Qu'elle est piquante, pittoresque, la première rencontre de la future favorite et du roi Henri IV !
Elle a lieu au château natal de Gabrielle d'Estrées.
Henri IV et le grand écuyer
On est en 1590. Le siège de Paris s’éternise.
Depuis que le roi Henri III est mort, son successeur, Henri de Navarre, déguste !
Il n’a fait que se battre contre la sacro sainte Ligue catholique (les Guise en tête), qui ne veut pas d’un protestant sur le trône de France… à Paris, encore moins. De quoi en perdre son latin de Béarnais !
Aussi, le jour où Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, grand écuyer de France, demande à Henri la permission d’aller au château de Coeuvres, voir sa nouvelle conquête Gabrielle d’Estrées, ce dernier saute sur l’occasion !
Une distraction, en plein siège de Paris, non mais quel luxe !
Eux sont à Compiègne : Coeuvres, cela ne fait pas bien loin à dos de cheval.
Et puis, Bellegarde a tellement parlé de sa fiancée, belle blonde aux yeux bleus et sourcils noirs... cela nous a titillé un brin un Henri passablement cœur d’artichaut.
Bellegarde ? C’est un ancien mignon du roi Henri III, que les dames de la cour ont surnommé Feuille-Morte. Rapport à la couleur de ses tenues, toujours très élégantes !
Et Henri aperçoit Gabrielle !
Le 7 novembre 1590, donc, voilà nos deux hommes qui galopent vers le château de Coeuvres, entre Compiègne et Villers-Cotterêts.
Y vivent Gabrielle et sa sœur Diane, élevées par leur tante Mme de Sourdis. Hé oui : leur mère a déserté les lieux, pour filer à l’anglaise avec son amant en Auvergne...
TOC TOC. Deux coups sur la porte du château plus tard, Bellegarde présente sa fiancée au roi. Gabrielle d’Estrées, 18 ans.
Le roi ne voit qu’elle. Il est tombé amoureux, dites donc !
Un nez... qui gâche tout !
Sauf que la jeune ado s’en fiche bien, du roi !
Attendez... sérieusement ? Il a 37 ans, la guerre, les inquiétudes l’ont vieilli avant l’âge ; sa peau burinée a presque tourné à l'olivâtre, il a les cheveux gris et gras…
Et puis ce nez, mais ce nez ! Très long, descendant quasi sur le menton, on voit à peine sa bouche.
Mme de Rohan écrira d’ailleurs : « L’amour ne peut se nicher entre ce nez et ce menton qui se mêlent l’un à l’autre » !
Le coeur de Gabrielle est pris !
Et puis, Gabrielle, elle, aime Bellegarde, na ! Elle repousse sèchement le roi.
Ça y est, Gabrielle a rendu fou le Béarnais. Qui d’emblée prévient Bellegarde de lui laisser la place. Même si Gabrielle s’en fiche ?
Henri invite ensuite la famille d’Estrées visiter son camp de Compiègne. On voit débarquer le père, Antoine, la tante Mme de Sourdis et la sœur, Diane.
Gabrielle a aussi répondu présente. Mais elle pense toujours à Bellegarde.
Elle refait comprendre au roi qu’il perd son temps. Son cœur est pris !
Henri revient incognito, déguisé
Toujours pas découragé pour deux ronds, Henri IV compte bien revenir au château de Coeuvres.
Mais en mode rustre incognito !
Il se déguise en paysan, un sac de paille sur la tête. Incognito au milieu des bois qui fourmillent d’ennemis.
En voyant cet inconnu dégueu qui toque à sa porte, Gabrielle lance sèchement : « Vous êtes si laid, qu’on ne peut vous regarder ! »
Mais pas de quoi décourager ce vieil Henri, chaud comme la braise.
Céder aux avances ?
La résistance dure… 6 mois à peine. Le paternel de Gabrielle, Antoine, se montre intéressé par le roi qui tourne autour de sa fille, vous pensez.
Ses affaires ne se portent pas bien, les Ligueurs l’ont chassé de son gouvernement de La Fère, tout ça...
Pousser sa fille dans les bras du roi, mais quelle promotion ! Et les écus qui vont avec vont tomber dans sa poche !
Allez, que sa fille oublie un peu Bellegarde… qui d’ailleurs, ne donnait plus signe de vie, comme c’est bizarre !
Gabrielle finit par céder devant l’insistance de sa famille : bien qu’encore amoureuse de Bellegarde, c’est sur les conseils de sa tante qu’elle cède aux avances du roi, le 20 janvier 1591.
Chouette, le paternel de Gabrielle devient lieutenant général de sa majesté en 1591.
Et la liaison des deux tourtereaux débute 6 mois plus tard.
La petite histoire qui tue, pour conclure
On a beaucoup raconté d’anecdotes, de petites histoires croustillantes sur les amours d’Henri et Gabrielle, vous pensez bien !
À commencer par Henri, qui pouvait appeler Gabrielle « mon bel ange » (ça, c’est vrai), mais qui aussi lui disait crûment le très explicite : « J’arrive, ne vous lavez pas ! »
L'histoire suivante (qui aurait été inventée) rapporte une visite du roi à Gabrielle, un soir, au château de Coeuvres.
Il entre dans la chambre de la belle, et a le temps de voir Bellegarde se faufiler sous le lit.
Le roi fait mine de ne rien avoir vu, puis dîne longuement, rit, sourit, se déshabille, fait sa petite affaire avec Gabrielle, et quand ils ont terminé, croque un fruit confit dans un confiturier posé près du lit.
Devant la mine étonnée de Gabrielle, il balance quelques prunes sous le lit en disant : « Hé, quoi ? Il faut bien que tout le monde vive ! »
Sources
- Henri Pigaillem. Dictionnaire des favorites. Pygmalion, 2010.
- Juliette Benzoni. Le roman des châteaux de France. Perrin, 2012.