Entre Gers et Californie : l'incroyable destinée du cloître du couvent des Augustins de Marciac

De 1906 à 2016

Couvent de MarciacCouvent de Marciac | ©Poudou99 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

De quoi s'agit-il ?

Il ne reste que de beaux vestiges du couvent des Augustins de Marciac.

Construit au milieu du 14e siècle, il se composait d’une église, d’un clocher et de son cloître.

Son cloître ? Démoli ! Disparu à jamais. À moins que ?

Il aurait été partiellement démonté et vendu, et se trouverait quelque part en France... non, aux États-Unis ! Légende ? Réalité ? Où est-il, exactement ?

En 2016, une enquête est menée par la docteure en histoire de l'art médiéval Céline Brugeat, alors auteure d’une thèse intitulée Quand l’Amérique collectionnait les cloîtres.

D’après ses recherches, il semblerait que le précieux cloître de Marciac ait enfin été localisé : il se trouverait dans le château californien du magnat de la presse W. R. Hearst (1863-1951) !

W. R. Hearst (E. Salomon, 1930)W. R. Hearst (E. Salomon, 1930) | ©National Portrait Gallery, Smithsonian / CC0

Un couvent et son cloître mutilé

Le cloître du couvent de Marciac compte évidemment, à la base, 4 pans à arcades : les 3 premiers disparaissent pendant les saccages liés aux guerres de Religion. N’en reste qu’un. Celui qui nous intéresse !

Le couvent traverse le temps jusqu’à la Révolution française : en 1791, les derniers moines sont chassés et l’édifice vendu comme bien national.

L’heureux acheteur du couvent, cette année-là ? Un certain marquis de Campels.

C’est, semble-t-il en 1856, qu’un écrivain gersois, Justin Cénac-Moncaut, évoque pour la première fois cette dernière galerie de 12 arcades, encore debout, « séparée en deux parties par un pilier carré portant un écusson sans armes soutenu par deux anges. »

D’antiquaire en antiquaire

En 1906, la galerie rescapée du cloître est vendue par les héritiers du marquis à un antiquaire de Tarbes.

Celui-ci la cède à son tour à un client parisien, qui la fait démonter pierre par pierre, chaque morceau rangé dans des caisses, puis expédier à Paris.

Un deuxième antiquaire entre en jeu, Allemand cette fois. Lui a pour clients de très riches Américains, friands d’antiquités venues de la vieille Europe.

Parmi eux : le richissime magnat de la presse William Randolph Hearst. C’est en 1910 qu’il achète (7000 dollars) un monument décrit dans l’acte de vente comme « un cloître gothique en pierre, arches et colonnes. De Marciac. L’intérieur d’un cloître, 12 arcades. »

Oui… la galerie du cloître de Marciac ! Pour l’ancien monument, cap sur New-York, où Hearst le remise dans un entrepôt. Il en sort 13 ans plus tard !

Hearst CastleHearst Castle | ©Robert Nyman / Flickr / CC-BY

Un cloître en Californie

13 ans plus tard, donc, le cloître de Marciac se retrouve entre les mains de l’homme d’affaires et magnat de la presse écrite américain William Randolph Hearst (1863-1951).

Celui qui a inspiré le célèbre personnage du film Citizen Kane, à Orson Wells !

Hearst est notamment à l’origine des comic strips dans les quotidiens, possède de nombreux journaux célèbres, comme Cosmopolitan ou Harper’s Bazaar.

Au faîte de sa puissance, dans les années 1920, il va enfin donner une place de choix au cloître de Marciac, qu’il venait d’acquérir quelques années plus tôt : le grandiose, fabuleux Hearst Castle, sa propriété californienne de 1000km2, entre San Francisco et Los Angeles, dont la construction venait de débuter.

Hearst Castle : le réfectoireHearst Castle : le réfectoire | ©Anna Irene / Flickr / CC-BY-SA

Le cloître de Marciac intégré dans son nouveau décor de rêve

Hearst décore son château, surnommé la Cuesta Encantada (la Colline enchantée), construit entre 1919 et 1947, de toutes les plus incroyables antiquités et œuvres d’art, achetées en Europe.

Et il y a de la place… l’immense et extravagante villa compte 56 chambres, 61 salles de bains, 19 salons, ainsi que le plus grand zoo privé du monde !

C’est dans ce cadre à couper le souffle que Hearst installe les 12 arcades du cloître gersois de Marciac, dans une grande salle-à-manger (refectory), que l’on admire toujours aujourd’hui. Le magnat y recevait ses nombreux convives, parmi lesquels Charlie Chaplin, Cary Grant ou Winston Churchill...

Les éléments du cloître du couvent des Augustins décorent ainsi toute la pièce du château californien : l’architecte les a disséminés, pour orner murs et fenêtres ; il en a même fait des copies, les 12 arcades ne suffisant pas pour orner toute la surface de la salle-à-manger !

Hearst Castle : réfectoireHearst Castle : réfectoire | Hearst Castle : réfectoire avec éléments du cloître | ©Ed Bierman / Flickr / CC-BY

D'autres cloîtres français outre Atlantique

La trace du dernier vestige du cloître des Augustins de Marciac venait d’être retrouvée, enfin !

À noter que le cloître gersois n’est pas le seul à avoir connu ce même destin américain.

On peut en citer d’autres, aujourd’hui exposés au prestigieux Metropolitan Museum de New York, dans l’aile des Cloisters (les Cloîtres) : Saint-Guilhem-du-Désert, Saint-Michel-de-Cuxa, pour les plus célèbres.

Sans oublier ceux qui appartiennent à des particuliers et ornent encore de belles villas américaines, jusqu’aux Bahamas !

Sources

  • Charles Mathieu-Dessay, Maurice Serres. Le cloître de Marciac serait chez « Citizen Kane ». La Dépêche, ladepeche.fr. 03/03/2016.
  • Hearst Castle. Encyclopédie Wikipédia, wikipedia.org.
  • Céline Brugeat, Brice Torrecillas. À la recherche du cloître perdu. In Patrimoine. 2017.