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Les gisants de Fontevraud au coeur d'un conflit franco-anglais !

Quand : 1816 - 1866

Aliénor et Henri II | ElanorGamgee / CC-BY
Abbaye Lieu de sépulture Bénédictin Richard Cœur de Lion Aliénor d'Aquitaine Henri II d'Angleterre Abbaye de Fontevraud

De sépulture en sépulture

1814. L’abbaye de Fontevraud vient d’être transformée en prison ! Terrible changement !

Vous savez sûrement que les murs de la vénérable abbaye abritait depuis le 13e siècle les gisants d’Aliénor d’Aquitaine, de sa moitié Henri II d’Angleterre, de leur fils Richard Coeur-de-Lion et leur belle-fille Isabelle.

Transformation en maison d’arrêt oblige, en 1814, les quatre gisants déménagent de l’église abbatiale jusque dans les cuisines romanes, pour l’occasion convertie en chapelle funéraire.

Ils vont y rester... 40 ans, pour être finalement inhumés dans la salle capitulaire de l’abbaye.

Mais en 1816, branle-bas-de-combat : l’Angleterre fait sa toute première réclamation des gisants !

Fontevaud : salle capitulaire

Fontevaud : salle capitulaire | © Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

L'antiquaire anglais donne l'alerte !

1816. Charles Stothard, antiquaire britannique qui écrit un livre sur les statues de Grande-Bretagne (Monumental Effigies of Great Britain), se rend à Fontevraud.

L’horreur ! Il remarque la façon dont les Français conservent les gisants des Plantagenêts.

Une honte ! Un scandale ! Elles ont échappé aux saccages de la Révolution, oui... mais moisissent dans un coin de l’abbaye !

De retour en Angleterre, il entame des démarches pour que son pays récupère les statues.

Les Français réagissent

Voilà le gouvernement anglais qui en fait officiellement la demande aux Français, au début de l’année 1817.

Le Premier Ministre du roi Louis XVIII, le duc de Richelieu, s’occupe de l’affaire.

Mais quand on demande au préfet du Maine-et-Loire, M. de Wismes, de donner un avis quant à l’état de conservation des gisants… celui-ci s’oppose à leur déménagement ! Il faut que les effigies restent en Anjou.

Oui, certes : il faudrait tout de même prévoir un déménagement dans un lieu plus acceptable, pour « sortir de la poussière » ces œuvres « mutilées », mais « très précieuses » !

Fontevraud

Fontevraud | ©Uwe Brodrecht / Flickr / CC-BY-SA

Les Anglais contre-attaquent

Vous croyez que l’affaire allait en rester là ? Hé… non ! En 1819, nouvelle demande anglaise !

Les gisants auraient été, selon les Britanniques, « abandonnés dans les champs » voisins de Fontevraud.

Wismes intervient de nouveau, en rappelant que depuis 1817, les statues sont entreposées « dans un lieu hors de toute atteinte. »

Et de dire que la question de la restitution de ces chefs-d’œuvre ne doit même plus se poser.

Pour que cessent les réclamations, il faudrait, selon lui, faire construire une « chapelle sépulcrale » dédiée, au sein de l’abbaye.

Chose plus facile à dire qu’à faire, étant donné qu’à cette époque, l’abbaye est une prison ! Mais au moins, les Anglais en ont fini, avec leur réclamation. Pour le moment !

Fontevraud

Fontevraud | ©Esther Westerveld / Flickr / CC-BY

Un petit passage par Paris

Le roi Louis-Philippe fait transporter les gisants à Paris, en 1846.

Son but ? Les déposer au musée du Louvre ! Les Angevins râlent, on se mobilise : les statues sont finalement de retour à Fontevraud en 1849.

Avec néanmoins, de « petites » restaurations qui ont été réalisées, et qui ne sont pas au goût de tout le monde.

Pour le gisant de Richard, par exemple, on a refait les mains, le nez cassé à la Révolution, la couronne, mais surtout une partie du sceptre « qu’on lui fait tenir comme un joueur de clarinette tiendrait l’instrument dont il s’apprêterait à jouer » !

Richard Coeur-de-Lion

Richard Coeur-de-Lion | ©Francois R THOMAS / Flickr / CC-BY-SA

Un cadeau pour la reine Victoria ?

Les Anglais reviennent à la charge en 1866. Les rois, reines de la dynastie des Plantagênets n’ont rien à faire en France : ils seraient bien mieux à Westminster !

Un membre de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts d’Angers fait paraître un article, argumentant pour que les gisants restent en Anjou :

« Qu’iraient faire sur ces dalles, glacées par l’hérésie, des figures marquées du sceau de la catholicité ? [...] Vous avez vos Tudor, laissez-nous nos Plantagenets. »

Petit problème néanmoins : l’empereur Napoléon III a promis ces gisants... à la reine Victoria !

Il faut une armada de mobilisation, moult pétitions de députés, journalistes, sociétés savantes, pour faire marche arrière.

Seule requête de la reine anglaise (qui avait abandonné l’idée de recevoir le cadeau empoisonné) : que les gisants reçoivent une place d’honneur au sein de l’abbaye de Fontevraud, dans l’église abbatiale fraîchement restaurée.

Conclusion

Ce vœu de voir les quatre gisants retrouver leur place originelle au sein de l’abbatiale, se concrétise à partir de 1902, avec le début des travaux de restauration de l’église.

Mais il faut réellement attendre 1992 pour voir l’installation des effigies royales à leur emplacement actuel, dans la nef.

Sources

  • Michel Melot. Histoire de l'abbaye de Fontevraud. CNRS Éditions, 2022.
  • Guy Trigalot. Les tombeaux des Plantagenêt : bataille patrimoniale ou acharnement sur fond de rivalité franco-britannique ? Académie des sciences, belles lettres et arts d’Angers, 2022.
  • Louis Courajod. Les sépultures des Plantagenets à Fontevrault. 1867.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !