La mort de Gabrielle d'Estrées
Citron... poison !
Zamet ! C’est le nom de ce banquier italien proche de la famille d’Estrées, chez qui Gabrielle s’arrête un soir d’avril 1599 pour se reposer et dîner.
La maîtresse presque reine d’Henri IV, enceinte de 7 mois, y déguste un citron givré, en dessert.
Mais quand quelques heures plus tard, elle est prise de terribles maux d’estomac, il n’en faut pas plus pour que les mauvaises langues murmurent que « l’agrume était empoisonné »…
Les vraies causes de sa mort
Mais non ! Rien de tout cela ! Pas d’empoisonnement ! Vous pensez bien : trop romanesque…
Gabrielle succombe à un mal, hélas, aujourd’hui bien connu.
Elle meurt d’éclampsie : des crises convulsives avec hypertension artérielle, chez une femme enceinte. Elle en a… tous les symptômes.
C'est un mal brutal ! Le volume 12 de Nouveau dictionnaire de médecine (1870) le décrit :
« L'accès commence par des contractions rapides des muscles de la face, des paupières et des globes oculaires, qu'on voit rouler en divers sens dans l'orbite. Ces mouvements saccadés, qui donnent à la figure une expression grimaçante des plus pénibles à voir, font bientôt place à des contractions toniques. »
Ajoutez à cet horrible tableau une déviation de la bouche et des contractures des muscles du cou, entraînant une terrible déviation de la tête vers l’épaule, des soubresauts, et enfin, la délivrance… avec le coma et la mort.
Or, on retrouve la pauvre Gabrielle défigurée, la tête « tournée devant derrière ». Les médecins n’ont jamais vu de convulsions aussi violentes !
« Les yeux chavirés, le col tordu, la tête tournée sur l’épaule, si affreuse qu’on l’eût dite morte d’un mois »…
Et ce qui ne trompe pas, ce sont ces douleurs d’estomac, qualifiées par les chroniqueurs de l’époque comme des « furieuses tranchées. »
C’est en fait un symptôme classique avant-coureur de l’éclampsie, nous dit Inès Murat dans sa biographie Gabrielle d’Estrées (2014), connu sous le nom de « barre épigastrique de Chaussier ».
Une compagne vite oubliée
Pas d’empoisonnement, donc, mais une jeune femme fauchée dans la fleur de l’âge.
Elle laisse un Henri IV (un temps) inconsolable, qui la fera inhumer en grande pompe, on va le voir !
Je dis « un temps », parce que trois semaines plus tard, dit Mlle de Guise, Henri IV tombait fou amoureux d’Henriette de Balzac, la fille du marquis d’Entrague.
Elle allait prendre la suite de Gabrielle, dans le cœur du roi !
Les funérailles de Gabrielle
Deuil en noir
Les obsèques de Gabrielle d'Estrées ont lieu le 17 avril 1599.
Ce sont celles d’une princesse de sang !
L’historien Jules Michelet rapporte que le roi Henri IV porte le deuil en noir, « contre l’usage des rois qui le portaient en violet, et le garda trois mois. »
Une effigie de cire
Une effigie de cire est fabriquée et exposée, selon l’usage, pendant quatre jours, sur un lit de parade couleur violet cramoisi, avec glands d’or.
Le même commandé par Gabrielle peu avant sa mort, pour décorer le Louvre, le jour de son mariage.
Sous un baldaquin de drap d’or, on a habillé cette effigie d’un manteau de drap doré fourré d’hermine, couronne ducale sur la tête: on l'a placée de façon à paraître assise.
Sous le lit, le corps de Gabrielle repose dans une « caisse ».
Comme de son vivant !
« Vingt mille personnes vinrent défiler dans la chambre mortuaire », rapporte le comte de Cheverny dans ses Mémoires.
Autour du lit, les parents de la défunte et de nombreux religieux sont occupés à réciter des prières, se relayant jour et nuit.
À l’heure du dîner, chambellans et officiers de maison apportent les mets qu’on avait l’habitude de servir à Gabrielle : ils les lui présentent et la servent, comme de son vivant !
En route pour Maubuisson
Une messe est dite à l’église proche du Louvre, Saint-Germain-l’Auxerrois, quatre jours après la mort de Gabrielle.
Ensuite, on emmène son cercueil et celui de l’enfant qu’elle portait à la basilique Saint-Denis, pour les funérailles.
En route ensuite pour l’abbaye de Maubuisson, leur dernière demeure ! Une des sœurs de Gabrielle, Angélique, y était abbesse.
À la sortie de Paris, le convoi est accompagné « d’une grande cavalcade de seigneurs et de beaucoup de carrosses remplis de dames. »
Mystère autour du gisant de Gabrielle
La mystérieuse dame de Laon
On pouvait voir le tombeau de Gabrielle d’Estrées à l’abbaye de Maubuisson jusqu’en 1793, année où l’on viola et détruisit sa sépulture (comme toutes les tombes qui s'y trouvaient).
Mais regardez la photo ci-dessous... Une grande collerette de dentelle, une robe ample, une coiffure à la mode de la fin du 16e siècle…
Cette statue d’une dame couchée se trouve exposée au musée d'Art de Laon, en Picardie !
Oh, mais ? Serait-ce le gisant de Gabrielle ?!
Déjà en 1887, Adrien Desclozeaux, dans son livre Gabrielle d’Estrées, exprime son incertitude sur l’origine de ce gisant.
Lenoir, le sauveur de monuments
L’enquête commence avec le conservateur de musée et archéologue Alexandre Lenoir.
La Révolution fait rage ; les hommes saccagent châteaux, abbayes, églises à travers la France. Il faut faire table rase d’un passé où tout rappelle la royauté, la noblesse, la religion.
À bas les statues de saints, les fleurs de lys, les tombeaux de nobles et de rois !
Lenoir parvient à sauver quantité de tombeaux des griffes des vandales, notamment à la basilique Saint-Denis, haut-lieu de la monarchie française.
Les œuvres rescapées terminent au Musée des Monuments français, créé en 1795.
Même chose dans quantité d’abbayes, dont Maubuisson.
Le gisant de Pontoise
Or, Alexandre Lenoir mentionne, dans Inventaire général des richesses d'art de la France (1816), le gisant suivant :
« Statue, en forme de bas-relief et en marbre blanc, de Gabrielle d’Estrées, achetée d’un habitant de Pontoise. »
Lenoir a acquis cette statue rescapée des saccages de la Révolution à un habitant de Pontoise, en 1809.
Pontoise n’est qu’à quelques kilomètres de Maubuisson…
Il la prend donc pour le gisant de Gabrielle d’Estrées !
Un nom sur un visage !
En fait... il s’agit du tombeau de Marguerite de Mandelot, fille du gouverneur de Lyon, morte le 10 juillet 1593 à 23 ans, et inhumée à Pontoise dans l’église des Cordeliers.
Un gisant flanqué à la base de deux colonnes cannelées, et d’une épitaphe en dessous, qui commençait par :
« Ci-gît haute et puissante dame de Mandelot, dame d’honneur de la reine... »
Les deux jeunes femmes sont mortes à la même période, l’erreur était facile…
La statue de la dame de Mandelot va rejoindre le musée d'Art de Laon en 1819, où elle se trouve encore exposée.
Quant au gisant de Gabrielle, tant pis pour nous : il a bel et bien définitivement disparu…
Sources
- Charles Merki. La marquise de Verneuil. 1912.
- Jacques Delbauwe. De quoi sont-ils vraiment morts ? Pygmalion, 2013.