Une histoire de tabac à Angoulême : comment la nicotine aurait pu s’appeler la thevetine !
Un moine-explorateur de l'ancien couvent des Cordeliers d'Angoulême a été le tout premier à ramener le tabac, en France !
Avant qu'un certain Nicot ne l'éclipse...
L'herbe angoulmoisine
Qui, de Jean Nicot le Nîmois ou d’André Thevet l'Angoumoisin, a introduit le tabac le premier en France ?
De vieux ouvrages font honneur à Thevet : Primus in Galliam semen detulit Thevetus (« Thevet a été le premier à signaler la graine. »)
Car oui, André Thevet serait le premier à avoir rapporté et nommé, en 1556, l'herbe angoulmoisine, du nom de la province où il tente les premières cultures du tabac.
Ce moine des Cordeliers d'Angoulême, aussi aumônier de Catherine de Médicis, explorateur et géographe, ramène dans ses poches des graines de pétun, d’un voyage au Brésil.
Il les fait pousser en Charente quelques années avant l’époque donnée par les historiens, soit 1560.
Thevet écrit dans sa France antarctique, en 1558 :
« Il y a une herbe, qu’ils nomment en leur langue pétun, laquelle ils portent ordinairement avec eux, parce qu’ils l’estiment merveilleusement profitable à plusieurs choses. Or, ils cueillent soigneusement cette herbe et la font sécher à l’ombre dans leurs cabanes. La manière d'en user est telle : ils enveloppent étant sèche quelque quantité de cette herbe en une feuille de palmier qui est fort grande, et la roulent comme de la grandeur d’une chandelle, puis mettant le feu par un bout, en reçoivent la fumée par le nez et par la bouche. Elle est fort salubre, disent-ils, pour faire distiller et consumer les humeurs superflues du cerveau. Davantage prise en cette façon, fait passer la faim et la soif pour quelque temps. Vrai est que si l'on prend trop de cette fumée, elle entête et enivre comme le fumet d'un fort vin. »
Nicot, la nicotine...
Alors, pourquoi Nicot, la nicotine ?
Thevet proteste déjà lui-même énergiquement dans sa Cosmographie universelle (1575) :
« Je puis me vanter d’avoir été le premier en France qui ait apporté la graine de cette plante, et pareillement semé et nommé ladite plante l’herbe Angoumoise. Depuis, un quidam qui ne fit jamais le voyage, quelque dix ans après que je fus de retour, lui donna son nom. »
Le quidam en question, Jean Nicot, est pourtant injustement considéré comme l’introducteur du tabac en France…
Car si Thevet a rapporté et planté les premiers plants de tabac, c’est à Nicot que l’on doit le fait d’avoir popularisé le tabac, en le faisant remonter jusqu’à la cour de France.
Alors que Thevet regardait pousser ses plants, Nicot en ramenait du Portugal, où il était diplomate pour Charles IX.
La péninsule ibérique connaissait déjà le tabac, depuis que Christophe Colomb en avait ramené dans ses valises...
Mais revenons à Nicot ! En 1560, celui-ci visite une officine à Lisbonne : un gentilhomme flamand, garde des papiers royaux, lui offre une « plante estrangère », rapportée de Floride.
Le diplomate l'accepte « comme plante transmarine, non jamais vue. » Il envoie une petite boîte remplie de tabac en poudre à la reine Catherine de Médicis, pour calmer ses migraines... oui, le tabac a moult vertus médicinales !
Le traitement marche du tonnerre : la plante reçoit le nom de Nicotiane.
La reine se déclare protectrice du tabac et un courtisan la nomme herbe à la reine pendant un temps, puis Médicée ou Catherinaire...
Et voilà : Nicot avait réussi son coup, Thevet pouvait tomber dans les oubliettes de l'Histoire !
Mais qui est donc André Thevet ?
L'aventure !
André Thevet naît à Angoulême vers 1516. Son père chirurgien-barbier le place très tôt au couvent des Cordeliers.
Ho, misère ! Un cauchemar pour le jeunot, très peu porté sur la religion. Ce qui le fait rêver, avancer ? L’aventure !
Il a l’âme d’un voyageur, il veut découvrir le monde, ces contrées quasi inconnues dont il lit la description dans les livres qu’il dévore.
C’est grâce à son protecteur, le cardinal Jean de Lorraine, qu’il embarque dès 1549 pour le Levant, la Crète, Constantinople, la Syrie…
En 1554 paraît son premier récit de voyage, Cosmographie du Levant. Il liste les curiosités botaniques et zoologiques rencontrées.
Poissons volants et toucans
En 1555, cap sur le Brésil : il s’agit d’accompagner, en tant qu’aumônier, l’expédition de l’amiral Villegagnon, pour établir une colonie.
André est frappé par tout ce qu’il voit : les tortues de mer, les « monstres marins à forme humaine », les poissons volants, puis la jungle impénétrable, les fauves, les tribus…
Il en oublie ses fonctions d’aumônier, noircit fiévreusement des pages et des pages de descriptions et de notes.
En 1557, il publie Les singularités de la France antarctique.
Hormis le tabac qu’il découvre là-bas, il est le premier Français à décrire l’ananas, la noix de cajou ou le toucan !
Le cosmographe royal
En 1559, il obtient la permission d’abandonner son habit religieux. Ouf, enfin !
Il s’installe à Paris dans le quartier Latin et accumule dans son petit cabinet de travail un bric-à-brac incroyable de « manteaux de plumes d’ara, peau de crocodile et cornes de rhinocéros, pieds intacts d’une momie », rapporte Le théâtre de la curiosité (PU Paris-Sorbonne, 2008).
À l’apogée de sa carrière déjà bien riche, il devient cosmographe du roi, géographe si vous voulez.
Il sert Catherine de Médicis en tant qu’aumônier, mais aussi ses trois fils, tous rois de France : François II, Charles IX et Henri III.
Alors... que reste-t-il d'André Thevet, aujourd'hui ? Oublié, le grand explorateur père du tabac en France ? Perdu dans le tourbillon des siècles ?
Le naturaliste suédois Linné lui rendra un juste hommage en nommant Thevetia un genre de plantes originaires d’Amérique...
Sources
- C. Fermond. Monographie du tabac. 1857.
- Bulletin de géographie historique et descriptive (année 1888).