Qui est Élie de Beaumont ?
Saviez-vous que le château de Canon a eu un illustre propriétaire, au 18e siècle ?
Ne le cherchez plus, le voilà : Jean-Baptiste-Élie de Beaumont ! Avocat au Parlement de Paris et grand ami de Voltaire !
Un problème... de voix !
Ce Normand d’origine, né en 1732 dans une vieille famille protestante, se destine très jeune au barreau.
Mais sa voix inaudible et sa grande timidité le forcent bientôt à renoncer à sa carrière : c'est dans son bureau, via l’écriture, qu'il va défendre les causes les plus injustes !
La défense de Calas
Il se rend célèbre avec une affaire judiciaire qui défraie alors la chronique : celle du protestant toulousain Jean Calas, accusé à tort d’un crime qu’il n’a pas commis, en 1761.
Son Mémoire pour les enfants de Calas, publié en 1762, assure à Beaumont une popularité fulgurante !
De grandes affaires
Hormis l’affaire Calas, Beaumont se voue à deux autres cas célèbres :
- l’affaire Sirven (similaire en tous points à l’affaire Calas) ;
- l’affaire Solar, où il fait défendre l’assassin présumé d’un jeune sourd et muet, car il est convaincu de l’erreur judiciaire.
Un vengeur
Voltaire, son ami, dira de lui : « Voilà un véritable philosophe : il venge l'innocence opprimée » !
Deux mots sur l’affaire Jean Calas
Qu'est-ce que l'affaire Calas ?
- Le 13 octobre 1761, Jean Calas, marchand à Toulouse, retrouve son fils mort dans la maison familiale.
- Des traces de strangulation, de pendaison, sont visibles, alors que la famille affirme avoir trouvé le corps à terre, assassiné !
- Calas avoue que son fils s’est suicidé. Oui ! Il a menti, pour éviter le déshonneur : à l’époque, les corps des suicidés sont traînés publiquement sur une claie. Mais le fait d’avoir maquillé le suicide en meurtre rend Calas suspect.
- Des voisins l’accusent bientôt d’avoir assassiné son fils, car celui-ci allait se convertir au catholicisme ! Hé oui, Calas est protestant…
- Jean Calas est condamné à mort le 10 mars 1762.
Voltaire et Beaumont à la rescousse
Mais Voltaire a entendu parler de l’affaire ! Les contradictions, le manque de preuves le chiffonnent. Il mène l’enquête.
Après examen minutieux des pièces à convictions, et la collaboration de son ami Élie de Beaumont, il en arrive à la conclusion que Calas n’a pas tué son fils.
Beaumont publie son Mémoire pour les enfants de Calas en 1762, Voltaire son Traité sur la tolérance en 1763 : s’il parle évidemment de Calas, Voltaire en profite aussi pour évoquer plus largement la tolérance.
Le 9 mars 1765, Jean Calas et sa famille sont enfin réhabilités.
Beaumont et le château de Canon
Revenons à Canon !
En 1760, donc, année de son arrivée, Jean-Baptiste-Élie de Beaumont vient d’épouser la dernière héritière des Bérenger : la famille à qui appartient la terre de Canon, depuis la fin du 17e siècle.
Dès qu’il s’installe, il imagine tout de suite très bien la tête du château et des jardins qu’il va se faire construire ! Le domaine actuel de Canon, en somme…
C’est aussi à ce monsieur que l’on doit l’aménagement des très beaux jardins actuels.
Le premier château (existe toujours)
Canon a connu de nombreux propriétaires, depuis la construction du premier château, vers 1610.
En 1689, Thomas de Bérenger s’installe et fait construire un manoir, dont on peut voir le vestige dans le parc : ensuite, protestant de confession, il préfère s’installer en Angleterre.
Un descendant, Robert de Bérenger, vend le château en 1727 à Pierre de La Rocque, pour une somme ridicule.
C’est lui qui fait construire le rez-de-chaussée du château actuel, dès 1727.
Un long procès, pour obtenir Canon !
En 1764, la petite-nièce et héritière de Bérenger, Anne du Mesnil (également épouse d’Élie de Beaumont), intente un procès à La Rocque, pour faire annuler la vente du château de Canon.
Un combat soutenu par son mari avocat : ils obtiennent finalement gain de cause en 1768, et reprennent possession de Canon, moyennant le paiement d’une indemnité à l’ancien propriétaire.
Voltaire écrit d’ailleurs à son ami Beaumont, en 1768, en plein milieu de ce procès fleuve :
« Je vous croyais en pleine possession de Canon et je vois, en jouant sur le mot, qu’il vous faudra du canon pour rentrer chez vous ! »
Salles-de-bain et devises
Doté d'une fortune confortable, Élie de Beaumont peut transformer parc et château, en ajoutant un étage au monument, et coiffer le toit d’une balustrade à l’italienne.
Fait remarquable, on compte alors 3 salles de bains : une au-dessus de la cuisine, une dans les communs, une dans l’ermitage au milieu des jardins.
Beaumont commande pour l’intérieur du château des plaques de marbre portant des inscriptions, pour le dessus des portes, comme c’est alors la mode. Une réalisation signée Dropsy, marbrier du Roi.
Par exemple, celle au-dessus de l’entrée de la salle-à-manger dit : « Qui ne sait se borner, ne sait jamais jouir. »
Canon, le cancer dévorant tout
Le domaine de Canon comporte une ferme avec basse-cour, bergerie : une exploitation agricole permettant d’obtenir des revenus, afin de couvrir les frais de construction du château d'Élie de Beaumont.
« Canon est un cancer qui me mine… il faut aller à l’épargne », écrit Beaumont à son architecte, peu avant sa mort en 1786. L’avocat laisse d’ailleurs de grosses dettes...
L’une de ces exploitations, la ferme du Nord, était surnommée « ferme blanche », car entre les deux guerres, on y élevait des animaux blancs : poules, pintades, canards, lapins, jusqu’à la chatte de la fermière qui s’appelait… Blanche !
Le bâtiment se fait détruire en juin 1944 par une bombe alliée, puis reconstruire à l’identique.
Sources
- Encyclopédie Châteaux Passion. Éditions Atlas, 2001.
- Moulin-Vicaire. M. Élie de Beaumont et le château de Canon de 1768 à 1786. In Annales de Normandie (8ᵉ année, n°3). 1958.
- Biographies : Élie de Beaumont. In Annuaire du Département de la Manche (53e année). 1881.