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Rebelles bretons

Le Gwenn ha Du | Jeremy Kergourlay
Brigandage Criminalité financière

Là, dans ce pays de mer, d'écume et de landes qu'on appelle Bretagne se cachent des dissidents. Oui, eux là ! Les rebelles !

On n'a aucun portrait d'eux, on ne connaît que leurs noms, entrés dans la légende...

Le fier Pontcallec, la belle Marion du Faouët, le sanglant La Fontenelle : Anecdotrip vous raconte leurs histoires pleines de mystères et d'anecdotes !

SOMMAIRE

1 - Le marquis de Pontcallec : la Bretagne, c'est moi ! 2 - Sur les pas du marquis 3 - Marion du Faouët 4 - Sur les pas de Marion 5 - La Fontenelle : sans foi ni loi 6 - Sur les pas de La Fontenelle

Le marquis de Pontcallec : la Bretagne, c'est moi !

À l'Ouest, rien de nouveau

Imaginez la Bretagne au XVIIIe s. Elle va mal : on crève de faim, les impôts sont trop lourds, le commerce va mal, concurrencé par les pays étrangers...

Louis XIV vient de passer l'arme à gauche. Le petit Louis XV est bien trop jeune pour régner, alors on charge le neveu du roi Soleil, Philippe d'Orléans, du rôle de la Régence.

Un demi-roi, en somme... Un roi mon œil, oui ! Prince de la décadence, roi des petits soupers, ambassadeur de la luxure et j'en passe... tout sauf un roi.

Que la fête commence, gueulent-ils à tue-tête en s'amusant, ces messieurs-dames !

En attendant, le royaume ne va pas bien, la Bretagne encore moins ! Toute exsangue, fatiguée, elle crève de faim.

Sans compter qu'en décembre 1717, on réclame aux États de Bretagne 2 millions de livres, c'est le don gratuit, une somme destinée aux dépenses imprévues du Royaume.

Révolte ! Pour ceux qui en ont gros

Trop, c'est trop ! Les États refusent. La Bretagne va mal, pas la peine de l'achever. Quelques jours après, le gouverneur de la province Montesquiou dissout les États.

Mais les Bretons réclament plus d'autonomie pour gérer leurs affaires. Des membres du Parlement breton vont jusqu'à Versailles se faire entendre ! Discours de sourds...

Suit une guéguerre entre le Royaume et le Parlement de Bretagne. De nouveaux États ne changent rien.

Et voilà que maintenant, on leur réclame encore des impôts ! Mais, c'est qu'ils ne vont pas se laisser faire ! La noblesse bretonne s'y oppose et signe l'Acte d'Union pour la défense des libertés de la Bretagne en 1718. L'histoire commence !

Le marquis à la tête dure

Mais au fait... Qui est-il, ce petit marquis breton de Pontcallec, qui du fin fond de son Morbihan, se rebelle contre la Régence qui en veut aux libertés de sa Bretagne ? Qui, ce petit noble prêt à tout pour l'indépendance de son pays ?

L’Histoire l'a un peu oublié, quand même. Hop, mis de côté, Pontcallec ! C'est pourtant un personnage haut en couleur, le marquis.

Oula, un type qui a de la poigne, il est pas breton pour rien ! Penn kaled, la tête dure comme on dit en breton.

Oh mais venez, on va vous le présenter... Vous le voyez là, ce grand gaillard sombre, le profil au couteau, l’œil fiévreux, aussi bouillonnant que le cheval qu'il monte ?

Le sieur s'appelle Clément-Chrysogone de Guer, marquis de Pontcallec. Il naît à Rennes en 1679, fils de Charles-René de Guer-Malestroit et de Bonne-Louise Le Vayer.

Le tyran dans sa tanière

Mais là, nous sommes en 1719. À l'époque, il a 40 ans, il vit en célibataire avec sa sœur Françoise dans son château de Pontcallec, dans la profonde forêt du Scorff.

Aaah, la forêt de Pontcallec... un autre temps, un peu. Ici, ce ne sont que calvaires, églises, granit dur et rugueux, roche primitive venue du fond des âges émergeant des fougères et des arbres, ces pierres silencieuses témoins impassibles des siècles passés. Écoutez ! La pluie se met à tomber.

Tout est silencieux, apaisé. Les eaux de la rivière frémissent, la forêt, les feuilles et la pluie bruissent ensemble, se froissent. La pluie, l'automne, le brouillard... Voilà le fief du marquis. Pontcallec fait partie de la haute, oui. Marquis...

Mais un marquis qui n'a pas un rond ! En plus, il a des dettes. Pour renflouer ses caisses, Pontcallec s'improvise fraudeur dans la contrebande de tabac.

« Il en faisait depuis longtemps presque un commerce public » dit Le Moyne de La Borderie dans son Histoire de la Bretagne : 1715-1789 chap IV.

Dans ses jeunes années, il a fait partie des mousquetaires, puis s'est retiré pour revenir sur ses terres bretonnes.

Pour chasser et arpenter son fief en maître absolu... Oui, il faut que vous sachiez une chose : il y a deux Pontcallec, comme dit La Borderie.

Celui de la légende, le bel homme brave et généreux et le vrai Pontcallec, cruel, chasseur, tyrannique. Son nom fait trembler !

Il inspire le plus grand respect, mais on n'est pas dupe : on sait bien quel personnage il cache ce nom, dans le coin.

Ses paysans vous le diront, ils le détestent ! C'est qu'il enferme ses domestiques et ses gens dans ses prisons au pain sec et à l'eau ! La Borderie nous dit, d'après des témoignages écrits véridiques, que les paysans du coin « voudraient le voir pendre, car c'était un tyran ».

Faux nez et noms de code

Bon alors, cet Acte d'Union pour la défense des libertés de la Bretagne ? Ça en est où ? Oh, au début on ne compte qu'une soixantaine de nobles à adhérer. On propose à Pontcallec, qui refuse une première fois. Bon Dieu non, pas assez de monde !

Puis il finit par accepter lorsque 300 nobles rejoignent le mouvement. En 1719, ils sont plus de 700 ! Enfin ça, c'est ce qu'on dit. Parce qu'on ne connaît pas vraiment le nombre exact, qui varie de 50... à 700 !

Tout ce petit monde se réunit au château de Pontcallec puis sur les landes de Lanvaux.

Aaah, il faut les voir là, ces quelques péquins à cheval rassemblés sur une lande déserte à se peler de froid ! Ben oui, 16 personnes ont répondu à l'appel, 16 seulement !

La Borderie nous donne leurs noms : de Lambilly, de Tahouët de Bonamour, Pontcallec, de Kervasic, Le Gouvello de Kerentrec'h, le comte de Lescouët...

Sans oublier les 3 fidèles compères de Pontcallec, Thomas-Siméon de Montlouis, François du Couëdic et Laurent Le Moyne du Talhouët.

On raconte que quand ils se retrouvent, ils portent de fausses barbes, des masques ou de faux nez et se donnent des noms de code. Incognito nos Bretons ! On n'est jamais trop prudent...

On s'fout en république !

Et quand des Bretons se rassemblent sur une lande pelée et austère, à dos de cheval, que se racontent-ils ? Des histoires de Bretons...

Leur idée ? Faire appel à l'Espagne, en guerre contre la France et s'assurer de son soutien et de sa protection.

C'est bien comme idée mais un peu dangereux : ils seraient considérés comme des traîtres, du coup ? L'un d'eux, le président Larlan de Rochefort, se retire d'ailleurs du projet car pas très chaud pour trahir son pays. Ce sont de petits nobles prêts à protester mais pas à devenir des hors-la-loi !

Pourtant, Pontcallec explique qu'il n'y pas trahison puisque le roi d'Espagne fait partie de la famille du roi de France !

Philippe V est en effet le petit-fils de Louis XIV... l'héritier du trône comme pensent beaucoup ! Comme dirait le Pontcallec (sacré Marielle, va !) de Tavernier dans le film Que la fête commence :

« Pontcallec : - On se défait du Régent, on fait reconnaître à sa place le duc du Maine, on dénonce les traités de la Triple Alliance avec l'Angleterre et la Hollande […] et on couronne Philippe V roi de la moitié du monde... voilà. »

« Un des nobles : - Et les Bretons dans tout ça ? »

« Pontcallec : - Bah les Bretons, y se foutent en République. »

Alors, vous l'aurez peut-être compris, mais la conspiration de Pontcallec reste en fait très minoritaire : oui, on a peut-être 500 signatures, mais seule une quinzaine de nobles prend vraiment part au complot !

Des Bretons, des Espagnols

Pourtant, Pontcallec va faire une rencontre décisive, par une chaude nuit de juillet 1719... Ils sont 15 nobles réunis dans une petite auberge de Remungol, la pipe aux coins de la bouche, des verres à moitiés vides éparpillés sur la table devant eux.

De Lambilly leur présente le sieur Bonaventure Hervieu de Mellac, un petit noble sans le sou frustré de son état, qui s'en revient d'Espagne où il a parlé de leur affaire avec le roi...

Intéressant, ça ! Il y a moyen de négocier peut-être ? Les Bretons décident de leur demander des armes, beaucoup d'argent, des soldats aussi en prévision d'un débarquement. Le cardinal Alberoni, conseiller de Philippe V, leur promet d'envoyer 8 000 hommes, dit La Borderie... Mellac lui a carrément promis le trône de France au roi Philippe !

Des promesses pour l'instant, voilà tout. On attend... Jusqu'à ce que Pontcallec rassemble ses résistants dans la forêt de Kerlein près de Priziac, pour leur dire qu'ils ont reçu une lettre du roi d'Espagne, qui leur promet son soutien, de l'argent et des bateaux ! Nous sommes en août 1719. Pontcallec et ses conjurés hurlent leur joie...

Et bim, un coup de mistouflet !

Pendant ce temps à Versailles, on se demande ce qu'il se trame sur cette foutue terre de Bretagne ! On envoie des soldats. Un noble nantais balance tout ce qu'il sait sur le complot, en septembre 1719.

Alors on se met à les traquer, nos conjurés, qui trouvent refuge au château de Pontcallec.

On l'a vu, ce gros château digne d'une forteresse peut soutenir un siège sans problème.

Les paysans du marquis (une bonne centaine), planqués dans les murailles les protègent plus ou moins, les défendant comme ils peuvent : aah, vous les voyez là, agitant leurs faux, l'air menaçant ?

Ah, elle est belle la rébellion bretonne ! Et c'est sans compter la formidable invention du marquis, le « mistouflet », une fourche avec un pistolet à son extrémité, le tout fonctionnant... en tirant une ficelle. Improbable, mais véridique !

La nuit tombée, on se cache dans des sortes de petites cabanes recouvertes de feuilles aux alentours du château pour mieux surveiller la moindre attaque.

Et la vie continue à l'intérieur du château de Pontcallec. Ça boit sec, ça rigole, ça mange... On trouve autour du marquis : de Lambilly, Montlouis, Le Moyne, le sénéchal du Faouët Chemendy, Brangolo, un noble de Guémené... Le « siège » va durer une semaine.

On est cuits !

Fin octobre 1719, c'est la claque : on prévient les conjurés qu'un bateau espagnol arrive sur les côtes bretonnes, à Saint-Gildas-du-Rhuys ! Un bateau sur les 7 envoyés, mince quand même...

Les autres bateaux, d'abord repoussés par une grosse tempête, avaient rebroussé chemin et avaient sans doute été arrêtés par un sbire du régent... Mais c'est mieux que rien.Nos bretons exultent de joie. Toutefois le rafiot ne compte que 300 hommes...

C'est bien pour les Espagnols qui font la guerre en France, cette petite escapade bretonne fera une diversion parfaite ! Une fois l’euphorie passée, problème. Un des conjurés se rend compte de l'énormité de la situation. C'est du grand n'importe quoi, là !

300 hommes en renfort, quelques Bretons mal préparés, une rébellion brouillonne... Oulà, ils sont cuits !

Il ne lui en faut pas plus pour paniquer et renvoyer les Espagnols chez eux et filer prévenir le gouverneur breton Montesquiou. Trahison ! Le complot a été révélé. De toute façon maintenant, l'Espagne se contrefout du sort de la Bretagne... On installe à Nantes une « chambre royale de Justice » pour poursuivre les conjurés.

Presque tous les nobles ont abandonné la conspiration, mais pas Pontcallec flanqué de quelques irréductibles Bretons. Penn kaled ces gaillards, souvenez-vous, tête dure !

Ah, là, c'est vraiment foutu

Dernier coup d'éclat en octobre 1719 dans la forêt de Lanouée. Les conjurés ont décidé d'enlever le maréchal de Montesquiou à Rennes. Mais pour ça, il faut du monde. Ne viennent au rendez-vous que 15 hommes... Peine perdue. On abandonne le projet.

