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Un philosophe sociologue au château de Tocqueville

Quand : 29 juillet 1805 - 16 avril 1859

Tocqueville | ©National Gallery of Art, Washington / Public domain
Château Château de Tocqueville

Libéral, démocrate avant l’heure, Alexis de Tocqueville veut faire évoluer la société !

On le retrouve chez lui en Normandie, dans le château familial.

Deux mots sur le château

Saviez-vous que le colombier du château est le plus grand du département de la Manche ?

Le château date du 16e siècle, modifié au cours du 18e siècle : c'est le domaine des Clérel de Tocqueville, très vieille famille normande qui remonte au 15e siècle.

On trouve un Guillaume Clérel dans la liste des compagnons d’armes de Guillaume le Conquérant, présent lors de la traversée de la Manche et la bataille d’Hastings, en 1066 !

En 1836, Alexis de Tocqueville s’installe au château familial, alors inhabité depuis 50 ans.

Il passe les dernières années de sa vie retiré dans son château, à écrire L’Ancien Régime et la Révolution, et mène une vie politique tournée vers le département de la Manche.

Colombier du château

Colombier du château | ©Xfigpower / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Breton, Normand...

Par sa mère, Louise Le Peletier de Rosanbo (qui descend de saint Louis), Alexis est l’arrière-petit-fils de Malesherbes, l'avocat de Louis XVI, mais aussi neveu par alliance du frère aîné de l’écrivain Chateaubriand.

En plus d’être normand, il a donc un peu de sang breton !

Son père, qui est au moment de la Révolution soldat au sein de la garde constitutionnelle de Louis XVI, ne veut pas émigrer : il se fait arrêter avec son épouse, sous la Terreur. Ils échappent à la guillotine, la veille de leur exécution…

À 16 ans, d’ailleurs, dans la bibliothèque de la préfecture où travaille son père, Alexis tombe sur les livres des Lumières, qu’on lui avait interdits : il découvre que Malesherbes a défendu les encyclopédistes !

Un choc ! Une remise en cause de Dieu, le roi, le peuple, les nobles… il perd la foi, à ce moment-là.

Le château

Le château | ©Édouard Hue / CC-BY-SA

Un empereur !

Alexis vient d’une famille ultra-royaliste, très traditionnelle.

Son père écrit à sa naissance qu'il est leur 3e et dernier fils, et que son épouse est désolée d’avoir encore un garçon.

Le père d'Alexis dit en riant qu’il deviendra empereur, mais qu’il ne le lui souhaite pas, l’Empire n’étant pas bien vu dans la famille !

Le château

Le château | ©Bertrand LEROUX / CC-BY-SA

Des histoires de cœur

À 17 ans, Alexis a un enfant avec la couturière de la préfecture de Moselle, où son père travaille depuis 1817.

À 17 ans aussi, il se bat en duel pour défendre l’honneur d’une jeune fille, dont il était tombé fou amoureux !

En 1836, il épouse une Anglaise, Mary Mottley, malgré l’opposition de ses proches : elle est roturière et protestante, fichtre !

Lui suit son cœur.

Son but, maintenant : écrire un livre pour devenir autonome et gagner sa vie, ses parents allant le déshériter...

Les communs

Les communs | ©Édouard Hue / CC-BY-SA

Voyage en Amérique

Prisons et ventres sur pattes

Après des études de droit, Alexis devient juge auditeur au tribunal de Versailles.

En 1830, on le missionne pour aller étudier le système pénitentiaire américain et découvrir en quoi les États-Unis ont, selon lui, le meilleur exemple de démocratie.

Il publie De la démocratie en Amérique en 1835. Ce qui lui vaut d’être élu à l’Académie des sciences morales et politiques à 33 ans, puis, 3 ans plus tard, à l’Académie française.

À New-York, il note la tristesse des rues banales, mais découvre qu’il y a des trottoirs.

Il est surpris de « la multitude de choses que les Américains sont capables de se fourrer dans l’estomac » !

Surpris aussi par la condition des femmes, très libres avant le mariage…

Il remarque aussi que toute le monde cherche à faire profit, mais que chacun fait preuve d’un patriotisme hors normes.

Côté prison, il note que les Américains ont des cellules, à l'inverse des Français et de leurs salles communes : bien mieux, selon lui, pour se confronter à soi-même…

Lui-même fera de la prison à Vincennes en 1851, après son opposition au coup d’État de Napoléon III !

Les Indiens

Sa rencontre avec des Indiens est un choc : ils n’ont rien d’exotiques, ils boivent comme des trous et se sont occidentalisés !

Alexis trouve dommage « cette race qui s’éteint, cette civilisation les tue. » Il ne les voit pas, d’ailleurs, comme d'autres alors, comme des êtres inférieurs…

Démocratie et individualisme

De retour en France, Alexis réfléchit sur la démocratie qu’il a vue naissante en Amérique.

Pour lui, la démocratie, c’est « l’égalité des conditions. »

Il sait que la démocratie est l’avenir, la monarchie n’a plus sa place. Mais cette égalité des conditions est-elle compatible avec la liberté ?

L’égalité peut-elle engendrer un conflit entre des citoyens égaux en droit, mais qui se rendent compte qu’ils ne le sont pas, dans les faits ? Le danger de la démocratie serait-il l’individualisme ?

Ah ! Vastes questions ô combien d'actualité !

Il écrit :

« Le sentiment de la famille se délite : la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul. »

Le choc avant l'heure !

La rivalité États-Unis/Russie pour la suprématie, vue par Tocqueville.

Le choc. Il en parle un siècle avant ! Et c’est frappant !

« Il y a aujourd'hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s'avancer vers le même but : ce sont les Russes et les Anglo-américains. Tous deux ont grandi dans l'obscurité ; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur ».

Plus loin on lit :

« Pour atteindre son but, le premier s'en repose sur l'intérêt personnel, et laisse agir, sans les diriger, la force et la raison des individus. Le second concentre en quelque sorte dans un homme toute la puissance de la société. L'un a pour principal moyen d'action la liberté ; l'autre, la servitude. Leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses ; néanmoins, chacun d'eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde. »
Lit d'A. de Tocqueville

Lit d'A. de Tocqueville | ©Thierry74 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Politique et Normandie

Alexis commence sa carrière politique comme député de la Manche, en 1839.

Il est de gauche, se positionne avec des idées anti-esclavagistes (bien que favorable au colonialisme) et libre-échangistes, posant question sur la colonisation, notamment de l’Algérie.

En février 1848, il s’exclame « Réveillez-vous », en parlant des hommes politiques en total décalage avec les citoyens...

Épilogue

Alexis de Tocqueville repose dans le petit cimetière du village depuis sa mort, en 1859.

Tout près de son château, son fidèle port d'attache : « C'est le port au milieu de toutes les tempêtes. Je n'ai jamais, après tout, été autant et aussi longtemps heureux que là. » (Correspondance familiale, Gallimard, 1998)

Source

  • L'émission Au cœur de l'histoire de Franck Ferrand, sur Europe 1, consacrée à Alexis de Tocqueville (diffusion le 13 mai 2015).

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !