Agnès Sorel

Agnès, diptyque de Melun, LochesAgnès, diptyque de Melun, Loches | ©Anecdotrip.com

Un dossier pour découvrir les intrigues de cour, les mystères, légendes et anecdotes qui planent autour de la dame de cœur de Charles VII, Agnès Sorel... avant de s'envoler pour une visite de sa ville préférée, Loches.

SOMMAIRE

1 - Agnès, dame de beauté

a - Empoisonnement ?

b - Dis-moi comment tu vis, je te dirai qui tu es !

2 - Loches : au cœur de la ville d'Agnès

a - Les coins insolites de la ville royale

3 - Les personnages que vous allez croiser


Agnès, dame de Beauté

Picardie ou Berry ?

Agnès naît entre l'an 1410 et 1419, dans le petit village de Fromenteau (lieu-dit situé à Yzeures-sur-Creuse), en Berry. Ou peut-être est-ce Froidmantel, près de Péronne (Somme) ? La question s'est toujours posée !

Son père, Jean Sorel ou Soreau, est originaire de Picardie (seigneur de Coudun), alors pourquoi pas ! Il occupe les postes de conseiller du comte de Clermont.

Sa mère porte le nom de Catherine de Maignelais, elle aussi vient de Picardie. Agnès perd ses parents toute jeune, alors on l'élève à la cour de Lorraine avec celle qui devient son amie, Isabelle de Lorraine, future épouse de René d'Anjou. La sœur de René, Marie d'Anjou, devient d'ailleurs l'épouse de Charles VII... futur amant d'Agnès !

Charles, fou amoureux !

Agnès suit la cour d'Isabelle à Bourges et ne passe pas inaperçue. « Agnès était une des plus belles femmes que je vis oncques », dit le chroniqueur Olivier de La Marche.

Elle a alors 17 ans : Charles VII en tombe fou amoureux au premier regard ! Fou amoureux et complètement malade : on dit qu'il ne dort plus la nuit, tant l'image d'Agnès le hante...Leur histoire dure de 1430 à 1450, jusqu'à la mort d'Agnès. Ils s'aimeront d'un amour sans faille.

D'abord simple demoiselle d'honneur de la reine, Agnès devient, grâce au roi, une vraie reine à son tour. Il lui donne châteaux et terres : Issoudun, la châtellenie de la Roquecesière (Rouergue, actuel Aveyron), la seigneurie de Bois-Trousseau (Berry), la terre de Vernon-sur-Seine, le château d'Anneville...

Son surnom de Dame de Beauté lui vient d'un château près de Paris, sur la Marne, que le roi lui donne, appelé... Beauté-lès-Paris. Ça ne s'invente pas !

La conseillère du roi

Agnès entoure le roi de son amour. Jean Chartier dit dans ses Chroniques :

« L'amour que le roi portait à madame Agnès, comme chacun disait, estait pour les folies de jeunesse, esbatements, joyeusetés, avec son langage honeste, poli, qui estait en elle, et aussi qu'entre les belles c'était la plus jeune, la plus belle du monde. Aussi pour telle estait-elle tenue, ladite Agnès était de vie bien charitable, large et libérale en aumône, distribuant du sien largement aux pauvres de l’Église. »

Mais la belle sait aussi très bien conseiller son royal amant et lui apporter de fidèles soutiens parmi ses amis. Elle chasse même les comploteurs qui manigancent avec le dauphin, le futur Louis XI. On dit même qu’elle ramena le roi à la raison concernant les Anglais qui faisaient la loi dans le royaume de France.

Brantôme rapporte l'anecdote dans sa Vie des dames galantes :

« La belle Agnès voyant le roi Charles VII en amouraché d'elle et ne se soucier que de lui faire l'amour, et mol et lâche, ne tenir compte de son royaume, lui dit un jour que lorsqu'elle était encore jeune fille, un astrologue lui avait prédit qu'elle serait aimée et servie de l'un des plus vaillants rois de la chrétienté. Que quand le roi lui fit l'honneur de l'aimer, elle pensait que ce fut ce roi valeureux qui lui avait été prédit. Mais le voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle voyait bien qu'elle s'était trompée et que ce roi si courageux n'était pas lui, mais le roi d'Angleterre qui faisait de si belles armes, et lui prenait tant de villes à sa barbe, dont dit-elle au roi, je m'en vais le trouver, car c'est celui duquel entendait l'astrologue. Ces paroles piquèrent si fort le cœur du roi qu'il se mit à pleurer, et de là en avant prenant courage, et quittant sa chasse et ses jardins, prit le frein aux dents ; si bien que par son bonheur et sa vaillance chassa les Anglais de son royaume. »

Raah, les jaloux

Les chroniqueurs bourguignons ne tardent pas à faire part de la jalousie de la cour et de la reine :

« Agnès avait son quartier de maison à l'hôtel du roi, mieux ordonné et appointé que celui de la reine ; plus beaux parements de lit, meilleure tapisserie, meilleure vaisselle, meilleures bagues et joyaux, meilleur tout ».


Toute la cour lui fait la cour, elle dans ses robes longues et luxueuses qui « découvraient les épaules et seins devant, jusqu'aux tétins » (Chroniques de Georges Chastelain). Le peuple ne l'aime pas beaucoup non plus. Elle vient à Paris avec le roi en 1448, mais on rit, on se moque d'elle sur son passage.

Oui, Agnès choque avec sa débauche de bijoux, de toilettes luxueuses, s'affichant en maîtresse officielle au bras du roi ! Elle dira que les Parisiens sont bien vilains, et que si elle avait su qu'un accueil pareil lui était réservé, elle n'aurait jamais mis les pieds dans cette ville !

Des vilaines rumeurs courent sur son compte. On dit qu'elle n'a pas toujours été fidèle au roi. On murmure les noms d'Etienne Chevalier (trésorier de Charles VII) et d'Antoine de Chabannes comme amants potentiels... Oh, mais ça, on n'en sait rien on n'a pas tenu la chandelle ! De toute façon, à la mort d'Agnès, le roi se console vite : il tombe dans les bras de la cousine de celle-ci, Antoinette de Maignelay, dame de Villequier !

 

Agnès se meurt !

Agnès meurt, dit l'historien Chartier, le « onzième jour de février 1449 sur les 6 heures après midi » au manoir du Mesnil (76), en plein accouchement. On crie à empoisonnement ! Qui a fait le coup, qui ?! On accuse le dauphin, le futur Louis XI qui ne pouvait pas sentir la dame de beauté à des kilomètres à la ronde : on se souvient de la gifle monumentale qu'il lui a mise !

Et puis les soupçons se tournent sur l'homme le plus riche du royaume : Jacques Cœur... qui n'en réchappera pas ! Pourtant Agnès en avait fait son exécuteur testamentaire... bizarre ! Enfin voilà, Agnès a poussé son dernier soupir. Son cœur enterré à l'abbaye de Jumièges (son tombeau se fait détruire pendant les guerres de Religion), on ramène son corps à Loches. Les Révolutionnaires détruiront son tombeau, restauré en 1806...


De jolies poulettes qui ont de qui tenir

Agnès laisse 3 filles de son union avec le roi. Toutes reconnues ! Merci papa : elles portent le nom de Valois et ont le droit de porter les armes de France, « brisées d'une bande ».

  • Charlotte, née vers 1444, mariée au sénéchal d'Anjou et de Normandie Jacques de Brézé en 1462 : son mari l'assassine deux ans plus tard, l'ayant surpris en flagrant délit d'adultère... elle devient un célèbre fantôme, la dame blanche du château de Brissac ! Pierre de Brézé, le père, avait d'ailleurs été incarcéré au donjon de Loches. Pour être libéré, il a fallu qu'il accepte que son fils épouse la fille d'Agnès Sorel, Charlotte...
  • Marie ou Marguerite née vers 1443, mariée en 1458 à Olivier de Créqui ou de Coëtivy.
  • Jeanne née vers 1445, mariée à Antoine de Bueil en 1461. Antoine, comte de Sancerre, seigneur de Bueil, chevalier de l'ordre de Saint-Michel fait de sa femme la comtesse de Sancerre : on peut voir dans cette ville, sur la place du Puits-du-Marché, l'oratoire en pierre du 14e siècle qui lui a appartenu !
  • Un 4e enfant mort né ou en bas-âge quelque temps avant sa mère, au Mesnil-sous-Jumièges.


Empoisonnement ?

Agnès accouche d'un enfant mort-né (selon certaines versions, il aurait vécu de plusieurs heures à quelques mois) et meurt peu après « d'un flux de ventre ». Mais on parle aussi d'empoisonnement ! Les soupçons se portent sur le fils de Charles VII, Louis XI, puis... une dame de la cour, Jeanne de Vendôme, accuse Jacques Cœur d’empoisonnement. Oui, on a toujours dit qu'Agnès avait été empoisonnée... Mais où se trouve la vérité ?

Voyons un peu les faits les plus récents : en 2005, le docteur Charlier, paléo-pathologiste, a fait des prélèvements sur les restes d'Agnès, à savoir les restes contenus dans un pot en grès (quelques dents et un fragment de crâne) ainsi qu'un peu de ses cheveux conservés au musée du Berry à Bourges.

Résultat de ces analyses : le taux de mercure est anormalement élevé !Oui, Agnès est atteinte d'une ascaridose, une infection provoquée par des vers. Le mercure est un bon vermifuge. Il est aussi recommandé pour aider les femmes à accoucher... mais pas en aussi grande quantité !

C'est à l'époque Robert Poitevin, médecin du roi, qui administre le mercure à Agnès. L'empoisonnement au mercure et donc avéré, mais on ne sait toujours pas si c'est une erreur médicale ou un réel assassinat...

Les analyses ont aussi révélé des détails amusants, comme des morceaux de fils d'or dans ses cheveux (Agnès elle devait porter une mantille, nous dit Histoires d'os et autres illustres abattis (chap I) de Clémentine Portier-Kaltenbach), ou une déviation de la cloison nasale, qui devait la faire ronfler...


Dis-moi comment tu vis, je te dirai qui tu es !

Le dressing d'Agnès

« Agnès Sorel avait eu toutes sortes de plaisances mondaines et tous les passe-temps et joies du monde, c'est à savoir de porter grands et excessifs autours de robes, de fourrures, colliers d'or et de pierreries et avoir eu tous ses autres plaisirs et désirs comme étant jeune et jolie » dit un chroniqueur de l'époque (vu dans Jacques Cœur et Charles VII ou La France au 15e siècle de Pierre Clément).

Une belle garde-robe à faire mourir d'envie les plus coquettes, merci qui ? Merci Jacques Cœur !

Aah, entre la coquette Agnès et Jacques le marchand, ça fait tilt ! Une fois celui-ci rentré à la Cour, il devient le grand ami d'Agnès. La dame lui offre son amitié mais aussi sa protection.

En échange, Jacques lui procure les plus beaux tissus venus de pays lointains et les dernières nouveautés en matière de mode.Ainsi, Agnès et Isabeau de Bavière (la mère de Charles VII) sont les premières à utiliser de la toile pour leur chemise ; on se servait avant de la laine !

Fashion-victimes

Les belles et riches dames de la cour, sous l'impulsion de la belle Agnès, se mettent à porter des justaucorps qui amincissent la taille, des manteaux retroussés, des robes si longues qu'elles traînent par terre. La poitrine se porte largement découverte.

À la taille pend le plus souvent une aumônière. La taille se doit d'être fine et le ventre doit ressortir comme un signe de fécondité.

On ne voit plus aucune dame qui n'a pas sa ceinture lourde de pierres précieuses ! Jacques vend d'ailleurs à Agnès le premier collier en diamants taillés, parait-il ! Mais trop, c'est trop : en 1420, un arrêt du Parlement interdit aux femmes le port de la robe à collet, de fourrure précieuse ou de ceintures dorées sous peine de prison !

Escargots et eau de Hongrie

Agnès s'épile les cheveux pour avoir un front bombé. Même si Philippe Charlier dans son Médecin des morts, récits de paléopathologie explique qu'en fait, ses cheveux n'étaient pas si épilés que ça, pas autant en tout cas que sur ses portraits présumés.

Il ajoute qu'en fait, elle l'aurait fait pour équilibrer des yeux un peu trop grands ! À l'époque, il faut avoir la peau la plus blanche possible : c'est un signe de noblesse ! Agnès a « un teint de lis et de roses », dit un chroniqueur de son époque dans Mystères des vieux châteaux de France ou Amour secrètes des rois et des reines.

Pour ça, elle s'aide avec un peu de poudre de coquille d'escargot, de la poudre de riz, déjà recommandée par le chirurgien Guy de Chauliac au 14e siècle. Mais tous ces machins ne couvrent pas assez ! Alors on utilise de la craie, du bismuth et bien sûr du blanc de céruse, le meilleur des fards... Il faudra attendre la fin du 18e siècle pour que la dangerosité de la céruse de plomb soit reconnue. Mais avant, depuis l'Antiquité en passant par le Moyen Age, toutes les femmes en raffolent !

À l'époque, on se met le parfum à la mode, l'eau de Hongrie, créée en 1370 à base de romarin : c'est la reine de Hongrie Élisabeth qui donne la recette dans son manuscrit. On dit que la reine a reçu la recette d'un ermite, voire... d'un ange ! Elle a alors 70 ans, elle est infirme et malade, et l'eau la guérit, lui redonne se jeunesse et sa beauté, à tel point que même le roi de Pologne veut l'épouser ! Bon, légende, car Élisabeth est morte à 24 ans...

On se parfume mais on va aussi aux bains publics. Les gens les plus riches se baignent dans leurs étuves, dans une pièce réservée à cet usage (voir celles du palais Jacques Cœur à la même époque). On va aux étuves pendant tout le Moyen Âge.

Sainte-Foix dans ses Essais historiques sur Paris dit que les seigneurs prennent un bain tous les jours et les bourgeois plusieurs par semaine. Il ajoute : « Grégoire de Tours parle de religieuses qui avaient quitté leur couvent parce qu'on s'y comportait dans le bain avec peu de modestie ».

Oui car dans ces bains publics, hommes et femmes commencent à se mélanger et à faire autre chose que se baigner... Du coup en 1441, les statuts synodaux d'Avignon interdisent aux religieux et aux hommes mariés l''entrée dans les bains publics ! Bon, dans les bains, on se lave : il existe déjà des savons, à base de graisse (animale ou végétale) mais le plus répandu reste le savon à base de saponaire.

Le suc de ses petites fleurs est connu pour faire une mousse abondante... et parfumée.Pour finir, on se lave les dents, si si, avec un dentifrice à base d'os de seiche pilés ou de corail broyé mélangé à des herbes parfumées. Pas encore de brosse à dent : on applique la pâte avec un morceau de tissu.

À table !

On mange quoi à l'époque d'Agnès ? Viandes d'une myriade de petits oiseaux, épices en veux-tu en voilà, mélange sucré-salé... L'histoire de Charles VII de Gaston Du Fresne de Beaucourt rapporte le banquet organisé en 1455 par le comte du Maine pour la demoiselle de Villequier : on compte 4 services, avec civet de viande, poulet farci, veau et lièvre ; la table est décorée d'une pelouse plantée de fleurs, avec une volière, un donjon.

Sur la table aussi, de très gros pâtés à base de viande de chevreuil entier, de pigeons et de lapins. Il y a autant de viandes pour les services suivants, même des hérons, des hérissons (un mets de choix), un esturgeon, le tout accompagné de darioles, des petits flans aigre-doux.

Pour le dessert, une crème brûlée (si si dessert fort apprécié au Moyen Age) agrémentée « de graines de fenouil confites au sucre ». Fromages, fraises, prunes confites, vins et épices achèvent le banquet...

Vous connaissez la « poudre de duc » ? La plupart de ces plats se saupoudrent au Moyen Age avec ce mélange, une recette bien médiévale qui mêle cannelle, gingembre et clou de girofle. On l'ajoute aux plats salés aussi bien qu'aux desserts...

Taillevent en parle déjà dans son Viandier. Plus proche de nous, le grand chef Auguste Escoffier créé une recette inspirée par la dame de Beauté, la « crème Agnès Sorel » : c'est un potage à la crème fraîche avec blanc de volailles et champignons de Paris !


Loches : au cœur de la ville d'Agnès

Il était une fois, sur la rivière Indre, en Touraine, la vieille forteresse des comtes d'Anjou, qui au fil des siècles s'est transformée pour devenir la ville royale qu'on connaît, une vraie place forte avec ses petites rues escarpées, ses portes médiévales, son sombre donjon qui a vu défiler tant de prisonniers...

Les coins insolites de la ville royale


Les personnages que vous allez croiser

Vous allez les croiser, ils ont fait l'histoire de Loches... Autant faire connaissance tout de suite, non ?

Foulques Nerra, maudit faucon

Rendez-vous sur la page de notre dossier pour faire la rencontre du comte d'Anjou Foulques Nerra !

Jeanne d'Arc : les voix du seigneur sont impénétrables !

Mai 1429. Une lumière radieuse balaie la bonne ville de Loches. Il fait si bon, l'été ne saurait tarder... Soudain, des claquements retentissent au loin sur le pavé. Clop clop clop.

Un cheval approche au petit galop. Sur son dos, le cavalier porte une armure souillée par la poussière du voyage.

Mais c'est Jeanne ! Jeanne d'Arc, la pucelle, victorieuse à Orléans deux jours plus tôt ! La voilà qui arrive à la porte Royale. Dernier rempart avant le château... avant celui qu'elle appelle déjà son roi, Charles.

Celui que les Anglais appellent le petit roi de Bourges !

Maudits Godons... songe Jeanne en secouant la tête. Ceux-là, ils ne perdent rien pour attendre...Elle a fière allure, avec sa bannière qui claque au vent, son gros destrier bai, son air déterminé.

Nous sommes le 10 mai 1429, Jeanne vient en personne dire au roi qu'il est temps. Temps de se faire sacrer à Reims ! Ce sont ses voix qui l'envoient. À l'intérieur, dans la grande salle du logis, elle va s'entretenir avec Charles : une plaque au sol rappelle l’événement...Et vous savez quoi ? Le logis conserve même une copie du procès de Jeanne !

Charles VII : pour le bonheur d'Agnès

A Loches, Charles VII vit avec Agnès les plus beaux moments de sa vie, dans ce logis qu'il a fait réaménager pour elle. Loches, c'est la demeure préférée d'Agnès, parmi tous ses châteaux. Alors, le roi en fait une ville importante, il la répare, la reconstruit, la développe, lui donne de nouveaux remparts.

Il lui accorde aussi de nombreux privilèges, sur le vin entre autre, le privilège du sel aussi... Le roi fait construire la tour aujourd'hui dite « d'Agnès Sorel », là où, dit la légende, il enfermait sa maîtresse lorsqu'il allait à la chasse...

Louis XI, La Balue et les cages en fer

Des cages infernales

Si Charles VII avait fait de Loches un petit nid d'amour pour sa belle, Louis XI en fera une sombre prison. Avec le donjon... Fidèle à sa réputation de roi machiavélique, on l'imagine bien, en grosse araignée noire tapie dans un recoin de sa toile, à attendre le prisonnier qui passe..

