Henri III a mauvaise mine, ce matin de mai 1578, en traversant la nef glacée de l’église Saint-Louis du Marais. Les joues creuses, les yeux vitreux.
Il a pleuré toute la nuit. Il a des jours comme ça, on ne devrait pas se lever... Il renifle.
Grosse journée, en plus !
Il doit aller l’après-midi même poser la première pierre du Pont-Neuf...
Allez, on ne va pas vous cacher ce qui tourmente Henri.
Deux de ses mignons, ses favoris préférés, sont morts en duel : Jacques de Caylus et François Maugiron, tués le 27 avril 1578... et là, il vient de les enterrer.
Mignons brouillés !
C’est le célèbre duel des Mignons ! Les mignons, les petits favoris de Henri III.
Maquillés, bagues aux 10 doigts, de grosses fraises de dentelle leur serrant le cou, il forme la garde rapprochée d’Henri.
Hé, minute : les mignons, bien qu’attifés comme des dames, n’en sont pas moins des hommes.
Des vrais, qui n’ont pas peur de se salir les mains et de dégainer l’épée dès qu’il y a besoin.
Bon. Mais qu’est-ce qu'il s’est vraiment passé, sur l’actuelle place des Vosges (alors marché aux chevaux), le 27 avril 1578 à 5 heures du matin ?
Un duel entre plusieurs favoris du roi : Jacques de Caylus, Louis de Maugiron, Guy d’Arces, François Ribérac, Georges de Schomberg et Charles de Balzac.
Combat très violent et sanglant : Maugiron et Schomberg, 18 ans, meurent sur le coup.
Caylus, 24 ans, blessé 19 fois, agonise pendant 33 jours avant de mourir.
Arces reste alité pendant 2 mois, grièvement blessé à la tête. Non, mais quand je vous disais que ça ne rigolait pas !
Bon, maintenant, les faits. Il s’est passé quoi, pour en arriver là ?
Enfiler des perles ?
Tout commence par une brouille entre Caylus et Balzac dans la cour du Louvre. À propos d’une dame.
Enfin, après, on apprend que c’est en fait un duel entre les partisans du roi et ceux du duc de Guise (celui qui voulait devenir roi à la place du roi).
En tous cas : Caylus le défie à l’épée et ils se retrouvent le lendemain au marché aux chevaux.
Comme témoins (oui, il faut des témoins dans un duel), Caylus prend Maugiron et d’Arces. Balzac, Schomberg et Riberac.
Sauf que le duel dégénère en pugilat géant : les témoins participent !
Ils s’ennuyaient, à ne rien faire ! « Je ne suis pas venu ici pour enfiler des perles », dit Maugiron (si, si, véridique)...
Mais voilà : sans aucune protection, le duel vire au carnage. Les coups sont précis, violents. Mortels. Faits à l’épée mais aussi au corps à corps, avec une dague.
Les bras et le bouillon du roi
Voilà. Sur les 6 mignons... 5 passent l’arme à gauche. Caylus, lui, agonise 33 jours, dans les bras du roi.
La Taille rapporte dans son Discours notable des duels (1609) :
« Henri (III, ndlr) aimait tant Caylus que durant sa maladie, il lui portait les bouillons lui-même, ayant promis 100 000 francs aux chirurgiens s’ils le lui pouvaient guérir, et à ce beau mignon 100 000 écus pour lui faire avoir courage, nonobstant lesquelles promesses il mourut, ayant toujours à la bouche ces mots : « Ah mon roi, ah mon roi », sans parler autrement de Dieu et de sa mère. »
Henri avait été voir les corps de Maugiron et Caylus. Il les avait embrassés et fait raser.
Avant de garder leurs cheveux blonds, dit le chroniqueur L’Estoile dans son Journal.
D’un geste tendre, il avait aussi enlevé les boucles d’oreille de Caylus. Oh, un cadeau qu’il lui avait fait...
On leur aménage des tombeaux grandioses, à Saint-Paul, mazette, du jamais vu : un mausolée monumental en marbre noir surmonté de leurs statues grandeur nature, à genou.
Le « Sérail des Mignons », comme dit L’Estoile ! Le tombeau ne fait pas long feu.
Le peuple, à l’annonce de la mort du duc de Guise à Blois en décembre 1588 (sur ordre d’Henri III), se rue dans l’église pour saccager les tombeaux.
Les gens lancent après coup « qu’il n’appartenait pas à ces méchants et mignons du tyran, d’avoir de si beaux monuments à l’église. »
Rah là là, vous parlez d’une grosse boucherie idiote ! Il faut attendre encore un peu pour que la mode des duels ne soit définitivement interdite...