Sainte-Menehould, Louis XVI et le pied de cochon fatal : mythe ou réalité ?

Du 20 au 21 juin 1791

Pied de porc panéPied de porc pané | ©Richard Allaway / CC-BY

En deux mots !

Sainte-Menehould.

C'est dans cette commune de la Marne que Louis XVI et sa famille, en fuite en pleine Révolution française (juin 1791), ont été reconnus par le maître des postes Drouet, qui les fait arrêter quelques heures plus tard, à Varennes !

L'hôtel-de-ville du milieu du 18e siècle a d'ailleurs reçu la visite du roi, lors de cet épisode.

La petite histoire dit aussi que le roi s'est arrêté à Sainte-Menehould pour goûter à sa spécialité, des pieds de porc panés !

Qu'en est-il vraiment ?

Hôtel-de-ville, Ste-MenehouldHôtel-de-ville, Ste-Menehould | ©Vincent van Zeijst / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

La fuite du roi incognito, cap sur la Meuse

Nous sommes le 20 juin 1791. Louis XVI, sentant le vent de la Révolution tourner, s'enfuit de Paris, enfants, épouse et famille sous le bras.

Hop hop, deux carrosses bourrés à craquer plus tard, Louis s'enfuit secrètement : direction Montmédy, dans la Meuse. Gros bastion royaliste, d'où il espère lancer une contre-révolution.

Le plan ? Se faire passer pour la suite de la baronne de Korff (Mme de Tourzel, gouvernante des enfants du couple royal), en route pour Francfort avec :

  • ses deux enfants Amélie et Aglaé (les deux enfants royaux, Mme Royale et le dauphin, habillé en fille) ;
  • son valet Durand (Louis XVI) ;
  • sa gouvernante Mme Rochet (Marie-Antoinette) ;
  • sa domestique Rosalie (Mme Élisabeth, la sœur du roi).
Le roi reconnu à Ste-Menehould (18e s)Le roi reconnu à Ste-Menehould (18e s) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Halte à Sainte-Menehould, puis Varennes

Le 21 juin 1791, Louis XVI fait halte à Sainte-Menehould, afin de changer les chevaux des berlines.

Mais le maître de poste de la ville (un certain Jean-Baptiste Drouet) reconnaît le roi. Grâce, dit la légende, à son profil (reconnaissable entre mille) sur une pièce de monnaie...

Une heure plus tard, Drouet prévient le maire de Sainte-Menehould, qui l’envoie arrêter la berline, qui fait chemin vers Varennes-sur-Argonne. On connaît la suite, le roi se fait interpeller à Varennes...

Il se fera gentiment reconduire à Paris sous les hurlements de la foule en délire : Louis a perdu toute crédibilité, il a fui comme un lâche… un traître !

Sol en cuivre de Louis XVI (1791)Sol en cuivre de Louis XVI (1791) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Retour à Paris, nouvel arrêt à Sainte-Menehould

De Varennes, la famille royale fait chemin inverse vers Paris. On repasse à Sainte-Menehould. Cette fois, le roi doit subir une courte réprimande du maire sur « sa fuite et son projet de livrer la France à l'étranger. »

Louis XVI répond que non, c'est se méprendre sur ses intentions ! « Sa constante étude a toujours été le bonheur de son peuple. »

Puis, au milieu d'une haie de gens d'armes, la famille se dirige vers l'hôtel-de-ville, où un repas a été préparé.

Le très bel actuel hôtel-de-ville a été construit en 1730, après l'incendie qui détruit Sainte-Menehould en 1719 ; il est donc contemporain du passage de Louis XVI !

Un officier de la ville offre un consommé à la reine, dans une tasse en argent. Sur la place devant l'hôtel-de-ville, la foule s'est amassée, nombreuse…

Les habitants réclament de voir le roi : la famille doit se montrer à l'étage de l'hôtel-de-ville, aux cris de « Vive la Nation ! Vive les patriotes ! »

Hôtel-de-ville, Ste-MenehouldHôtel-de-ville, Ste-Menehould | ©Fab5669 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Une scène d'horreur avant le départ

Avant de quitter Sainte-Menehould, un certain comte de Dampierre tente de percer la foule encadrant la berline royale. Il veut saluer sa majesté, alors que tout le monde l’insulte.

