Aliénor et sa cour d'amour
Dans le donjon de Puivert se trouve une très belle salle : celle dite des Musiciens.
Les culots sont décorés de personnages sculptés représentant des musiciens : joueurs de cornemuse, de luth, de rebec, de harpe...
Un décor qui n'est pas là par hasard !
Car à Puivert se tenait une célèbre cour d’amour, où se pressaient les plus grands, comme Aliénor d'Aquitaine.
On y venait écouter les troubadours les plus talentueux, à la lueur des flambeaux, égrener leurs vers de leur voix puissante et de leur accent chantant...
De belles fêtes s’y tiennent, comme en 1170 pour la venue d’Alphonse VIII de Castille.
Il allait vers Bordeaux rencontrer sa future femme, la fille d’Aliénor d’Aquitaine et du roi d'Angleterre Henri II.
Elle aussi s'appelle Aliénor : elle s'est faite baptiser à Notre-Dame-sur-l'Eau de Domfront, vous vous souvenez ?
Et ce soir-là, les meilleurs troubadours s’étaient réunis à Puivert, pour chanter leurs poèmes...
Comme celui écrit par Peire d’Auvergne, Chanterai d'aquest trobadors (Je chanterai ces troubadours), qui finit par :
« Ce vers a été composé aux flambeaux, à Puivert, tout en jouant, en riant. »
Peire d'Auvergne, troubadour
Si on parle de Peire d'Auvergne à Puivert, c’est évidemment, on l’a dit plus haut, pour sa chanson composée au château, Chanterai d'aquest trobadors.
Il y met plus bas que terre 12 collègues troubadours !
Les troubadours humiliés étaient-ils présents, lors de la lecture ? On n’espère pas, les pauvres...
Car les vers sont des attaques mordantes, violentes, parfois très méchantes !
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Tenez, voici quelques-uns de ces poètes. Commençons par Giraut de Bornelh, dont Peire d'Auvergne dit :
« Giraut de Borneil semble une outre séchée au soleil, avec son chant maigre et dolent, pareil au chant d'une vieille portant sa cruche. S'il se voyait au miroir, il ne s'estimerait pas plus qu'un fruit d'églantier (gratte-cul, ndlr). »
Un autre, Guillaume de Ribes, est :
« mauvais dehors comme dedans. Il dit tous ses vers d’une voix rauque, ses glapissements sont si désagréables, qu’un chien en ferait autant... »
Il dit de Peire de Monzon :
« Le comte de Toulouse le couvre de présents, sans qu’il ait jamais la délicatesse de refuser. Aussi son voleur fut-il bien courtois, et il eut bien tort de ne point lui couper ce que tout homme porte pendant ! »
Le reste est du même goût... jusqu’à arriver à lui, Peire :
« Pierre d'Auvergne a une telle voix, qu'il chante comme une grenouille dans un puits ; il trouve des louanges auprès de tout le monde, et il est vraiment le maître de tous les chanteurs, pourvu qu'il mette un peu de clarté dans ses paroles, car à peine si quelqu'un les entend. »
Comme son nom l’indique, Peire nous vient d’Auvergne.
Savant, lettré, fils d’un bourgeois de Clermont-Ferrand, il écrit bien et il le sait, se targuant d’être le meilleur des meilleurs.
Il vaque, entre la cour du roi de Castille, celle de la comtesse de Narbonne, du comte de Toulouse... et les dames le reçoivent toujours très bien !
Sources
- François Raynouard. Lexique roman ou dictionnaire de la langue des troubadours. 1844.
- Étienne Dussol. En attendant la modernité, états des lieux : petite introduction à l’invective médiévale. Presses Universitaires de Perpignan, 2006.