Assistons ensemble à la séparation de la célèbre George Sand et de son mari, au palais Jacques-Coeur, à l'époque transformé en tribunal...
Casimir et George, l'entente impossible
Chacun de son côté !
Février 1836 : George intente un premier procès à un terrible mari dont elle veut se séparer...
Il s'appelle Casimir Dudevant, fils d’un ancien officier de l’Empire, ancien officier lui-même.
Elle l'a épousé en 1822, elle a alors 18 ans, lui 30. Elle ne s'appelait pas encore de son nom de plume George Sand, mais Aurore Dupin de Francueil.
Le jeune couple est d’abord très heureux.
De 1822 à 1831, George vit une vie bourgeoise et sans soucis avec ses deux enfants, Maurice et Solange.
Son mari la laissait vivre comme elle l’entendait, pourvu qu’elle en fasse de même...
George se retrouvait à faire des allées et venues entre Paris et son domaine berrichon de Nohant.
Aurore-George l'auteure
Jusqu’au jour où, fatiguée de cette vie terne de femme au foyer, elle se lance, tente sa chance à Paris dans le monde des écrivains.
On est à l’hiver 1831. Elle devient célèbre du jour au lendemain, fait paraître entre 1831 et 1836 Indiana, Lélia…
Casimir est d’abord surpris du succès de sa femme. Mais il s’en fiche bien ! « Mon mari ne lit pas mes livres », écrit-elle.
George voyage en Europe, écrit tout son saoul, tandis que lui gère Nohant, dont le contrat de mariage lui attribue les revenus et l’administration : oui, à l'époque, le Code Civil prive une femme mariée de la gestion de ses biens, au profit de l'époux !
La situation dure ainsi 5 ans, George ne revenant à Nohant que l’été.
Premières frictions...
Mais les choses se dégradent. Des brouilles apparaissent. Des différences flagrantes de caractères !
En prime, Casimir gère mal le domaine de son épouse. Il dépense trop. George devient blême : le Nohant de sa chère grand-mère était en train de partir en miettes…
Dès 1835, les amis de George lui conseillent une séparation de corps. Une demande portée devant le tribunal de première instance de La Châtre, en février 1836.
George leur confie tout ! Casimir a eu tellement de paroles déplacées, ces derniers temps... Il est établi qu’il y a eu, même devant les enfants, injures graves et mauvais traitements !
Il la traite de « folle, radoteuse, bête stupide » !
Dudevant fait appel
Une enquête, inévitablement, s'ensuit.
Casimir se rend compte que Nohant va lui échapper... Alors, il fait opposition et envoie au tribunal une lettre pleine d’insultes à l’adresse de George !
Devant cette preuve irréfutable du terrible caractère du mari, le tribunal prononce la séparation de corps et de biens au profit de George et lui confie la garde des enfants.
Vous pensez que Casimir va se laisser faire ? Non ! Il fait appel devant la Cour de Bourges !
Direction le palais Jacques Coeur, pour le procès...
La salle d'apparat
La cour se tient alors au cœur du palais Jacques Coeur, à Bourges.
Précisément dans la salle d'apparat où se trouve aujourd'hui la copie du gisant de Jean de Berry.
La Cour d'appel et le tribunal de première instance s'y installent en 1822.
Michel de Bourges, l'avocat amant de George
Elle l’a aimé très fort. Il a 40 ans, en parait 60, « une belle figure pâle, des yeux myopes d'une douceur admirable à travers ses vilaines lunettes. »
Il n’est pas berrichon, mais c’est pourtant à Bourges qu’il acquiert sa renommée, au barreau de cette ville.
Je veux parler de l'avocat de George Sand, Louis Michel, dit Michel de Bourges !
Le 9 avril 1835, George se rend à Bourges pour y rencontrer le célèbre avocat et républicain ardent, que ses amis lui ont recommandé.
Installé à Bourges en 1826, il brille par ses plaidoiries redoutables et acérées et prend le nom de la ville qui l'avait accueilli.
Aaah, George n'oubliera jamais la promenade « nocturne et ambulatoire » dans les rues de la ville, où, de 19h à 4h du matin, Michel lui expose avec force ses idées sur l'égalité et l'injustice.
Elle en tombe éperdument amoureuse...
On lit dans Ces femmes qui ont réveillé la France (Jean-Louis Debré) cette lettre de George de 1837 :
« Je t’aime, oui je t’aime, j’en souffre et j’en jouis avec âpreté, avec amertume. Mille serpents me dévorent, mille désirs me consument. »
Fortune et garde partagées
Jour J au palais Jacques Coeur !
George arrive avec son avocat « en robe blanche, capote blanche, collerette tombante sur un châle à fleurs. »
Une tenue expliquée par le fait qu’elle craint que son statut de femme publique et sa notoriété d’écrivain ne soient retenus contre elle.
George écrira d'ailleurs :
« Je savais les juges de Bourges prévenus contre moi et circonvenus par un système de propos fantastiques sur mon compte. Ainsi, le jour où je me montrai habillée comme tout le monde dans la ville, ceux des bourgeois qui ne m'y rencontrèrent pas demandèrent aux autres s'il était vrai que j'avais des pantalons rouges et des pistolets à ma ceinture. »
En attendant, un procès éprouvant s'ensuit...
George a mis par écrit les 13 années de vie conjugale, spécialement pour le procès de Bourges :
« Il y avait dans les manières de M. Dudevant à mon égard une habitude de fiel, de raillerie grossière, d’amertume poignante, brutale, continuelle. Il s’habitua à des excès de vin qui le rendent irritable sans aucun motif et le poussent à des accès de colère furieuse. La conduite de M. Dudevant devient si bruyante, ses fanfaronnades de libertinage si déplacées que mon plus grand désir fut de voir entrer mon fils au collège afin de quitter Nohant sans me séparer de lui. »
Michel de Bourges, quant à lui, entame une plaidoirie du tonnerre, comme il en a le secret.
Seulement, la cour de Bourges est partagée... elle renvoie la cause au 1er août pour être entendue de nouveau.
Mais, coup de tonnerre ! Devinez un peu... Dudevant, le lendemain, se désiste ! Ainsi, le verdict prononcé au tribunal de La Châtre est maintenu...
À savoir que George obtient la séparation et la garde des deux enfants.
Mais en 1837, le drame : Casimir enlève Solange à Nohant !
George apprend qu’elle se trouve chez Dudevant, dans son domaine de Guillery, dans le Lot-et-Garonne.
Elle s’y rend, entre anxiété et colère, et grâce au sous-préfet, récupère sa fille.
Petite anecdote : ce sous-préfet, 15 ans plus tard, deviendra préfet de la Seine... c’était Haussmann !
Conclusion
« Enfin, libre ! » C'est le cri du cœur lancé par George à l'issue du procès. Nous sommes le 29 juillet 1836.
Elle avait obtenu la garde de ses deux enfants.
Elle qui avait hérité du domaine de Nohant après la mort de sa grand-mère, en 1821, obtient aussi gain de cause en retrouvant la gestion de ses terres.
De quoi y vivre les plus belles décennies de sa vie et y puiser l'inspiration pour ses nombreux, nombreux écrits...
Quid de Michel de Bourges ? Il est marié et en plus jaloux et infidèle... Leur relation dure deux ans, au bout de laquelle George dira avoir « terrassé le dragon. »
Sources
- Martine Reid. George Sand. Éditions Gallimard, 2013.
- George Sand. Œuvres complètes.
- La Fille de George Sand : lettres inédites. 2016.
- Marie-Louise Vincent. George Sand et l'amour. 1919.
- Marie-Louise Vincent. George Sand et le Berry. 1919.
- Séverine Forlani. George Sand : le défi d'une femme. Éditions du Jasmin, 2018.