Parmi tous les prisonniers enfermés du temps de Louis, le cardinal La Balue reste le plus connu.

Enfermé dans une de ces cages inventées, dit-on, par son ami l'évêque de Verdun... Invention géniale !Sur le petit panneau explicatif de la cage, on peut lire quelques témoignages relatifs à ces cages : François-Roger de Gaignières en 1699 dit que la cage « où a été enfermé le cardinal Balue a 6 pieds et demie des 4 côtés ».

Monsieur Dubuisson en 1635 dit : « Elles n'étaient pas en fer, mais en bois, munis par dehors de bandes de fer. Il y avait un trou pour passer la viande par l'un des côtés, et dans la partie inférieure de la porte qui était bossée et arrondie, un autre trou sous lequel on mettait un bassin et c'est par là que le prisonnier se mettait pour décharger son ventre. »

Philippe de Commines (fidèle chroniqueur du roi) ajoute : « Ce sont de rigoureuses prisons ; le premier qui les devina fut l'évêque de Verdun, qui en la première qui fut faite fut mis incontinent, et y a couché 14 ans. Plusieurs, depuis l'ont maudit, et moi aussi qui en ai tâté sous le roi présent 8 mois. »

Et qu'on se le dise, les fameuses « fillettes du roi » ne désignent pas ces cages, mais de gros fers que les prisonniers portaient aux mains et aux pieds...

Mauvais esprit

Mais de sombres geôles ne seraient rien sans un sinistre geôlier, non ? Et bien, voilà Olivier Le Daim, de son vrai nom Necker, littéralement... « mauvais esprit » en flamand. Un patronyme parfait pour ce sieur né en Belgique, dépravé, méchant comme pas deux, dont on en sait pas trop comment il atterrit au service de Louis XI. Les deux hommes s'entendent vite très bien, et la légende prendra le pas : le roi araignée, solitaire et cruel accompagné de son compère démoniaque Le Daim surnommé Le Mauvais...

Le roi en fait son barbier, son homme à tout faire. Il l'anoblit, même, en octobre 1477, pour ses bons et loyaux services ! Olivier reçoit le gouvernement du château de Loches : on les imagine tous les deux, à épier les prisonniers dans leurs cachots... Finalement, Olivier se fait pendre à Montfaucon en 1484... quelques mois après la mort de Louis XI.

Sforza : un Italien en Touraine

Saga sanglante

Une grande famille milanaise, les Sforza ! Le duc de Milan, Francesco Sforza, a 7 enfants dont un fils, Ludovico. Sa mère, Bianca Visconti, le chérit plus que tout au monde. Il est beau, son fiston, et cultivé en plus ! Il tient son surnom de Maure, il Moro, à cause de son teint basané et à cause de son blason qui représente un mûrier, moro en italien. À la mort du père, c'est un de ses frères, Galeazzo, qui devient duc. Un duc bien trop cruel au goût de la cour et du peuple.

Comble de l'horreur, il fait empoisonner leur mère. Ludovico va intervenir : vengeance ! Il le fait mourir en 1476. C'est le fils de Galeazzo qui récupère la couronne ducale, Giovanni. Mais Ludovico n'a pas fini sa vendetta : il empoisonne aussi son neveu ! La femme du petit duc, Isabelle d'Este, va réagir. Elle sait que Ludovico l'a assassiné. Qu'il n'est pas seulement question de vendetta mais aussi de prise pouvoir. Oui, la disparition de Giovanni lui laisse la place de duc ! Comme par hasard...

Le plus puissant

Le voilà devenu un duc tout puissant. Il a une cour brillante, c'est un mécène et un amateur d'art. Il fait de Milan une des villes-états les plus importantes d'Europe ! Il veut jouer les mécènes ? Et bien, Léonard de Vinci, installé à Milan depuis peu, va lui en donner l'occasion ! Vinci lui propose ses services pour lui construire des ponts et des forteresses imprenables. Même des armes comme des chars ou des arbalètes géantes...

