûté, Voltaire se venge et publie des pamphlets contre Frédéric...
Retour en Alsace
Crac. Ça ne loupe pas : il doit quitter la Prusse en mars 1753. Retour en France !
Avec un arrêt à Francfort qui se passe mal : deux hommes l’humilient et le retiennent prisonnier !
Sur ordre de Frédéric, qui veut récupérer un des écrits de Voltaire qu’il juge inconvenant s’il le publiait...
Autre arrêt à Colmar où il attend la permission de rentrer à Paris.
Mais le Paris de Louis XV ne veut pas de lui. Voltaire a plus de 60 ans. Il est fatigué.
C’est là qu’il se dit qu’il pourrait en profiter pour aller voir comment vont ses vignes alsaciennes, et si tout est bien géré.
Jusqu’à novembre 1754, Voltaire cherchera un endroit où se poser.
Il s’installe à Colmar rue des Juifs (actuelle rue Berthe-Molly), « dans une vilaine maison dans une vilaine ville » écrit-il.
On sait que dès l’hiver 1758, il prendra une retraite bien méritée au château de Ferney... et reprendra malgré tout sa correspondance enflammée avec ce bon vieux Frédéric !
Bah, sans rancune...
Sources
- André Hallays. En flânant à travers l’Alsace. 1911.
- M. de Neyremand. Séjour en Alsace de quelques hommes célèbres. 1861.
- Théophile du Vernet. Vie de Voltaire, suivie d'anecdotes qui composent sa vie privée. 1797.
- Encyclopédie du 19e siècle (tome 24). 1867.