Le jour où l'on a pendu les restes de l’assassin Poltrot de Méré à la voûte de la porte Saint-Denis

L'assassinat de François de Guise (Jean Perrissin, 1570)L'assassinat de François de Guise (Jean Perrissin, 1570) | ©Rijksmuseum / Public domain

L'ombre menaçante de la porte Saint-Denis. Encore plus sinistre en ce jour de mars 1563.

Je vais vous dire pourquoi : on y a pendu les restes du protestant Poltrot de Méré. L'assassin du catholique François de Guise.

Une attaque. Une blessure. Beaucoup de douleur. Et une exécution ignoble...

Attaque embusquée au creux de l'hiver

Tout est étrangement calme.

Le sentier dort dans la pénombre de cette fin d’après-midi d’hiver fadasse, dans un bois paumé entre Orléans et Beaugency.

Vous voyez, cet homme ?

Sinistre silhouette enveloppée d’une cape noire ? Son nom : Poltrot de Méré.

Les flancs de son cheval palpitent doucement.

La bête mâchonne son mors qui tinte clairement entre deux renâclements.

Son cavalier fait le guet, immobile, tendu sur les rênes.

Un merle déchire le gris du ciel d’un frôlement d’aile. Un bruit sec fait sursauter le cavalier. Ses prunelles scrutent les bois alentours.

Nouveau craquement. Puis un autre. Il arrive... sa cible !

Poltrot, droit comme un i, la main sur son arme, tire.

Bam ! Fumée, odeur de poudre.

Il l’a touché à l’épaule, par-derrière. Bruit de corps qui s’affaisse comme un sac de grain.

Voilà. Sa besogne ? Accomplie.

Coup sec sur les rênes, et la monture couleur de feu démarre dans un fracas du tonnerre...

Derrière le cavalier, on donne l’alerte. Des hommes tentent de s’interposer. Peine perdue.

Juste le temps d’apercevoir le cheval et son harnachement blanc...

Touché... tué ?

La respiration du duc est pénible. Ses côtes se soulèvent en tressaillant. La blessure est mauvaise. Il a l’épaule quasiment arrachée.

Du givre s’échappe de ses lèvres entrouvertes. Ses sourcils se froncent. La douleur. Abominable.

Mine de rien, le coup est mortel...

Que vient-il de se passer ?

Le protestant Jean de Poltrot, seigneur de Méré, vient de blesser mortellement le duc François de Guise, le chef de l’armée catholique.

Cela s’est passé le 18 février 1563, à Saint-Hilaire-Saint-Mesmin, non loin d’Orléans.

Les guerres de Religion battent leur plein. François se bat partout. Au siège d’Orléans, surtout, la ville protestante par excellence.

C’est tout près de là que Poltrot tire sur le duc, alors qu’il regagne son Q.G.

Là, l’assassin vient de s’enfuir. Il ne perd rien pour attendre...

François de GuiseFrançois de Guise | ©Rijksmuseum / CC0

Poltrot... l'Espagnol Charentais

Les gouttes de soupe coulent sur sa barbe brune. L'homme déjeune tranquillement, au coin du feu. Une poule caquette, dehors.

Poltrot (car c'est lui) ne cherchera même pas à fuir la police qui vient le cueillir quelques jours après le drame, dans un village voisin, attablé chez un paysan.

On a reconnu son cheval... Il avoue sans problème.

Non mais regardez-le ! Il a 20 ans. Un gosse !

Râblé, brun, le teint mat, les yeux petits et les traits grossiers, ce gars de la région d’Angoulême a passé plusieurs années en Espagne, où il se convertit au protestantisme.

Surnommé l’Espagnol, c’est un soldat aguerri. Un dur.

Torturé, il avoue avoir agi sous les ordres de l’amiral de Coligny, le rival de Guise.

Un amiral qui dira :

« Je n’ai aucune part à la mort du duc, mais je ne puis que me réjouir de la mort d’un si dangereux ennemi de notre religion ».