D'ailleurs, Pontcallec avait dit à Montlouis : « J'ai 100 hommes dans ma forêt et autant chez moi. Faites-en autant... »

Ce à quoi Montlouis raille : « Pontcallec mandait qu'il avait 300 hommes sur pied pendant qu'il n'en avait que 10 ».

Les conjurés commencent à se prendre la tête. L'autorité de Pontcallec est remise en question.

Dans une lettre, Montlouis lui dit de « se montrer homme de guerre de nom et d'effet », car le marquis s'appelle Guer ! Les piques fusent, mais là, on n'a plus le temps pour ça !

On ne joue plus. Pontcallec finit par jeter l'éponge. Il doit se cacher, fuir de fermes en fermes, de manoirs en maisons. Jusqu'à se faire arrêter dans la salle du presbytère, avec le recteur de Lignol.

Lignol ! Petit bourg tout tranquille du Morbihan. Si Pontcallec a bien était arrêté là, celui qui l'a trahi s'appelle en fait Chemendy, le sénéchal du Faouët, un très bon ami (si si) à lui. Le voilà, le traître.

Le marquis fuyait, il se cachait un peu partout déguisé en paysan. La police le traquait, il était fait comme un rat ! Il trouve donc refuge au presbytère de Lignol.

Mais le traître avait parlé... La maréchaussée rapplique sec à Lignol. Le pauvre curé dit qu'il ne comprend pas, qu'il est seul, mais les soldats trouvent Pontcallec tout habillé couché dans un lit.

Hop, embarqués, le marquis et le curé coupable d'avoir caché un conjuré ! On les enferme tous les deux à Guémené.

La fin d'un rêve...

Le lendemain, Pontcallec part pour Nantes, enfermé au château dès le 2 janvier 1720. Montlouis, Le Moyne et du Couëdic ne tardent pas à l'y rejoindre.

Il ne nie rien, raconte les assemblées, celle de Lanvaux et toutes les autres. Il raconte le projet d'aide espagnole aussi, l'envoi de l'argent, mais dit qu'il n'a rien perçu. Pontcallec est reconnu comme le chef des conjurés.

Mais bon Dieu, ils n'ont jamais cherché « à attaquer les troupes du roi pour ne point se rendre criminels », juste à défendre les libertés de leur pauvre Bretagne... peut-être que la sentence sera plus clémente ?

Bah, au fond de lui, Pontcallec sait bien qu'ils vont mourir. Après des mois de procès, les 4 hommes sont condamnés le matin du 26 mars pour « crimes de lèse-majesté et de félonie ».

« Condamnés à avoir la tête tranchée » d'après La Borderie dans son Histoire de la Bretagne : 1715-1789 au chap VII. Décapités le soir venu...

En plus de la terrible sentence, on confisque tous les biens des condamnés, on efface toutes les marques de noblesse de leurs demeures. Preuve de l'infamie, les bois autours de leur château seront rasés à mi-hauteur...

Tu mourras par la mer

Le père Nicolas, qui assiste Le Moyne avant son exécution, rapporte :

« ... monsieur de Pontcallec, qui se plaignait avec assez de modération, mais d'un accent un peu trop élevé : Quelle injustice ! Lier les mains à des gentilshommes, cela ne se doit point faire. Nous voilà donc condamnés à mort, sans avoir jamais tiré l'épée ni un seul coup de pistolet contre l'État. »

Ils sont conduits à l'échafaud sur une place du Bouffay en ébullition.

Hurlements de colères. Grondements. Gémissements des femmes qui pleurent des martyrs. On les presse, les voilà déjà sur l'échafaud.

Vous savez quoi ? On raconte qu'on avait prédit à Pontcallec, tout jeune encore, qu'il mourrait par la mer.

C'est pourquoi il avait très peur des bateaux et n'avait pas voulu se sauver tant qu'il était encore temps, par l'océan. « Ton nom, bourreau ? » demande-t-il à l'homme en noir. « Lamer », grogne-t-il dans un souffle.

Là, le marquis sait qu'il est cuit ! Bien sûr, c'est une légende nous dit La Borderie, car son bourreau s'appelait tout autrement, document à l'appui ! Mais c'est toujours beau une légende, surtout dans un moment aussi tragique, non ?

Dernier mot de Pontcallec au bourreau, véridique celui-là : « Faites votre métier, je fais mon devoir ».

