Le procès de Gilles de Rais s'ouvre au château ducal de Nantes, le 19 septembre 1440. Retour sur un épisode hors normes !
Au cœur de la Tour Neuve
Le procès de Gilles de Rais se déroule dans la Tour Neuve du château ducal de Nantes, à la mi-septembre 1440.
En fait, il s'agit d'un double procès, religieux et civil.
Le tribunal religieux siège dans cette même Tour Neuve, le tribunal civil au château du Bouffay, en face de la Loire !
Qui est Gilles de Rais ? Petit rappel !
Je vous donne rendez-vous dans le château du sire de Rais, Tiffauges, pour découvrir plus d'anecdotes !
Noble seigneur issu d’une grande famille angevine, petit-neveu de du Guesclin, Gilles de Rais mène une brillante carrière de soldat, aux côtés de Jeanne d’Arc.
Maréchal de France à 25 ans, couvert de tous les honneurs, il tombe pourtant en disgrâce.
Il aggrave sa situation par des dépenses phénoménales et un train de vie luxueux.
C'est la ruine ! Que faire ? Arrêter les frais ? Non.... on n'arrête jamais, quand on est baron de Rais, riche de 36 châteaux et autant de terres.
Gilles se tourne vers l’alchimie, puis la magie noire.
Mais ça dérape. Car les démons qu’il invoque réclament du sang.
Alors, on voit des enfants disparaître près de ses châteaux.
De folles rumeurs d'assassinat accuseront Gilles de Rais...
L'arrestation du seigneur de Machecoul
Les hommes du duc de Bretagne arrêtent Gilles de Rais le 15 septembre 1440, dans son château de Machecoul.
Il comparait devant la cour séculière de Nantes, présidée par Pierre de L’Hôpital.
Et tenez-vous bien : officiellement, Gilles se fait arrêter pour crime de lèse-majesté envers l’Église ! Pas pour de quelconques meurtres d’enfants !
Vous voulez savoir de quoi retourne ce crime de lèse-majesté ?
Hé bien, un jour de mai 1440, Gilles tente de récupérer sa terre de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, qu’il a cédée à Geoffroy Le Ferron, trésorier du duc Jean V de Bretagne.
Terres que Geoffroy confie à son frère Jean, un clerc...
Gilles interrompt la messe de Jean et le menace. Sacrilège !
49 chefs d'accusation !
L’acte d’accusation comporte 49 chefs d’accusation, repartis en 3 catégories :
- crimes sur les enfants ;
- crime de magie et sorcellerie ;
- crime de lèse-majesté divine.
Les familles des victimes témoignent
La longue liste des disparus
On commence par entendre les parents des jeunes disparus.
On connaît très bien leurs noms, égrenés dans les manuscrits du procès conservés aux archives nantaises...
En voici quelques uns :
- Le fils de Guillaume Brice, de Saint-Étienne-de-Montluc, Jamet. Le pauvre père envoie mendier son « très bel fils » âgé de 10 ans, près de Machecoul.
- Le fils de Jean Bernart, de Port-Launay, envoyé mendier à Machecoul.
- Le fils de Georges Le Barbier, pâtissier de Machecoul, 15 ans, envoyé cueillir des pommes pour faire des tartes.
- Un petit de 8 ans disparaît de chez lui. Ses parents, les Sergent, l’ont laissé seul pour aller bêcher au champ.
- Le petit Aysée, 10 ans, venu mendier à Machecoul, le jour où se trouve le sire de Rais. Ses parents ne le reverront jamais. Ceux-ci jurent que le jour où il se présente au château, on fait d’abord entrer les filles, puis les garçons. Une fillette entend alors quelqu’un du château murmurer au petit : Tu n’as point eu à manger, viens donc de nouveau...
Et ainsi de suite, la liste est longue, vous vous en doutez ! Autant d’enfants qui se font engloutir dans les noirs châteaux du sieur de Rais…
Qui sont ces jeunes disparus ?
- Le plus souvent, ce sont des jeunes issus de familles pauvres, envoyés faire l'aumône autour des châteaux de Rais ;
- des enfants engagés par Rais en tant que pages ;
- des enfants achetés par les sbires de Rais à leurs parents pauvres.
- des enfants enlevés par les sbires de Gilles, à l'instar de cette fameuse Meffraie, qu'un témoin décrit comme une « vieille qu’on ne connaissait pas, avec une robe grise et chaperon noir »...
L'audition de Gilles de Rais
Arrogant et serein
Gilles de Rais, à la première audience, apparaît serein, arrogant, tout de blanc vêtu.
Il clame à son juge : « Messire, je vous prie d’expédier vivement mon affaire et de me renvoyer en hâte, car j’ai grand presse de me consacrer au service de Dieu qui m’a remis de mes pêchés. »
Oui : un fou lui a prédit qu’il finira sa vie comme moine, à se repentir de ses crimes passés…
Rais commence par nier tout ce qu’on lui reproche.
Le 13 octobre 1440, les interrogatoires de témoins et plaignants achevés, on le fait venir pour lui lire l’acte d’accusation.
Il gronde, feule, menace d’en appeler à la justice du roi, lance des injures ignobles !
On va l’excommunier, et ça, ça le glace littéralement sur place.
Les aveux des sbires
Le 16 octobre, les juges entendent Prelati et Blanchet, deux des complices de Gilles. Ils dénoncent les crimes de leur maître, après tortures.
Dites-vous bien qu'on n'aurait jamais été au courant des crimes de Rais, si ses hommes de mains n’avaient pas parlé !
Ils détaillent tout. Donnent d’amples détails sur les orgies et les meurtres.
