La fraise de Plougastel et son découvreur, Amédée Frézier, le Savoyard explorateur

De 1714 à 1900

Image d'illustration : fraisesImage d'illustration : fraises | ©Ilo Frey / Pexels

Deux mots sur la fraise avant Frézier !

  • Connue dès l’Antiquité, la fraise tient son nom de fragum, du latin fragare (embaumer, sentir) ;
  • en France, la culture de la fraise des bois est attestée dans les archives de Carpentras en Provence, au 13e siècle ;
  • en 1368, le jardinier de Charles V, Jean Dudoy, fait planter 12 000 pieds dans les jardins du Louvre ! Même chose dans les jardins du château bourguignon de Rouvres : la duchesse de Bourgogne en raffole : elle s'en fait expédier quand elle va en Flandres, dans les années 1378 ;
  • le 16e siècle voit se développer la culture de la fraise capron, une espèce sauvage avec des fruits très parfumés, plus gros que les fraises des bois ;
  • le plus célèbre jardinier de Versailles, La Quintinie, fait pousser des fraises dans le potager du roi, pour Louis XIV, qui les adore (jusqu’à se rendre malade). En 1709, son médecin Fagon... lui interdit même d’en manger !
Lys et fraises (C. van de Passe, 1604)Lys et fraises (C. van de Passe, 1604) | ©Rijksmuseum / CC0

La fraise du Chili, merci M. Frézier

Jusque-là, donc, on doit se contenter (même si c’est déjà très bien) de la fraise des bois, petite et peu sucrée. Rien à voir avec notre fraise de Plougastel !

Mais c'est sans compter un certain Amédée-François Frézier, qui va la rendre célèbre : le fameux fraisier du Chili, dont elle est issue, est ramené en France par ce monsieur, en 1714 !

Une découverte au Chili

  • Ingénieur né à Chambéry en 1682, il descend d'une vieille lignée écossaise (Frazer), installée en France depuis le milieu du 16e siècle ;
  • après des études à Paris, Frézier sert dans le régiment d'infanterie du duc de Charost dès 1702, pendant 5 ans ;
  • il travaille ensuite à Saint-Malo, sur l'agrandissement des remparts.

Rêvait-il déjà de bourlinguer sur des mers plus exotiques, notre Savoyard ? L'occasion se présente en 1711 : on l'envoie inspecter (espionner, oui) des colonies espagnoles en Amérique du Sud.

Il part de Saint-Malo le 23 novembre 1711 ; en juin 1712, il débarque au Chili, à Concepción. Les inspections faites, Amédée s'adonne à un petit tour de la flore locale (normal, il est aussi botaniste).

Son attention se porte sur un fraisier sauvage, dont il donne la description dans son carnet de notes… un fraisier « différent du nôtre », écrit-il, par ses fruits nettement plus gros, « quelquefois comme un œuf de poule. »

Des fruits cependant moins parfumés et sucrés que la fraise des bois, note-t-il !

Fraises (D. J. H. Joosten, 1828-82)Fraises (D. J. H. Joosten, 1828-82) | ©Rijksmuseum / CC0

Des précédents en Bretagne !

Déjà, au 16e siècle avec Jacques Cartier, la fraise s’invite en Bretagne.

Le célèbre navigateur malouin rapporte du Canada des pieds de fraisiers sauvages (de la fraise de Virginie), qu’il fait planter dans la région de Brest.

Dès 1624, on les retrouve décrites par les Robin, célèbres frères botanistes au service du roi de France Louis XIII.

Ces fraises seront cultivées en Bretagne jusqu’à la fin du 19e siècle !

Récolte des fraises à Plougastel (1900)Récolte des fraises à Plougastel (1900) | ©Archives départementales du Finistère

Les plants chiliens rapportés en France

Bref ! Frézier en rapporte plusieurs plants en France, lors de son retour en 1714. À l’arrivée, au port de Marseille, seulement 5 plants ont survécu à la traversée.

L'un se retrouve chez le botaniste Jussieu, au Jardin des Plantes, l’autre au potager du roi à Versailles, un autre encore chez Frézier… chez lui, près de Plougastel.

Car après ses pérégrinations chiliennes, la vie d'Amédée Frezier a repris son cours : on le nomme en 1740 directeur des fortifications de Bretagne, à Brest.

Mais il faut un coup de pouce de la nature, pour que des pollens de fleurs du fraisier de Virginie (déjà cultivé en Bretagne) ne viennent féconder le plant chilien planté par Frézier, à Plougastel.

On est en 1740. Le fruit obtenu est parfumé et goûteux : la fragaria ananassa !

Pesée de la cueillette des fraises (1900-60)Pesée de la cueillette des fraises (1900-60) | Pesée de la cueillette des fraises, Plougastel (1900-60) | ©Archives départementales du Finistère

La fraise de Frézier cultivée en France

En 1760, on commence à cultiver la fraise chilienne en France. Louis XV les adore, il en fait planter au Trianon à Versailles !

En 1766, on en parle dans les livres, comme avec le botaniste Duchesne et son Histoire naturelle des fraisiers (1766).

À la même époque, on raconte que l'écrivain Bernard Le Bouyer de Fontenelle aimait les fraises plus que tout. On attribue sa longévité (le monsieur est mort centenaire)... à sa consommation quotidienne de fraises !

En Bretagne, notamment dans la région de Plougastel, la nouvelle fraise hybride, la fragaria ananassa, est de plus en plus cultivée...

La fraise made in Breizh

L’apogée de la culture du fruit rouge en Finistère date surtout de la fin du 19e siècle. Et il y a une raison à cela !

Plougastel-Daoulas se trouve entre la rive gauche de l'Elorn et la rive droite de Daoulas ; une presqu'île qui bénéficie d'un microclimat, dû au Gulf Stream…

Un climat très doux qui contribue au bon développement de la fraise originaire du Chili ! On dit d'ailleurs de ces terres qu'elles sont le « jardin de Brest »…

Sources

  • Nicole Tonelli, François Gallouin. Des fruits et des graines comestibles du monde entier. Lavoisier, 2013.
  • Hervé Quintin. Les fraises de Plougastel. Éditions Sutton, 2005.
  • David Le Tiec. Si l'histoire de la fraise de Plougastel m'était contée. Ouest-France, ouest-france.fr. 24/07/2014.

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