La cloche de l'église de Pont-Audemer sonne toujours le couvre-feu

Eglise Saint-OuenEglise Saint-Ouen | ©Calips / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

L'origine du nom

Le couvre-feu est une mesure née au Moyen Âge.

Les cloches de l'église (ou du beffroi) d'une ville sonnaient tous les soirs le signal, pour les habitants, qu'il était temps d'arrêter leurs activités et d'éteindre feux et lumières, avec interdiction de sortir de chez soi.

Il porte à cause de cela le nom de couvre-feu : courfeu (qui a donné le curfew anglais) ou gare-fou, selon le Dictionnaire historique des anciennes institutions de la France de Pasquier, en latin ignitegium.

La tradition de sonner le couvre-feu

Mais saviez-vous que cette tradition de sonner le couvre-feu dans les églises ou les beffrois persiste, dans certaines localités françaises ?

Les plus célèbres sonneries sont celles de :

  • la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, avec sa Zehnerglock ;
  • la cathédrale de Saint-Malo et la cloche Noguette, qui sonnait le couvre-feu à 22 h, avant de lâcher les « chiens de guet », des dogues de garde, dans la ville close ;
  • celle de Pont-Audemer (Eure), depuis le clocher de l'église Saint-Ouen. L'une des quatre cloches (aujourd'hui automatisées) sonne le couvre-feu, pendant 4 minutes environ, après les 10 coups de 22 heures. Le prêtre de la paroisse indique que cette tradition remonte, à Pont-Audemer, au 9e siècle.

Pourquoi un couvre-feu ?

Plusieurs raisons !

À l’origine, le couvre-feu a plusieurs utilités, du Moyen Âge jusqu'au 18e siècle !

  • Prévenir les incendies trop nombreux à cette époque, avec les maisons en bois, d’où son nom (couvrir, éteindre le feu, de la nuit tombée jusqu’au petit matin) ;
  • réguler les horaires de travail, et assurer la sûreté des rues la nuit ; mesure prise bien plus tard lors de déclarations de loi martiale ou dans de rares cas de crise sanitaire, comme avec la Covid-19, en 2020 ;
  • limiter la libre circulation d'une catégorie de personnes, comme avec le cas des mineurs, ces dernières années en France.

Prévention des incendies

L’intérêt premier du couvre-feu est de tenter de lutter contre les incendies. Pas une mince affaire, lorsqu'on sait qu'au Moyen Âge, la quasi-totalité des villes de France et d'Europe sont construites… en bois !

Ainsi, à cause d'incendies provoqués par des feux mal éteints, Rouen brûle 6 fois, entre 1200 et 1225, Toulouse 9 fois, entre 1222 et 1242, indique Didier Chirat dans son Surprenant Moyen Âge (2020) !

Les moyens pour lutter contre les feux étant alors bien dérisoires, mieux valait prévenir que guérir...

En juillet 1465, une ordonnance stipule que chacun, sous peine d'être pendu, devait mettre devant chez lui plusieurs seaux d'eau et une lanterne allumée, la nuit.

Il y avait aussi, en plus, des veilleurs, crieurs de nuit et autres « clocheteurs des trépassés », qui venaient rappeler l'heure aux retardataires traînant dans les rues et veiller à l’extinction des feux.

Régulation des horaires de travail jour/nuit

Le couvre-feu vise également à marquer nettement le jour de la nuit, à une époque médiévale où la distinction entre activités nocturne et diurne n'était pas franchement marquée.

En principe, le travail commençait au lever du soleil et s'achevait au coucher de l'astre, au moment où l'on éteignait les lumières, soit... au couvre-feu.

Ce qui nous fait 18 heures l'hiver, 19 heures l'été !

Maintien de l'ordre et circulation

Le couvre-feu vise aussi à maintenir l'ordre dans les rues : vols, bagarres, meurtres, « ravissements de femmes et de filles et autres méchantes actions »…

Pour cela, voilà le guet ! Rassurez-vous, braves gens, le guet veillait sur vos nuits, depuis ses origines sous Clotaire II, officiellement organisé en 1150 sous Louis VII !

À Paris, ce sont les corporations de métiers qui fournissent le guet en hommes.

L'ordonnance royal du 6 mars 1363 stipule qu’ils doivent se présenter au Grand Châtelet (siège de la prévôté), à l'heure du couvre-feu, soit entre 7 et 8 heures l'été et 6 à 7 heures l'hiver.

Toutes les patrouilles nocturnes partent du Châtelet, avant de se répandre dans la ville à divers postes. Avant de passer la nuit sans bouger, à guetter, d'où leur nom de « guet assis » ou « guet dormant. »

En parallèle, on a un service de guet royal entretenu et payé par le roi, composé de 20 sergents à cheval et 40 sergents à pied.

Fermeture des débits de boissons et urgences nocturnes !

En plus du guet, jusqu'au 18e siècle, on prend l’habitude : de fermer les portes fortifiées des remparts, de tendre des chaînes dans les rues principales, de limiter les horaires d'ouverture des tavernes.

Ainsi, la cloche sonnant la fermeture des débits de boissons porte les noms évocateurs de « cloche des biberons » (Cambrai) ou « chasse-ribauds » (Rouen) !

Oh, bien sûr, il existe des exceptions de déplacements, la nuit : aller chercher un médecin ou une sage-femme, un prêtre pour l'extrême onction… ceux-là devant se signaler en agitant une lanterne.

Le couvre-feu au fil des siècles

Au 19e siècle, avec la généralisation de l'éclairage public, la nuit ne fait plus peur. Le couvre-feu disparaît petit à petit.

Avant de faire son grand retour, notamment lors :

  • du siège des Prussiens de Paris en 1870 ;
  • de l'occupation allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale ; c’est à cette occasion que serait née l’expression « se faire appeler Arthur » (se faire disputer), de acht Uhr (« huit heures ») : les Allemands faisaient respecter un couvre-feu commençant à 20h : les retardataires se faisaient hurler dessus Acht Uhr, Arthour, puis Arthur ;
  • du couvre-feu d'octobre 1961, imposé aux « Algériens français » seuls, dans le contexte de la guerre d'indépendance algérienne. La manifestation pacifique d'Algériens contestant cette mesure finit dans un bain de sang. Ce couvre-feu cesse à la mi-mars 1962 : c'était le tout dernier à Paris, avant le retour de celui de la crise de la Covid.

Sources

  • Didier Chirat. Surprenant Moyen Âge ! Larousse, 2020.
  • Arnaud Exbalin. La longue histoire du couvre-feu. L'Actualité, lactualite.com. 16/01/2021.
  • Sus aux incendies : premières mesures préventives adoptées en France. Journal d'hygiène (n°1030, 22e année). 18/06/1896.
  • Georges-André Euloge. Histoire de la police et de la gendarmerie : des origines à 1940. Plon, 1985.
  • Julien Pearce. Couvre-feu : le père Philippe Dubos assure que c'est « une tradition qui date du Moyen Âge ». Europe1, europe1.fr. 15/10/2023.
  • Jean Verdon. La nuit au Moyen Âge. Pluriel, 1994.