Crime fanatique ou complot protestant, l’affaire Poltrot de Méré ? On n’aura jamais le fin mot de l’histoire.

En attendant, la victime endure l’enfer...

Le supplice de Poltrot de MéréLe supplice de Poltrot de Méré | ©Rijksmuseum / CC0

Pendant ce temps, le duc agonise... et déguste

Vous manquez de tomber dans les pommes quand vous vous coupez le doigt avec une enveloppe ?

Alors, ce passage n’est pas pour vous !

Vous pouvez vous remettre d’une blessure à l’épaule, même si elle vous a arraché le bras, comme pour Guise. Sauf que les médecins s’en mêlent.

Et avec la médecine de l’époque, on n'est pas sûr d'en sortir vivant... Dans les premières heures, le blessé va bien.

Mais on pense que Poltrot a empoisonné les balles. Pour prévenir l’effet du poison, un certain Saint-Just d’Allègre propose de « charmer la plaie. »

Je vous jure. Appliquer des linges en marmonnant des paroles guérisseuses !

Le duc refuse, préfère la médecine.

Et là, c’est la boucherie : les chirurgiens « taillent la chair tout autour de la plaie pour parer à l’introduction du poison dans le sang. »

Voilà qui provoque une belle hémorragie, sans compter la douleur atroce :

« Après avoir dilaté la plaie, les chirurgiens l’avaient cautérisée avec un ferment d’argent tout ardent. »

Je sais ce que vous vous dites. « Pitié, stop, c’est bon ! On a compris, c'est le carnage. »

Oui ! Les bouchers, pardon, les chirurgiens vont l’achever.

Quoi de mieux que d’ouvrir la plaie plus grande pour voir si des fragments de balles ne s’y trouvent pas ?

En trifouillant dans sa chair meurtrie, c’est François que l’on condamne à mourir d’une horrible septicémie, après des heures d'une fièvre intenable et de prostration, le 24 février 1563.

L’atroce exécution d'un régicide

La foule en délire

La Seine vomit une odeur de vase. La foule en délire rugit.

Aujourd’hui, 18 mars 1563, c’est jour d’exécution publique, sur la place de Gréve...

Poltrot, finalement condamné à mort, va subir l’atroce traitement réservé aux régicides : la peau arrachée avec des tenailles rougies au feu, le corps écartelé par 4 chevaux.

4 puissants chevaux tirent les cordes reliées aux membres du protestant encore vivant.

Tirer... jusqu’à ce que bras et jambes se séparent du corps. Processus qui dure des heures, et au final, Poltrot respire encore...

Le bourreau est obligé de lui inciser les membres avec un couteau pour faciliter le travail des chevaux...

Un horrible spectacle : on raconte que dans la foule, la dame Léonore d’Humières, choquée, hystérique, meurt sur le coup !

Exécution sur la place de Grève au XVIe sExécution sur la place de Grève au XVIe s | Exécution sur la place de Grève au 16e s | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Du sang sur les portes

Promenades à travers Paris (E. de Ménorval, 1897) raconte : on place la tête de Poltrot au bout d’une pique et on l’expose sur la place.

On brûle le tronc, et on pend les 4 membres à la voûte des 4 portes médiévales de Paris : portes Saint-Denis, Saint-Honoré, Saint-Jacques et Saint-Antoine.

Oui. Vous avez bien entendu.

La porte Saint-Denis, sur laquelle Louis XIV a fait construire l'arc actuel.

L'ancienne porte St-DenisL'ancienne porte St-Denis | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Conclusion

Résultat des courses ?

Et vous savez quoi ?

On voit toujours la « pierre du duc » à Saint-Hilaire-Saint-Mesmin, à l’angle de la rue des Vaslins.

Là où François s’assoit en sentant la mort rôder...

Source

  • P. de Vaissière. Jean Poltrot, seigneur de Méré, meurtrier de M. de Guise. 1910.