Saint-Point, les bonheurs et les douleurs de Lamartine

De 1820 à 1855

Le châteauLe château | ©PHILDIC / Public domain

Saint-Point semble pour Lamartine le château des disparitions d’êtres chers, des deuils successifs, des morts prématurées, celles auxquelles personne ne vous prépare et dont on ne se remet jamais. Celui aussi d’une vie plus lumineuse, vraie source d’inspiration...

Partie 1 : les bonheurs

Grosse maison-forte construite au 12e siècle, le château tient son nom des seigneurs des lieux, les Saint-Point, qui le garderont jusqu'au 18e siècle.


Passé au marquis de Castellane peu avant la Révolution, Saint-Point se fait littéralement ravager par les habitants du bourg voisin ! Imaginez alors un peu dans quel état Pierre de Lamartine trouve l'édifice en 1801, lors de son acquisition...


Le père du futur poète et homme politique Alphonse de Lamartine restaure tant bien que mal sa demeure, pour la léguer 20 ans plus tard à son fils, qui s'y installe avec son épouse.

Harmonies à Saint-Point

Parmi ses nombreuses propriétés, Saint-Point reste la préférée d'Alphonse. Est-ce l'allure austère du château, son parc, le banc de pierre où le poète venait travailler qui participent à ce choix ?


Il s’installe dès 1820, après son mariage avec Marianne-Elisa Birch, suite à leur voyage de noces en Italie. Il entreprend de grands travaux d'aménagements.


C’est à Saint-Point qu’il finit ses Harmonies poétiques et religieuses commencées à Florence, lors de sa seconde mission diplomatique. C’est un succès, publié en 1830, 10 ans après les célèbres Méditations !


Il reçoit aussi beaucoup : Victor Hugo, Eugène Sue, Franz Liszt qui « jouait pendant des heures sur le piano du salon, aux clartés de la lune, les bougies éteintes... » Un soir, celui-ci compose ses propres Harmonies alors que Lamartine récite les siennes !

La vie quotidienne à Saint-Point

Lamartine a un certain train de vie, il a des frais, mais il a des revenus variables : ses livres, le vin de ses vignes... En plus il dépense ! Il achète des terres, les revend mal, perd de l’argent…


Il y a les paysans de ses domaines, aussi, qui subissent les intempéries et les mauvaises récoltes. Alors Lamartine, généreux, leur avance de l’argent.


Alphonse fait travailler une centaine d’ouvriers à Saint-Point, pour reconstruire le château alors en piteux état. Il fait ajouter des touches néogothiques typiques de l'Angleterre, notamment dans la galerie extérieure à l’Ouest et le porche à l’Est.

« Nous y avons des chevaux, des bois, des chemins pittoresques, une solitude sans horreur. C’est ce qu’il nous faut à tous maintenant. »

Il énumère les tâches à faire (Correspondance de Lamartine, 1874) :

« Un mur à remplacer, une tour à créneler, un massif d’arbres à disposer, un pré à arroser. Vous me trouverez au fond des montagnes du Charolais, dans un vieux château romantique, mais où je ne mène pas la vie du Moyen-Age. C’est plutôt l’âge pastoral : je laboure, j’élève des poulains et je chante de temps en temps. »

« J’ai percé quelques portes et quelques fenêtres dans les murs de cinq pieds d’épaisseur du vieux manoir, j’ai attaché à la façade principale une galerie massive de pierres sculptées sur le modèle des vieilles balustrades gothiques d'Oxford. C’est sur cette galerie que les hôtes de la maison se promènent le matin au soleil levant ou s’assoient le soir à l’ombre immense des tours sur le pré en pente.

« On y attache à des clous les cages des oiseaux ; les chiens s’y couchent à nos pieds sur les dalles tièdes ; des paons familiers qui peuplent les jardins, à qui nous émiettions du pain dans leur enfance et qui s’en souviennent, perchent jour et nuit sur le parapet de la balustrade, leur queue brillant au soleil et flottant au vent. »

Tombeau de Lamartine et des siensTombeau de Lamartine et des siens | ©Chabe01 / CC-BY-SA
Lamartine par NadarLamartine par Nadar | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Partie 2 : les douleurs

À Saint-Point se trouve le tombeau de Lamartine.

