Le monument aux Girondins de Bordeaux : mais où sont les statues des députés de la Gironde ?
Qui sont les Girondins... en bref !
- C'est Lamartine, dans son Histoire des Girondins, publiée en 1847, qui les appelle Girondins, car la plupart d'entre eux viennent de Gironde : à l'époque de la Révolution, on les appelle plutôt Brissotins, du nom de leur chef de file Brissot ;
- ils s'opposent aux Montagnards menés par Robespierre, Danton, Saint-Just ou Marat, issus de la petite bourgeoisie. Les Girondins, issus de la bourgeoisie aisée, veulent consolider les acquis de la Révolution et s'opposent à la guerre ;
- après la chute de la monarchie (10 août 1792), les Girondins doivent affronter l'hostilité des Montagnards. 32 d’entre eux sont arrêtés le 2 juin 1793 et guillotinés quelques mois plus tard. Les autres, notamment les principaux leaders, passent leur fin de vie à fuir, à se cacher, considérés comme traîtres à la patrie.
Un projet à la mémoire des Girondins
À Bordeaux, plusieurs projets de monuments dédiés aux députés du parti girondin voient le jour successivement, au 19e siècle.
Victime de la Terreur, une partie d’entre eux a, en effet, été exécutée à Bordeaux en 1794, sur l'actuelle place Gambetta (place Dauphine à l'époque, rebaptisée place Nationale à la Révolution)...
Projets tous refusés. Jusqu’à celui se présentant sous la forme d'une colonne flanquée d'une statue de la République, à son sommet.
Idée… retenue !
Une histoire de fontaine (lyonnaise), entre temps
Mais un autre projet avait, entre-temps, vu le jour, pour orner l'esplanade des Quinconces : une fontaine monumentale, commandée au célèbre sculpteur Auguste Bartholdi, papa de la Statue de la Liberté et du Lion de Belfort.
Le monument est livré en 1888, mais la ville de Bordeaux réalise que le prix demandé est bien trop élevé.
C'est la ville de Lyon qui l'achète, pour la place des Terreaux, où elle se trouve toujours !
À Bordeaux, on décide tout de même de réaliser la colonne, mais en y ajoutant la fontaine inspirée par le projet de Bartholdi, ainsi que deux bassins.
Les travaux d'aménagement du monument commencent en 1894.
Le monument des Girondins... sans les Girondins !
Mais ! Si ce monument a été dédié aux députés girondins, où sont-ils ? Où sont leurs statues ? Le monument est-il inachevé ? Un oubli ?
Hé oui… une partie du projet initial n’a jamais vu le jour : les deux groupes de statues représentant 8 députés girondins n'ont jamais été réalisés.
Voilà pourquoi l'on voit encore aujourd'hui, derrière chaque fontaine, un emplacement vide, sur le socle de la colonne !
Une plaque indiquant leurs noms a été ajoutée en 1989.
Les voici : Pierre Vergniaud, François Buzot, Jérôme Pétion, Jean-Marie Barbaroux, Élie Guadet, Armand Gensonné, Jean-Antoine Grangeneuve, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède.
Mais pourquoi cet oubli ?
Comment expliquer l'absence des statues des députés Girondins ?
C’est un changement de municipalité, en 1896, qui fait que l’on se demande si l’on doit continuer les travaux de construction du monument.
On argumente par le fait que l’on a déjà trop dépensé dans ce projet, et que l’argent aurait pu servir ailleurs… Il faudrait bêtement tout démolir, et vendre les pierres !
L’un des membres du conseil municipal se plaint que les Quinconces sont, en plus, sans arrêt encombrés de barrières : on répond qu’il « faut finir le monument, sans y mettre les Girondins. » Soit arrêter les frais, et boucler la construction !
Un débat entre l’ancienne municipalité et la nouvelle conclut :
– Et les Girondins ? Il y a tout, sauf eux !
– Ils coûteraient très cher on peut bien les supprimer, puisque la colonne est élevée à leur mémoire.
– Ce sera la colonne des Girondins sans Girondins.
Alors, qui sont les 8 députés girondins manquants ?
Il semble que l’on a, d'un côté, des Girondins bordelais d'origine et de naissance ; de l'autre, les députés Girondins originaires d'autres départements.
Élie Guadet
- Girondin d'origine, car né à St-Émilion en 1755, dans une famille de notables. Avocat de métier, un temps secrétaire du célèbre ami de Voltaire, le juriste Élie de Beaumont ;
- avec Vergniaud et Gensonné, il est le fondateur des Girondins. En 1791, il est élu député de la Gironde à la Convention nationale, puis président de cette Convention en 1792 ;
- ennemi le plus acharné de Robespierre et Marat, c'est un excellent orateur, mais très colérique !
- en fuite après l'arrestation des Girondins, il est guillotiné à Bordeaux le 20 juin 1794 à 38 ans, avec une partie de sa famille ;
- Guadet, en montant sur l'échafaud, veut parler une dernière fois à la foule ; les tambours se mettent à jouer, couvrant sa voix : « Peuple ! Voilà l’unique ressource des tyrans, ils étouffent la voix des hommes libres pour commettre leurs attentats. »
Armand Gensonné
- Bordelais de naissance (1758), avocat au Parlement de Bordeaux ;
- en 1791, il est élu député de la Gironde à la Convention nationale ;
- pilier des Girondins avec Guadet et Vergniaud, il fait partie des plus modérés, mais vote pour la mort du roi ;
- il est arrêté le 2 juin 1793 et guillotiné avec d'autres Girondins à Paris le 31 octobre 1793, à 35 ans. Des amis lui avaient dit de fuir, il avait refusé, blâmant la fuite de ses collègues : « Je ne me fais aucune illusion sur le sort qui m'attend, je le subirai sans m'avilir. »
Jean-Antoine Lafargue de Grangeneuve
- Bordelais de naissance (1751). Avocat de métier réputé à Bordeaux, il est élu député de la Gironde à la Convention nationale, en 1791 ;
- lors de l’arrestation des Girondins, il s'enfuit, se cache à Bordeaux : il y est guillotiné le 21 décembre 1793, à l’âge de 42 ans.
Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède
- Bordelais de naissance (1765), d'une grande et riche famille de négociants de la ville, il est lui aussi destiné à devenir commerçant ;
- il est élu député de la Gironde à la Convention nationale en 1792, puis président de la Convention nationale ;
- il fait partie des Girondins guillotinés le 31 octobre 1793 à Paris, aux côtés de son beau-frère le député bordelais Ducos.
Pierre Victurnien Vergniaud
- Né à Limoges en 1753, avocat, très grand orateur, c'est un des piliers du parti girondin. Réputé très doué, très paresseux aussi, il ne travaille... que lorsqu'il n'a plus d'argent ! Il reste donc pauvre toute sa vie ;
- il proclame la « Patrie en danger » le 11 juillet 1792, prononce la suspension du roi le 10 août 1792 avant son arrestation le 13, prononce le verdict de mort du roi le 20 janvier 1793 ;
- son lien avec Bordeaux ? Il y mène ses études de droit et sa carrière politique ;
- on lui doit la phrase célèbre, lors de son procès où il se défend brillamment, mais où tout est couru d'avance : « La Révolution est comme Saturne, elle dévore ses enfants » ;
- lors de l’arrestation des Girondins, il aurait pu fuir, mais il refuse, estimant que c'est s'avouer coupable. En prison, il renonce même au suicide.
François Buzot
- Né à Évreux en 1760, député de l’Eure à la Convention nationale en 1792, avocat de métier, principal orateur des Girondins ;
- juste avant le procès de Louis XVI, il propose la mort à quiconque tenterait de rétablir la royauté. Proposition... adoptée !
- il fuit en Normandie, puis se terre dans des grottes à St-Émilion pendant 10 mois, avec Pétion et Barbaroux ;
- il finit par s'enfuir avec Pétion, se croyant menacé. Les deux se suicident d'une balle dans la tête dans un champ à St-Magne-de-Castillon (Gironde), le 24 juin 1794 : on retrouve leurs cadavres plusieurs jours plus tard, dévorés par les loups.
Jérôme Pétion
- Né à Chartres en 1756, avocat, il est d'abord député du Tiers-état de Chartres aux états généraux de 1789. Il sympathise avec Robespierre, aux côtés de qui il siège à l’extrême gauche de l'Assemblée nationale ; ils ont les mêmes combats, on les surnomme les « gémeaux de la liberté » !
- monarchiste constitutionnel, Pétion est l'un des trois choisis par l'Assemblée nationale pour ramener la famille royale arrêtée à Varennes. Imbu de lui-même, il se vantera d'avoir fait impression sur la sœur du roi, Mme Élisabeth !
- maire de Paris en 1792, les Girondins parviennent à l'attirer au sein de leur parti ; élu député d'Eure-et-Loir à la Convention après la fin de la monarchie, il devient l'ennemi de Robespierre ;
- il se suicide, en fuite en Gironde, après l’arrestation des Girondins, d’une balle dans la tête.
Charles Jean-Marie Barbaroux
- Né à Marseille en 1767, avocat. À la base, il préfère les sciences et la physique : il rêve d'exploiter les mines provençales d'Ollioules ! Il rencontre ses futurs collègues girondins, en plaidant la cause de la ville de Marseille auprès de l'Assemblée législative ;
- caché avec Pétion et Buzot à St-Émilion, persuadé qu'on va les arrêter, il fuit une dernière fois, malade et en surpoids, et tente de se suicider en se tirant une balle dans la tête. Il se rate, se brise la mâchoire. Il reste prostré aux côtés des cadavres de ses amis, se fait arrêter mourant puis exécuter à Bordeaux le 25 juin 1794, à 27 ans ;
- horriblement défiguré par sa tentative de suicide (un œil hors de l'orbite, la joue trouée), c'est quasi un cadavre que l'on porte jusqu'à l'échafaud. Barbaroux prononce le nom de sa mère avec un sanglot : ce sont ses derniers mots.
Sources
- Jacques Dormoy. Le monument à la mémoire des Girondins. In Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde. Année 1955.
- Claude Manceron. La Révolution française : dictionnaire biographique. Éditions Renaudot & Cie, 1989.
- Collectif. La République en voyage : 1770-1830. Presses universitaires de Rennes, 2019.
- Le dictionnaire de l'Histoire : Girondins et Montagnards. Hérodote, herodote.net.
- Pierre Bertin-Roulleau. La fin des Girondins. 1911.