Il lui propose aussi ce qui devait lui assurer la gloire : la statue équestre monumentale du père de Ludovico. Le duc accepte, Léonard se met au travail... Mais les troupes françaises envahissant le Milanais, les 75 tonnes de bronze devant servir à la statue vont servir à la fabrication de canons !

D'Italie en Berry

Car entre temps, Louis XII s'était dirigé vers Milan pour reconquérir les terres qu'il considérait lui appartenant... par sa mère, une Visconti. À la bataille de Novare, il fait prisonnier Ludovico... Fin de l'acte ! D'abord envoyé au château de Pierre-Encize à Lyon (Rhône), on l'enferme ensuite au château de Lys-Saint-Georges (36) pendant 5 ans, avant de connaître le sombre donjon de Loches... La tradition veut qu'il ait été enterré dans la collégiale Saint-Ours de Loches mais on ne sait pas où exactement... aucune trace de son tombeau ! Un mystère de plus...

Le « syndrome Marie-Antoinette »

In extrémis

Il s'appelle Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier. Il s'agit du paternel de Diane de Poitiers ! Fils d'Aymar, sénéchal de Provence et de Jeanne de Latour, Jean occupe les postes de lieutenant au gouvernement du Dauphiné, puis de grand sénéchal de Provence. En 1515, il combat aux côtés de François Ier dans le Milanais. Mais quelques années plus tard, la conspiration du connétable de Bourbon éclate. Jean a trempé dedans. On l'arrête à Lyon en 1523 pour crime de lèse-majesté.

On l'enferme à Loches et on lui fait subir les brodequins. Il est ancien compagnon d'armes du connétable. Les témoignages sont accablants. Le 17 février 1524, il sera décapité place de Grève. Le bourreau lève la lame au-dessus de son cou... lorsqu'on vient le prévenir qu'il est gracié ! Grâce à sa fille Diane et son gendre... Gracié, oui, mais condamné à la prison à vie...[

Des cheveux blancs

Il a subi le « syndrome Marie-Antoinette » ! Comme la reine de France, à la veille de son exécution, qui a vu ses cheveux blanchir en quelques heures, suite à un stress si grand. Histoires d'os et autres illustres abattis (au chap I) de Clémentine Portier-Kaltenbach nous apprend qu'il s'agit d'un genre de pelade qui s'accompagne d'une chute des cheveux qui n'ont pas blanchis. Seul restent sur le crâne quelques cheveux blancs, ce qui renforce l'impression qu'ils ont vraiment pâli en un instant.

D'où aussi l'expression « avoir la fièvre de Saint-Vallier » car depuis son exécution « raté », le comte a gardé une sorte de fièvre et de tremblement nerveux... En fait, ça ressemble plus à une maladie contractée à cause des mauvaises conditions de détention à Loches...

Anne de Bretagne : hermines et cordelières

Coup de foudre !

Anne regarde le jour mourir lentement par les carreaux, en cette triste journée grise de février. Un petit feu pétille dans la cheminée, l'air est glacial. Anne a les mains gelées, mais elle les tient fermement jointes, à genoux dans son oratoire. Un refuge, une petite retraite intime où elle se sent bien. Enfin... Un an après la mort de Charles, son mari...

Anne a 15 ans lorsqu'on veut la marier avec l’empereur Maximilien. Un Allemand qui va siéger en France, ça, ça ne passe pas. On craint que la France ne soit coupée en deux ! Alors Charles d’Orléans (futur Charles VIII) va à Nantes histoire de convaincre Anne de renoncer à ce projet. Et là, en la voyant, coup de foudre !

Charles est promis depuis un bail à Marguerite de Habsbourg, la fille de Maximilien, mais tant pis. Il va la demander en mariage. Et Anne devient reine de France en 1491 au château de Langeais. Charles partage une vie tranquille avec Anne... jusqu'à sa mort, en 1498 à même pas 30 ans : mort bêtement la tête heurtée sur le linteau d'une porte du château d'Amboise, on se souvient tous de ça !

Une boiteuse contre une Bretonne

Et voilà que débarque Louis XII. Il a une femme, mais bah, on ne va pas s'embêter pour ci-peu. Il a une femme, oui, mais quelle épouse... Jeanne de France, la fille de Louis XI, la boiteuse, la petite, la laide... et qui ne lui a toujours pas donné d'héritiers. C'est marre : Louis obtient l'annulation de son premier mariage avec Jeanne. Il va pouvoir épouser Anne, maintenant veuve de Charles VIII... le prédécesseur de Louis sur le trône !

Une jolie femme qui lui apporte le duché de Bretagne en prime ! Nous sommes en janvier 1499. Il la presse de se marier mais Anne semble hésiter. Elle s'isole souvent pour pleurer son défunt mari, porte le deuil comme jamais aucune reine de France ne l'a porté avant elle : Anne est la première à prendre des vêtements noirs comme habits de deuil, alors qu'avant la coutume voulait que les reines de France portent le deuil en blanc. Un remariage aussi rapide est peut-être une erreur, qui sait...

Les hermines de Loches

L'union se fait quand même et Louis et Anne emménagent au logis de Loches. Il fait reprendre les appartements de Charles VII aménagés pour Agnès Sorel et les remanie entièrement pour Anne. Alors Anne fait construire son joli petit oratoire. Pour se repentir de fautes passées et pleurer encore la mort de Charles sous la protection de ses hermines et de ses cordelières ? Ce symbole qu'elle a créé avec l'ordre de la Cordelière après la mort de Charles, ce cordon entrelacé dont les nœuds symbolisent l'amour, la droiture et la chasteté des veuves...

Jean, duc d'Alençon

Si on connaît Jean, c'est pour son rôle de compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. D'Alençon rencontre Jeanne pour la première fois à Chinon. Anatole France dans sa Vie de Jeanne d'Arc le décrit comme un homme pas vraiment sage, doté d'un caractère violent, faible, envieux. Avec surtout une voix à faire peur, très gutturale ! Pourtant, il fait grande impression à Jeanne ce jour-là ! Ils se saluent, se serrent dans les bras. La voilà même qui va le surnommer son « gentil duc », son « beau duc »...

Il combat avec elle à la bataille d'Orléans, dès octobre 1428. Mais pendant la guerre de Cent Ans, les Anglais lui prennent son duché. Alors, Jean s'allie avec l'ennemi, histoire de récupérer ce qui lui appartient... tout en complotant contre le roi Charles VII ! Oui, ça, il aurait pu s'abstenir, mais bon. Un complot qui échoue et qui conduit Jean à se faire arrêter en 1456. Et voilà !

Condamné à mort 2 ans plus tard, il se fait gracier par Charles VII qui le fait emprisonner à Loches. Voilà le duc enfermé dans les sinistres prisons lochoises...Pour une détention pas vraiment rose : le maître-d'hôtel du roi, Guillaume de Ricarville, doit s'occuper du prisonnier. Ordre à lui de ne le laisser parler à personne. Il ne doit pas avoir d'argent sur lui, ne doit pas écrire de lettres. Un garde vit 24 h sur 24 h avec lui !

Heureusement qu'on lui donne le droit de lire des livres et qu'il peut jouer aux échecs avec le garde ! Louis XI le libère en 1461. Mais Jean en profite pour se venger de celui qui l'a fait tomber, Pierre Fortin. Rebelote : on l'arrête en 1474 et on le recondamne à mort. De nouveau gracié, on le met en prison. Décidément quelle manie... Libéré en 1476, il respire enfin le grand air de la campagne depuis bien longtemps. Tout ça pour mourir peu de temps après... à l'âge de 67 ans.