La recette gagnante et généreuse de l'omelette de la mère Poulard

De 1872 à 1931

M. et Mme PoulardM. et Mme Poulard | ©Malina Jones / Flickr / Public domain

Annette Boutiaut, une Nivernaise en Normandie

La mère Poulard s’appelle à la base… Annette Boutiaut ! Elle naît à Nevers le 15 avril 1851, dans une famille modeste.

Elle devient la femme de chambre d'Édouard Corroyer, architecte en chef des Monuments historiques. Celui-ci a reçu de l’État la restauration de l'abbaye du Mont Saint-Michel, en 1872.

Et hop ! Corroyer embarque son épouse, sa fille, Annette, et fait de fréquents séjours au Mont.

Annette y fait la connaissance du fils aîné du boulanger, Victor Poulard. Coup de foudre ! Le mariage a lieu le 14 janvier 1873 à Paris en l'église Saint-Philippe-du-Roule.

Avec M. Corroyer comme témoin !

Mont Saint-Michel (anonyme, 1860-1890)Mont Saint-Michel (anonyme, 1860-1890) | ©Rijksmuseum / CC0

La modeste première auberge des Poulard

Le jeune couple s'installe au Mont Saint-Michel. Ils ont pris à bail l'auberge de Saint-Michel Tête d'Or, dans la Grande-Rue du Mont.

On y trouve alors 3 auberges. Qui se disputent une toute petite clientèle, depuis que la prison de l’abbaye a fermé en 1865.

Car on a perdu de bons clients, entre les familles des prisonniers et la garnison ! Il n’y a plus de pèlerins non plus, du fait de la désaffection de l’abbaye et de sa transformation en prison.

Et la route menant aujourd'hui au Mont n'existant pas encore, l'accès est très compliqué...

Les débuts des Poulard à la tête de leur petite auberge sont donc modestes. Il faut attendre 1877, pour voir se renouer l'ancien pèlerinage au Mont. Avec son afflux de visiteurs, croyants comme simples touristes !

Hôtel Poulard Aîné (C. Norman & Co, 1880-1914)Hôtel Poulard Aîné (C. Norman & Co, 1880-1914) | Hôtel Poulard Aîné (C. Norman & Co, 1880-1914) | ©Rijksmuseum / CC0

Une vague de touristes affamés déferle sur le Mont !

Dans ce contexte, Annette remarque que les nombreuses voitures à cheval, amenant les visiteurs au Mont, arrivent à rythme plus ou moins régulier, selon les marées et la météo.

À peine débarqués, ils se font mettre le grappin par servantes et propriétaires des auberges, qui les avaient vus arriver de loin, à la longue-vue !

Les 3 tenanciers se partageaient les clients et les menaient dans leur établissement, pour leur proposer une chambre.

À l'auberge de Saint-Michel Tête d'Or, le sourire chaleureux d'Annette fait la différence : ce sourire, cet accueil qui faisaient que l'on se sentait tout de suite chez soi !

Mais… une chambre, l’accueil, c’est bien. Sauf que, quand le visiteur arrivait systématiquement mort de faim, à n'importe quelle heure... il fallait toujours avoir quelque chose de prêt, de facile à manger. Et de bon !

Abbaye du Mont Saint-MichelAbbaye du Mont Saint-Michel | ©Richard Mortel / Flickr / CC-BY

La recette de l'omelette de la mère Poulard

C'est là qu'Annette pense à l'omelette. Simple, savoureuse, réconfortante : en un éclair, elle est prête ! L'omelette ainsi improvisée par Annette devient vite une légende.

Dont on tente de percer le secret... parce qu'il y en a forcément un, pas vrai ? Certains pensent à de la crème ; d’autres à une recette uniquement composée de jaunes d’œufs...

Que dit la principale intéressée, la mère Poulard ?

« Pouvez-vous croire, pouvez-vous penser que j'aurais perdu tous ces blancs ? Non. Je prenais les œufs et les battais tels quels. Quant à la crème, pure invention. Ce qui est vrai, c'est que nous avions toujours le meilleur beurre du pays et toujours très frais. Nous n'y regardions pas. Nous en mettions dans la poêle un bon morceau, que nous ne laissions pas roussir. Voilà tout mon secret. »

En juin 1922, Annette Poulard donne sa recette :

« Voici la recette de l'omelette : je casse de bons œufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de très bon beurre dans la poêle, j'y jette les œufs et je remue constamment. »

Avant d'ajouter :

« J'ai eu bien souvent - oh ! tous les jours en été - vingt, trente curieux autour de moi. Et c'était parfois pas très commode. Mais puisque ça les amusait !... »

L'omelette de la mère PoulardL'omelette de la mère Poulard | ©Cheng-en Cheng / Flickr / CC-BY-SA

Du beau monde à l'auberge

Les personnalités font les beaux jours de l'auberge du couple Poulard !

Notamment Georges Clemenceau, qui vient plusieurs fois, alors qu'il se rendait dans sa maison de Vendée, pour les vacances.

Mais n’oublions pas aussi le roi des Belges Léopold II, Léon Trotski, Ernest Hemingway, Marilyn Monroe ou encore le président Kennedy...

Les Poulard, à gauche, devant leur aubergeLes Poulard, à gauche, devant leur auberge | ©Musée de Bretagne / Public domain

Échange d'auberges entre frères

On comptait alors deux établissements Poulard, au Mont Saint-Michel : Poulard Aîné (Victor) et Poulard le Jeune : le frère cadet, Alphonse !

Les deux se livraient une concurrence féroce. Jusqu'au jour où le couple Poulard finit par abandonner leur auberge de la Tête d'Or à Alphonse, qui vient s'y installer.

Annette et Victor, eux, font construire, à gauche de la porte du Roi, un établissement à l'enseigne de La Renommée de l'Omelette, plus tard hôtel Poulard Aîné.

Là où se trouve encore l'auberge actuelle !

Cuisines de la Mère PoulardCuisines de la Mère Poulard | ©Jon Gudorf Photography / Flickr / CC-BY-SA

Une retraite bien méritée !

Le couple finit par prendre une retraite bien méritée au Mont, dans leur maison L'Hermitage. On voyait régulièrement Annette vaquer dans les petites rues du Mont, toujours vêtue de son ancien tablier.

Victor Poulard s'éteint le 10 octobre 1924, âgé de 76 ans. « Nous étions si unis. Songez donc !... » soupire Annette, inconsolable. On la voyait se rendre tous les soirs sur la tombe de Victor.

Jusqu’à ce que personne ne la voit quasiment plus sortir. Le 29 mars 1931, à la sortie de la messe, Annette souffle : « Ça ne va pas ! » Elle s'éteint le 7 mai 1931.

Dans le petit cimetière du Mont-Saint-Michel, sur la pierre de la tombe où le couple repose côte à côte, on lit :

« Ici reposent Victor et Annette POULARD, bons époux, bons hoteliers. Daigne le Seigneur les accueillir comme ils reçurent leurs hôtes. »

Source

  • Émile Couillard. La Mère Poulard. Éditions Pierre Grossuet, 1931. Consultable en ligne sur le-mont-saint-michel.org.