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Saint-Martin-de-Ré, l'antichambre du bagne

Quand : 1873 - 1938

Les fortifications vues de la plage | ©Celeda / CC-BY-SA
Fortification Emprisonnement Fortifications de Saint-Martin-de-Ré

À partir de 1873, la citadelle de Saint-Martin-de-Ré devient l’unique dépôt de prisonniers destinés aux bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie.

Petite histoire des bagnes français

Constantinople... Le Havre !

Le bagne vient de l’italien bagno, le bain : des bains publics de Constantinople, qui étaient des prisons d’esclaves y travaillant.

En France, les bagnes sont créés quand les galères déclinent, ces bateaux où les condamnés sont forcés à ramer.

Le premier en France ouvre en 1748 à Toulon. Viennent ensuite Brest en 1749, Nice en 1796, Lorient en 1798, Le Havre en 1803.

La Guyane ? Parfait !

Les travaux forcés sont créés en 1560, en France.

C’est la loi du 30 mai 1854 qui crée les bagnes de Guyane.

Il fallait se débarrasser des bagnes, dans les centres-villes français : les détenus y travaillaient dur et bien, ce qui faisait de la concurrence à l’économie locale.

La Guyane, territoire où les Français ont mis les pieds en 1604 et où l’abolition de l’esclavage de 1848 a supprimé toute la main-d’œuvre, est l'endroit parfait pour envoyer les prisonniers !

Anse d'embarquement des bagnards

Anse d'embarquement des bagnards | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Le bagne, la citadelle

Le bagne se trouvait dans la citadelle de Saint-Martin : celle construite par Vauban en 1690, pour protéger l’île d’incursions ennemies.

Depuis le tout début du 18e siècle, la citadelle sert de prison : elle accueille entre autres des Communards.

On la transforme en 1873 en dépôt de prisonniers destinés au bagne de la Guyane et de Nouvelle-Calédonie.

Il s'agit de l’unique point de regroupement des bagnards en France, pour ces deux bagnes, acheminés par le bateau Le Martinière.

Parmi les prisonniers, des célébrités : le capitaine Dreyfus, Guillaume Seznec, Henri Charrière alias Papillon...

Aujourd’hui, plus de bagne ! Mais toujours un centre pénitentiaire, bien caché derrière la citadelle.

On peut toujours voir, face à la porte Royale, la petite anse d’embarquement des bagnards, avec ses murs couverts d'émouvants graffiti...

Graffiti de bagnards

Graffiti de bagnards | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Le grand départ

Au départ de l'anse d'embarquement de Saint-Martin-de-Ré, donc, le voyage dure 5 mois environ vers la Nouvelle-Calédonie, 3 mois pour la Guyane.

Le journal Le Temps de 1886 fait état de 11 000 bagnards passant ici chaque année.

Quand on en a 500, le bateau vient les emmener.

Le départ se fait tous les 5 mois. La foule les attend, haineuse.

Elle regarde défiler ce cortège d’hommes un pain sous le bras, enchaînés deux par deux, courbant le dos, pressant le pas en se serrant les uns aux autres, pour s’aider à marcher plus vite.

De rares fois, un mauvais pas... 3 ou 4 hommes tombent et c’est la huée dans la foule !

Anse d'embarquement des bagnards

Anse d'embarquement des bagnards | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Le quotidien des bagnards à Saint-Martin

Punaises et eau croupie

L’Ouest Éclair du 19/07/1908 rapporte quelques détails sur la vie quotidienne des bagnards, à Saint-Martin-en-Ré, avant le grand départ...

Alors déjà, par prudence, on ne laisse pas de feu ni de lumière aux forçats.

Du coup ils se lèvent et se couchent avec le soleil, ce qui, l’hiver, fait des repos de 12 h !

Les dortoirs sont des cages où on les entasse par 10 ou 12, avec chaque fois, un « prévôt » : un condamné chargé de surveiller ses collègues, moyennant de petits avantages.

Cages où règne la pire des saletés, où l'on étouffe, où l'on voit les punaises de lit grimper vers les creux du plafond en bois !

Quid de la nourriture ? 700 g par jour de pain bis, le matin une soupe, le soir une soupe et une purée au riz et aux légumes : la « pitance. »

Une fois par semaine, de la viande.

Pas de café, d’alcool, de tabac. Que de l’eau croupie, carrément imbuvable l’été.

Une évasion ?

Impossible de s’évader : les bagnards sont enfermés dans les casernes de la citadelle, avec autour, un haut mur flanqué d’un chemin de ronde avec à 20 pas chacun, des sentinelles.

Même si l'on arrivait à sortir des casernes, il y a encore la citadelle, elle-même entourée de murs, de fossés... et cernée pas la mer !

Depuis la création du bagne de l’île de Ré, un seul bagnard a tenté l’évasion, un acrobate, qui s’est finalement cassé le poignet en retombant mal...

Anse d'embarquement des bagnards

Anse d'embarquement des bagnards | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

La journée type du bagnard

Levés à 6h, les bagnards travaillent (contre rémunération) : les plus faibles effilochent de vieux cordages pour en faire de l’étoupe.

Les autres fabriquent des sacs de papier.

À 10 h, repas. À 10h30, la pause. Il faut imaginer 300 hommes en bonnet et bure qui tournent autour de la cour, « en queue de cervelas », au son des « Une deux une deux » des gardiens et des sabots qui choquent.

Le « costume » des bagnards ? Une veste, un pantalon, un béret de laine brune, une chemise et un caleçon en toile. Trop froid l’hiver, trop chaud l’été ! L’étoffe s’use vite, en plus, et la trame apparaît.

À 11h, re-travail. À 16h, repas. À 16h30, la pause. À 17h, reprise du boulot jusqu’à la nuit.

Et tout cela dans le silence complet ! Si l'on vous prenait à parler, il y a les « descentes en fanfare » : le gardien appelle 2 ou 3 collègues pour passer à tabac le malheureux à coup de sabot !

Pour les récalcitrants, le cachot : une salle toute blanche, ni lit ni chaise, du pain noir et de l’eau. Vous y restiez 15 jours...

Pour finir...

À Cayenne, c’est la mort qui attend les bagnards : 8 h de travaux par jour, 6 jours sur 7, sans compter les épidémies, la sous-alimentation...

Sur 18 000 transportés en Guyane, 7035 sont morts.

Les bagnes français sont supprimés en 1945, les derniers prisonniers libérés en 1953.

La citadelle de Saint-Martin-de-Ré, elle, abrite depuis 1970, un centre de détention comptant près de 500 prisonniers purgeant de lourdes peines.

Sources

  • Eugène Degrave. Le bagne : affaire Rorique. 1901.
  • Antoine Mesclon. Comment j'ai subi quinze ans de bagne. 1931.
  • Dossier de presse de l'exposition du musée Ernest Cognacq. Saint-Martin-de-Ré, antichambre des bagnes. 7 mars 2015.
  • Marie Nicolas Bouillet. Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts (article Bagnes). 1857.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !