Voltaire résume bien la fête, tragique, qui se joue à Vaux-le-Vicomte, ce 17 août 1661 : « Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à 2 heures du matin, il n’était plus rien. »
Nicolas Fouquet, 46 ans, est un surintendant des Finances envié, puissant, riche comme Crésus.
De vilaines langues murmurent que ses fonctions de surintendant lui ont permis d'accumuler des richesses inouïes.
Il donne en ce soir d'août 1661 l'une des plus belles fêtes jamais vues, en l’honneur de Louis XIV, 22 ans. Le roi en repart à l’aube, blessé...
Oh ! Que s'est-il passé ?
L'ambition sans bornes de Fouquet va le mener droit à sa perte... et cela se passe ce fameux soir d'août 1661 !
La situation, avant ce fameux soir d'août 1661
Nicolas Fouquet, 46 ans, surintendant des Finances, est au sommet de sa gloire.
Ce fils d'un marchand de draps angevin connaît une ascension éclair :
- de conseiller au Parlement de Paris, il entre au service de deux cardinaux successifs, Richelieu et Mazarin, pour qui il gère la fortune.
- 1653 : Nicolas devient surintendant des Finances. Il spécule, trouve tout l'or possible pour renflouer les caisses vides du royaume. Tout en s'en mettant plein les poches, au passage, sifflent les mauvaises langues...
- Mazarin meurt en 1661. Qui, pour lui succéder au poste de premier ministre ? Fouquet s'y voit bien ! Mais un certain Colbert aussi...
Colbert ? Un riche marchand, habitué de la cour de Versailles, qui veut lui aussi la place de ministre !
Sauf que... Louis XIV veut régner seul, en monarque absolu, sans premier ministre à ses côtés.
Colbert fera tout pour éliminer son rival. Il convaincra même le roi de se débarrasser de cet homme, en passe de devenir plus riche et aussi puissant que lui !
Voilà : c'est un roi déjà bien agacé qui accepte l'invitation de Fouquet, dans un château tellement plus chouette que Versailles...
Le super surintendant à Vaux
Petit rappel, si vous le voulez bien !
Fouquet décide de se faire construire un palais, à quelques kilomètres de Melun, dès 1656.
L'endroit s'appelle alors... Vaux-le-Praslin !
Un des plus beaux palais de son temps sort de terre : Voltaire écrit que rien que les jardins coûtent à Fouquet la coquette somme de 18 millions de livres…
Nicolas a même acheté trois villages entiers, qu’il fait raser pour aménager jardins et bassins !
Et voilà qu'en 1661, il décide d'organiser une fête pour son roi. LA fête du siècle.
6000 invitations sont lancées, pas seulement en France, mais aussi en Europe !
Des fêtes comme vous en avez rarement vues
La loterie
Les festivités commencent par une grande loterie. Particularité de la chose : chaque numéro est gagnant !
Les prix ? Fa-bu-leux.
Des perles pour les hommes, des diamants pour les dames, mais aussi « étoffes précieuses, armes brillantes, chevaux de race » (Histoire de la Bastille, A. Arnould, 1868)...
Ça commence très fort, vous trouvez ? Attendez de voir le reste !
Le dîner : vaisselle dorée et gros buffet !
Le célèbre cuisinier Vatel concocte le dîner, servi dans une vaisselle d’or. Oh, une modeste dépense de 120 000 livres...
Félibien raconte dans sa Relation des magnificences faites par M. Fouquet (1661) :
« Une grande quantité de tables fort longues et fort bien servies furent dressées en même temps, et j’y trouvais une fort bonne place où l’on nous donna des faisans, ortolans, cailles, perdreaux, bisques, ragoûts et d’autres bons morceaux, de toutes sortes de vins en abondance. Les tables furent relevées plus de cinq ou six fois, et il n’y eut personne qui n’en fût pleinement satisfait. »
On sert aussi un « ambigu ». Késaco ? On lit dans Néo-physiologie du goût (1839) qu'il s'agit d'un énorme buffet
« où l'on sert à la fois des milieux de grosses pièces et des rôtis, des entrées, des entremets chauds et froids, des fruits crus et cuits, du petit four et des sucreries, sans parler des confitures et des sorbets de toute espèce. Les déjeuners, les haltes de chasse, les dîners champêtres et les repas qu’on sert pendant la nuit au milieu d'un bal sont presque toujours des ambigus. »
Oh, et j'oublie : au fur et à mesure du festin, on jette les assiettes dorées dans les fossés du château...
Molière et son Fâcheux
Ce soir-là, Molière donne en exclusivité une représentation de sa nouvelle pièce, Le Fâcheux.
Il y joue même le premier rôle !
« Le sujet de la comédie fut contre les fâcheux et les fâcheuses, où un homme se voit importuné de tous les fâcheux dont on peut être tourmenté. »
Félibien raconte dans sa Relation des magnificences faites par M. Fouquet (1661) :
« Le théâtre était dressé dans le bois de haute futaie, avec quantité de jets d’eau, plusieurs niches et autres enjolivements. »
Une chasse improvisée
Détail amusant : on organise une chasse de nuit aux flambeaux, dans les appartements du château, contre du gibier de tout poil !
Rassurez-vous, on a chargé les armes avec des balles... de liège !
Le feu d'artifice
Les festivités de cette soirée incroyable s'achèvent à 2 heures du matin par un grand feu d’artifice.
Deux chevaux du carrosse de la reine, effrayés par le tonnerre des explosifs, se noient dans les fossés !
Brrr, sinistre présage, vous ne trouvez pas ?
Relation des magnificences faites par M. Fouquet (1661) dit :
« Une quantité innombrable de fusées qu’on perdait de vue et qui semblaient vouloir porter le feu dans la voûte des cieux, dont quelques-unes retombant faisaient mille figures, formaient des fleurs de lis, marquaient des noms et représentaient des étoiles, pendant qu’une baleine s’avançait sur le canal du corps de laquelle on entendit sortir d’épouvantables coups de pétards, et d’où l’on vit s’élancer en l’air des fusées de toutes sortes de figures, de sorte qu’on s’imaginait que le feu et l’eau s’étant unis n’étaient qu’une même chose. »
Imaginez un peu le spectacle... On y voit comme en plein jour !
Fouquet et la favorite
Pompon de la pomponnette : ce soir-là (et c’est peut-être ce qui a le plus meurtri le roi), Fouquet tente de séduire Louise de La Vallière, la toute nouvelle maîtresse de Louis XIV !
Nicolas lui aurait proposé une grosse somme d’argent, afin d'obtenir ses faveurs…
Vous vous dites : Nooon ! Le saligaud ! Il a osé !
En fait, Nicolas sent bien que tout le monde lui tourne le dos à la cour, alors, il tente de faire de la favorite une alliée, moyennant finances.
Mais la dame interprète mal le rapprochement soudain du surintendant.
Outrée, elle se plaint à son amant, le roi...
Conclusion !
La fête de Vaux entraîne l'arrestation de Fouquet
Aaaah, les lendemains de fête... un vrai désenchantement au programme, pour Nicolas Fouquet, qui 3 semaines plus tard, se fait arrêter et traduire devant la justice.
Ses crimes ?
- complot et crime de lèse-majesté ;
- détournement de fonds et malversations.
On voulait la peau du surintendant plus riche que le roi, on l'a eue... Vaux-le-Vicomte, ou la folie de trop !
C’est cette nuit d’été festive de 1661 qui change tout
Fouquet a blessé Louis XIV dans son orgueil.
Le roi n'a que 22 ans, il n'est pas encore ce Soleil surpuissant.
Or là, c'est le coup de grâce : Fouquet lui a bien fait comprendre que ses châteaux de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye sont décrépits et vieillots, à côté de Vaux.
Fouquet fait clairement et dangereusement de l'ombre à son pouvoir.
Bref... Fouquet lui a mis une claque cruelle en pleine face.
La lutte avec Colbert
Mais il n’y a pas que ça.
On l'a dit, Fouquet veut devenir premier ministre, poste laissé libre après la mort du cardinal Mazarin, en mars 1661.
Sauf qu’il y a Colbert, le riche marchand, qui voudrait bien la place. Celui-ci va tout faire pour perdre le surintendant.
Regardez-le démolir son ennemi, hurlant à qui veut l'entendre que Fouquet a volé l'argent du royaume...
La preuve, il a construit son château de Vaux, avec !
C’est même Colbert qui aurait murmuré à Fouquet : « Donnez-moi une fête à Vaux » !
Ironie du sort
La justice dépossède Fouquet de tous ses biens, Vaux-le-Vicomte inclus : triste ironie, Louis XIV s'inspirera du château de son rival, quand il fera reconstruire Versailles !
La mort de Fouquet
Quant à Fouquet, après un long, trop long procès de 3 ans complètement truqué, il finit sa vie en prison dans le fort alpin de Pignerol.
Le mot de la fin
Allez, on laisse le dernier mot (de regret) à Jean de La Fontaine : « Vaux ne sera jamais plus beau qu'il ne le fut cette soirée-là » !
Sources
- Paul Lacroix. Nouvelle Histoire de France (tome 1). 1852.
- Edmond Demolins. Histoire de France (tome 3). 1880.
- Jules Levallois. Autour de Paris : promenades historiques. 1884.
- Gonzalve de Nervo. Études historiques: les finances françaises sous l'ancienne monarchie (tome 1). 1863.