« Ô forêt de Saint-Point ! Oh, cachez mieux ma cendre ! Sous le chêne natal de mon obscur vallon, que l’écho de ma vie y soit tranquille et tendre. »

Profondément croyant, lui qui clame sa foi dans de nombreux poèmes, il vacille à la mort d’êtres chers, tous inhumés à ses côtés dans le caveau qu'il a conçu de son vivant :

  • Sa maîtresse Julie Charles, l’Elvire de son poème Le Lac, partie en 1817.
  • Son fils Alphonse, 20 mois, emporté par la tuberculose en 1822.
  • En 1824, ses deux sœurs Césarine et Suzanne.
  • Julia. Sa Julia, sa fille unique de 10 ans, partie en 1834.
  • Son épouse, Elisa, en 1863.
  • Son arrière-petite-nièce Valentine de Cessiat dite Valentine de Saint-Point, morte en 1953.

Retour sur les personnes qui ont compté pour lui...

Julie Charles

La fille de Jacques Charles, le savant qui le premier a fait voler un ballon gonflé à l'hydrogène. Elle meurt en 1817, à 33 ans, de tuberculose.


« Grande sèche, désagréable », dixit le comte de Saint-Aulaire, « des yeux couleur de mer claire, le nez grec, une langueur indécise entre celle de la souffrance et celle de la passion ».


Alphonse, lui, soupire à un ami : « Tout de même, c’est elle que j’ai le plus aimée. »

Julia de Lamartine

De son vrai nom Marie-Louise-Julie, c'est la fille d'Alphonse et d'Elisa.

« Elle est montée au ciel entre mes bras où elle a rendu son âme pure à son créateur… voilà tout le bonheur et tout l’espoir et tout l’intérêt et tout le charme de notre vie détruits à jamais. »

La petite meurt dans les bras de son papa, le 7 décembre 1832, à Beyrouth. Cette absence, cette déchirure lui inspire le poème Gethsémani ou la mort de Julia, publié en 1835 :

« Maintenant tout est mort dans ma maison aride, Deux yeux toujours pleurant sont toujours devant moi. Je vais sans savoir où, j’attends sans savoir quoi. Mes bras s’ouvrent à rien, et se ferment à vide. Tous mes jours et mes nuits sont de même couleur. La prière en mon sein avec l’espoir est morte. »

Alix des Roys

Il s'agit de la mère d'Alphonse, qui meurt à 63 ans après avoir appris l’élection de son fils à l’Académie française, le 16 novembre 1829.


Elle est chez elle, à Mâcon. Très émue, elle s’ébouillante gravement en prenant son bain, et meurt après plusieurs jours d'une terrible agonie. Son fils s’apprêtait à la retrouver pour fêter l’évènement avec elle, les bras chargés de cadeaux...


Lamartine revient en urgence à Mâcon. On a inhumé Alix très rapidement dans le cimetière de la ville : Alphonse fait extraire son corps du cercueil, de nuit, pour pouvoir embrasser une dernière fois sa mère et la transporter dans le caveau familial de Saint-Point, par des chemins couverts de neige...


Il lui dédie Le tombeau d’une mère :

« Heureux l’homme à qui Dieu donne une sainte mère. En vain la vie est dure et la mort est amère : Qui peut douter sur son tombeau ? »

Valentine de Saint-Point

Première femme à traverser l’Atlantique en avion, première à rédiger un Manifeste de la femme futuriste, elle est auteure, peintre, poétesse, critique d’art, chorégraphe au Metropolitan Opera de New-York…


Il s’agit de l’arrière-petite-nièce d’Alphonse, du côté maternel. Elle adopte le pseudonyme de Saint-Point en référence au château de son ancêtre. Elle meurt en 1953 en Égypte, son pays fétiche.

Fido

Il n'est pas enterré là, mais est mort à Saint-Point... Le chien Fido, ami de jeux de Julia, avec qui Alphonse se retrouve bien seul à Saint-Point :

« Ah ! Mon pauvre Fido, quand tes yeux sur les miens Le silence comprend nos muets entretiens... »

Il le veillera dans ses derniers instants comme on le fait pour un être humain :

« Il est mort entre mes pieds, après 13 ans d’amour et de fidélité, après avoir été le compagnon de toutes les heures de mes années de bonheur, de voyages, de larmes. La vie est affreuse ! »

Conclusion

Ruiné, car il a mené grand train et a dépensé pour ses invités sans compter, Lamartine a dû accepter malgré lui une pension de Napoléon III. Il meurt à Paris en 1869, bien loin de sa Bourgogne natale…

Sources

  • Correspondance de Lamartine. Hachette, 1875.
  • Œuvres complètes de Lamartine. 1863.
  • Alphonse de Lamartine. Souvenirs et portraits (volume 3). 1872.
  • Mathurin Lescure. Les mères illustres. 1882.
  • Encyclopédie Châteaux Passion. Éditions Atlas, 2001.
  • Gérard Unger. Lamartine : poète et homme d’État. Flammarion, 1998.