18 janvier 1871. Galerie des Glaces, château de Versailles.
Il fait un froid de chien, sous les 73 m de long de la galerie conçue pour la grandeur de Louis XIV. A la gloire de la France. Qui va en prendre un sale coup...
On est en pleine guerre franco-allemande de 1870. Le point de départ de toute cette histoire. Là, tout de suite, l’Allemagne actuelle va naître sous vos yeux !
La genèse ? La guerre de 1870 !
La guerre de 1870, épisode 1
Tout commence par la guerre franco-prussienne. La situation ? La Prusse veut unifier les 39 États allemands qui vont former l’Allemagne actuelle.
Allez, petit rappel ! L’Allemagne actuelle est un des plus jeunes pays d’Europe. En tant qu’État, elle n’existe pas, en 1870. Le territoire est divisé en 39 états réunis dans une confédération germanique, dont 2 trèèès grands : la Prusse et l’Autriche.
La Prusse, née en 1701 au sein du Saint Empire romain germanique avec sa capitale Berlin (majoritairement peuplée d’Allemands), veut unifier les 39 États autour d’elle pour former un Empire.
Elle a toute l’Allemagne du Nord avec elle. Manque l’Allemagne du Sud que la France empêche de rejoindre, par peur qu’elle ne devienne trop puissante...
La guerre de 1870, épisode 2 : l’insulte
Pour une histoire de trône d’Espagne vacant et de prince prussien qui pose sa candidature, la France a une trouille bleue. Une pétoche monstre de se retrouver écrasée, toute petite, entre l’Espagne et la Prusse. Elle ordonne le retrait de la candidature !
Chose faite, un ambassadeur français se fend même d'une visite au roi prussien, Guillaume Ier (notre futur empereur), pour avoir confirmation du retrait.
Mais les Prussiens modifient l’histoire, racontant à la presse que le roi a refusé de voir l’ambassadeur français, n’ayant « plus rien à lui dire ». Tout ça pour pousser la France à monter sur ses petits ergots de coquelet et à entrer en guerre, tiens.
Vous savez quoi ? Ça marche ! Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870.
La guerre de 1870, épisode 3 : capitulation
C'est beau la guerre, oui, mais là, Napoléon III a déclaré une guerre avec une armée en sous-nombre, mal préparée, mal équipée. Casse-pipe direct.
Le 2 septembre 1870, la France capitule à Sedan. Napoléon III, malade, est fait prisonnier et doit se soumettre en remettant son épée. Humiliation totale !!
La Prusse peut envahir la France, bombarder Paris, et le 19 septembre, crac : les troupes s'installent à Versailles. Dès le 5 octobre, Guillaume Ier et son chancelier Bismarck préparent la proclamation de l’Empire allemand.
La date et le choix de Versailles, tout sauf un hasard
Versailles, tout un symbole !
C’est pour prendre revanche sur les guerres humiliantes de Louis XIV et de Napoléon Ier (surtout la défaite allemande d’Iéna en 1806), que les Prussiens optent pour le château comme lieu de cérémonie. Hé, symbole royal français par excellence !
La date choisie ? Elle commémore le sacre du tout premier roi de Prusse, le 18 janvier 1701 !
La cérémonie et la Galerie des Glaces
Alors, imaginez... On a installé un autel au milieu de la galerie des Glaces, pour la cérémonie religieuse.
Il s'agit en fait d'une estrade placée du côté du salon de la Guerre... à l’opposé exact de l’endroit où se trouvait le trône de Louis XIV !
La galerie, noire de monde, compte 600 officiers (du gratin de princes et de nobles allemands), avec Bismarck qui lit la proclamation. Puis tout le monde s’écrit « Vive sa Majesté l’empereur Guillaume » !
Car avec cette proclamation, Guillaume n’est plus roi de Prusse, mais kaiser (empereur, du latin Caesar) allemand d’un Reich (empire) : le deutscher Kaiser.
N.B. : Pomponneau de la pomponnette ! Il a fallu complètement nettoyer la Galerie pour l'évènement : car après la reddition de l’armée française à Sedan, les Prussiens se sont installés un peu partout à Versailles.
Ils ferment le château et transforment la galerie des Glaces en hôpital de guerre, pleine d'alignement de lits et de blessés !
La question épineuse du titre
Le titre de Guillaume Ier de deutscher Kaiser a été trèèès soigneusement choisi. Bismarck lui propose « empereur allemand ». Bof... Guillaume est loin d’approuver : lui veut « empereur des Allemands ». Nuance !
Mais ce dernier titre dérange : il fait penser à la Révolution Française, quand en 1791 Louis XVI, roi de France, devient roi des Français par décret de l’Assemblée nationale...
Bon, allez, va pour « empereur allemand » !
Guillaume se plaindra qu’on lui a forcé la main et fait la gueule pendant toute la cérémonie de proclamation. Il a même grommelé que ce jour aura été le pire de sa vie !
La France perd l’Alsace-Lorraine
Déjà que la défaite de 1870 a été vécue comme une grosse humiliation... là, il faut se farcir un nouveau coup dur.
La France se retrouve amputée à l'Est, siiii : on doit céder à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine, territoires convoités car remplis de précieuses matières premières.
Ils resteront teutons jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale !
Louis II de Bavière, le grand absent !
On a vu que les 39 états se réunissent à Versailles, pour cette proclamation.
Tous, sauf un. La Bavière de Louis II, qui refuse de faire acte de soumission ! Vous savez ? Louis II, le roi fou passionné par Wagner et les châteaux gothiques ?
Louis sait que sa Bavière va être agglomérée à ce qui va devenir l’Allemagne. Il va perdre son indépendance. Alors, hors de question d'aller à Versailles assister au massacre !
Du coup, il envoie son frangin, Othon Ier, aussi dingo que lui. Un Othon qui écrit d’ailleurs à Louis à propos de la cérémonie : « Tout était si froid, si fier, si pompeux, sans cœur et vide... »
Entre nous, les deux ne supportent pas de voir la naissance de l’Allemagne se faire sur les ruines fumantes d’un Versailles vaincu et bafoué, d'une France humiliée dont ils aiment tant l'esprit et la culture...
Conclusion ?
Cette proclamation est une terrible humiliation pour la France. Mais patience...
On y reviendra, dans cette galerie des Glaces, le 28 juin 1919. Mais cette fois pour assister à la fin de l’Empire allemand. Oui, né ici même en 1871, on l'a vu... ironique, pas vrai ?
Là, il sera question de régler ses comptes après une guerre sanglante connue sous le nom de Mondiale...
Sources
- François Roth. La Guerre de 70. Fayard, 2014.
- Jean-Jacques Aillagon. Versailles en 50 dates. Albin Michel, 2012.
- Pierre Combescot. Louis II de Bavière. J.-C. Lattès, 1987.