Ils ont vu cet adolescent, embauché comme page, tué devant leurs yeux. Ils ont assisté aux sacrifices démoniaques, à Tiffauges, vu la main et le cœur d’un enfant placés dans un verre sur la cheminée...
Les témoignages des sbires de Rais concordent tous.
Un voile noir sur le crucifix !
Le 21 octobre 1440, on décide de soumettre Gilles à la question, histoire de lui arracher des aveux. Une peur panique le submerge. Il demande du temps !
Avant de finir par avouer « volontairement, librement et douloureusement », pourvu qu’on lève l’excommunication.
« Il n’est personne au monde qui sache ou puisse comprendre tout ce que j’ai fait dans ma vie », souffle-t-il.
Et il entre dans le détail, on est le 22 octobre 1440.
Il fait remonter ses crimes à 1432, à la mort de son grand-père.
Il commet ses crimes « suivant son imagination, et sa pensée, sans le conseil de personne, et selon son propre sens, seulement pour son plaisir et sa délectation charnelle. »
Les confessions de Rais sont insoutenables : Malestroit doit même voiler un crucifix accroché au mur avec un tissu noir !
Entre 10 et 200 victimes !
L’acte d’accusation dit que Rais « prit et tua, non pas seulement dix, ni vingt, mais trente, quarante, cinquante, cent, deux-cents petits enfants », sans qu’on sache le nombre exact !
Poitou et Henriet confessent avoir enlevé plus de 60 jeunes victimes.
Des enfants qui disparaissent, à l’époque, c’est normal, avec les guerres, les loups. Leurs vies comptent peu, alors.
Certaines sources historiques indiquent qu'on n'a jamais trouvé aucuns restes, dans les nombreux châteaux de Rais.
D'autres au contraire assurent l'inverse : on a même pris soin de faire disparaître les preuves, en brûlant restes et vêtements. Des cendres ensuite dispersées dans douves et latrines…
Les sbires de Rais avouent « avoir vu une poudre qu’on disait être d’enfants et une chemise sanglante », à Machecoul.
Au final, on aurait découvert (Le roman des morts secrètes de l'Histoire, Philippe Charlier, 2011, éd du Rocher) dans les nombreuses résidences de Gilles :
- 80 corps au château de Machecoul ;
- 46 restes humains dans celui de Champtocé ;
- autant à Tiffauges et dans son hôtel particulier de Nantes.
La culpabilité du sire de Rais
Gilles de Rais avoue tout : viols, tortures, meurtres.
Quand le président de la cour séculière lui demande pourquoi il a commis toutes ces horreurs, Rais lance : « Mais, enfin, je vous ai dit suffisamment de choses pour faire mourir 10 000 hommes ! »
Le juge répète sa question.
Gilles reprend calmement : « Vous vous torturez, vous me torturez. »
« Je ne comprends pas », grogne le juge.
« Tout cela venait de ma tête, de ma volonté », finit par souffler l'accusé.
Voilà. Gilles avoue n’avoir été influencé par aucune force maléfique, aucune voix dans sa tête, (chose que font très souvent les assassins). Il assume.
Même si des témoins l’ont souvent entendu dire : « C’est ma planète qui me porte à agir ainsi. »
Gilles de Rais avait d'ailleurs écrit au duc de Bretagne :
« Il est bien vrai que je suis pécheur, et de tous les pécheurs peut-être le plus détestable, ayant péché de corps et d’âme en maintes et maintes occurrences, mais à vérité est aussi que je n’ai jamais manqué à mes devoirs de religion, entendant forces messes et oraisons, confessant et déplorant les péchés que nature m’avait fait commettre, et recevant très dévotement le sang de notre Seigneur tout le moins une fois l’an, je vous prie mon cousin que vous me donniez licence de me retirer dans un couvent... »
La sentence, enfin !
La cour prononce le jugement le 25 octobre 1440.
Gilles de Rais est excommunié pour « apostasie hérétique […] évocation des démons […] crime et vice contre nature avec des enfants de l’un et de l’autre sexe selon la pratique sodomite ».
Gilles et ses deux valets sont condamnés au bûcher. Le tribunal lui accorde néanmoins 3 faveurs :
- son corps ne sera pas entièrement brûlé pour que sa famille puisse l’inhumer ;
- il sera tué avant ses deux complices ;
- sa famille pourra organiser une procession religieuse.
Communion bourreau-victimes !
Jusqu’au bout, Gilles se réfugie dans la prière.
Tenez : sur le chemin qui mène le sire à l'échafaud, le 26 octobre 1440, on assiste à une scène incroyable.
La foule vient en masse de toute la cité, voir les condamnés noyés au milieu du cortège de prêtres et de clercs.
Rais, en larmes, se confesse, demande pardon, implore la foule de veiller à bien élever leurs enfants. Que leurs petiots ne deviennent jamais comme lui !
Inimaginable ! Parmi la masse grouillante se trouvent même les parents des disparus, venus assister au procès. Et tous prient pour le salut de l'âme du monstre.
A la fin de l’exécution, on voit les parents fouetter leurs fils, afin qu’ils se souviennent de ces crimes sanglants et de la terrible punition engendrée…
Les suites de l'affaire
On condamne Henriet et Poitou à mort, Prelati à la prison à vie. Blanchet, le prêtre défroqué, se voit relaxé.
On retrouvera Prelati (qui a en fait échappé à la prison) à la cour du roi René d’Anjou, flanqué de son ancien complice Blanchet. En 1445, on le reconnaît coupable de détournements de fonds... punition ? La pendaison !
La femme de Gilles de Rais, Catherine de Thouars, se remarie en 1441 avec Jean de Vendôme.
Le frère de Gilles, René, hérite des biens de la fille de Gilles, Marie, morte en 1473 sans enfant.
Après lui, personne ne porta plus jamais le nom maudit de Rais...