Soudain… au cri de « À l'aristocrate ! », on lui tire une balle dans le dos. Il s'effondre sur l'encolure du cheval qui l'emporte à travers champs, où il est finalement rattrapé.

On le ramène devant la berline, afin de l'achever devant le roi. Mais il se débat, se laisse tomber à quelques mètres de la voiture : on le tue à coups de baïonnette.

Le roi n'a rien vu, mais a entendu des cris. « Qu'est-ce ? » demande-t-il. « C'est un fou qu'on tue », répond l'un des gens d'armes chargés de l'escorte.

Fin de l'étape à Sainte-Menehould ! Retour à Paris !

Mais, quelle est cette histoire qui lie les pieds de cochon panés, spécialité culinaire de Sainte-Menehould, à Louis XVI ?

Retour de VarennesRetour de Varennes | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Les pieds de cochon, Louis XVI et Sainte-Menehould

Connaissez-vous les pieds de cochon à la Sainte-Menehould ? Une spécialité culinaire de pieds de porc panés, délicatement grillés et cuits avec vin blanc, bouquet garni et oignons.

On dit la recette vieille du 15e siècle (Charles VII en aurait mangé, de passage à Sainte-Menehould).

Un certain Camille Desmoulins crie sur tous les toits que le roi Louis XVI s'était fait arrêter bêtement à Varennes, en fuyant Paris et la Révolution, parce qu’il avait voulu goûter aux pieds de cochon, à Sainte-Menehould !

Le gourmand s'était trop attardé à table… Le maître des postes Drouet le reconnaît et le fait arrêter un peu plus tard à Varennes…

Alors, l’anecdote est-elle véridique ?

Le roi arrêté à Varennes (19e s)Le roi arrêté à Varennes (19e s) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Quand Desmoulins s'en mêle

Cette histoire, également rapportée par Alexandre Dumas dans son Grand dictionnaire de cuisine (1873) et par Victor Hugo dans Le Rhin (1842), raconte donc comment les pieds de cochon et l’arrestation de Louis XVI à Varennes sont liés.

Quand la petite histoire croise la grande ! Dumas écrit donc :

« Quand Louis XVI avait faim, il fallait qu’il mangeât [...] On connaissait si bien chez lui cette tendance à la boulimie, que Camille Desmoulins (calomnie odieuse dans un semblable moment) annonça qu’il avait été arrêté parce qu’il n’avait pas voulu traverser Sainte-Menehould sans manger des fameux pieds de cochon de cette ville. Or, tout le monde sait que ce n’est point à Sainte-Menehould que Louis XVI a été arrêté, mais à Varennes, et que les pieds de cochon ne sont pour rien dans cette arrestation. »

Mais que dit Camille Desmoulins, en vrai, sur cette histoire ? Voilà ce qu'il écrit dans Révolutions de France et de Brabant (27/06/1791) :

« À quoi tiennent les grands événements. À Sainte-Menehould, ce nom rappelle à notre Sancho Pança couronné les fameux pieds de cochon. Il ne sera pas dit qu’il aura relayé à Sainte-Menehould sans avoir mangé sur les lieux des pieds de cochon. Il ne se souvient plus du proverbe Plures occidit gula quam gladius (la gourmandise tue davantage que l’épée, ndlr). Le délai de les apprêter et sa face trop ressemblante sur un assignat lui fut fatale. Le maître des postes le reconnut. »

On le voit, tout ceci n’est qu'une légende : il faut dire que les plus violentes satires courent sur le roi, quelques jours après sa fuite ratée et son retour de Varennes...

Sources

  • Étienne Ancelon. La vérité sur la fuite et l'arrestation de Louis XVI à Varennes. 1866.
  • Alcide de Beauchesne. Louis XVI, sa vie, son agonie, sa mort : captivité de la famille royale au Temple. 1852.
  • Abbé Gabriel. Louis XVI, le marquis de Bouille et Varennes : épisode de la Révolution française (juin 1791). 1874.
  • Jules Claretie. Camille Desmoulins, Lucile Desmoulins : étude sur les Dantonistes d’après des documents nouveaux et inédits. 1875.