Légende vivante

Et voilà... clap de fin ! La légende de Pontcallec est en marche. On en fera un héros de l'indépendance, un brave gars plein de bonté et de courage... Le Pontcallec de la légende !

La chanson tirée du Barzaz Breizh dont on entend le refrain chanté par Gilles Servat dans le film de Tavernier au moment de l'exécution du marquis à Nantes dit :

« Un chant nouveau a été composé, il a été fait sur le marquis de Pontcallec, sur le jeune marquis de Pontcallec, si beau, si gai, si plein de cœur ! Il aimait les Bretons car il était né d'eux. Il aimait les Bretons mais non pas les bourgeois qui sont tous du parti français, qui sont toujours à nuire à ceux qui n'ont ni bien ni rente. »

Oh qu'c'est beau ! Le corps du marquis va reposer au couvent des Carmes de Nantes avec ses compères, emmenés là, nous dit le père Nicolas, « à travers les rues barricadées et pleines de soldats », « sans autres linges que leurs chemises, ils furent transportés par le cloître au tombeau des religieux. »

On interdit de faire sonner les cloches, de chanter ou de s'habiller en deuil.

De toute façon, le couvent n'existe plus aujourd'hui. Pauvre Pontcallec... Vous parlez d'un destin !

La Borderie dans La Bretagne aux temps modernes, 1491-1789 dit très justement :

« Cette implacable et sanglante répression d'une entreprise dans laquelle il n’avait été tiré pas un coup de fusil est un crime de lèse-majesté. L'historien doit chercher à qui en incombe la responsabilité. »

Sur les pas du marquis

Direction le Morbihan ! Petite visite sur les lieux témoins de l'épopée de Pontcallec : de son château à Berné à la place du Bouffay à Nantes...

Marion du Faouët

Misère, misère

On crève de faim dans les campagnes de France au XVIIIe s, plus particulièrement en Bretagne, loin, si loin du pouvoir de Versailles... Boue, miasmes, maladies, crasse, famine, taudis infâmes, voilà la Bretagne de l'époque.

Les mendiants sont partout. Les voleurs et les détrousseurs aussi. Méfiance sur les petites routes isolées ! La campagne bretonne est propice à la rapine, pleine de cachettes où se tapir en attendant le pigeon.

Ça vous choque ? Bah, on crève de faim, on meurt, alors on trouve les moyens qu'on peut pour survivre, voilà.

La Marion a vécu en Bretagne. Fille de pauvres gens, elle devient chef de voleurs entre 1740 et 1755.

15 années à détrousser les riches paysans, les marchands s'en revenant de foires... Elle a sa petite armée, des amis et parents, écume les fermes isolées, les petits hameaux silencieux...

Une tête qui bouillonne

Marion, de son vrai nom Marie Tromel, naît au Faouët de parents journaliers (fermiers), dans le hameau misérable de Porz-en-haie le 6 mai 1717. Papa s'appelle Phélicien Tromel, maman Hélène Kerneau.

Elle a deux frères aînés, François et Corentin. L'enfance de Marion ? Oh, elle ne mange probablement pas à sa faim, a bien froid dans ses haillons... mais elle est libre, libre d'aller où bon lui semble, par les rivières, la lande, les sous-bois...

Avec les siens, elle va vendre de la petite mercerie aux foires et aux pardons. Une vie de misère, où on ne mange jamais à sa faim. Yvonne Chauffin le dit dans sa Marion du Faouët : Marion ne s'est jamais résignée à une vie de pauvre hère. Trop de chose bouillonne dans sa tête.

Elle ne peut pas accepter sa condition, une petite voix lui hurle de s'enfuir. Elle veut autre chose que cette vie de misère, elle voudrait hurler sa colère devenue insupportable avec le temps.

Une dame, moi, un jour ?

Mme de Stanghigan, sa marraine, avait tenté d'en faire quelque chose, de la sortir de son milieu de misère.

Elle l'avait prise sous son aile à Port-Louis dans son bel hôtel particulier, fait côtoyer les belles dames de la haute société lorientaise...

Elle lui avait inculqué la piété, appris le français, donné des goûts de luxe peut-être... mais rien à faire...

Marion, intelligente, mais menteuse et rebelle comme pas deux, n'a pas voulu de cette éducation de « dame ».

Elle retourne à sa misère au Faouët après avoir vécu 7 années de luxe. Une bulle à part. Cette parenthèse dorée lui a tourné la tête. Voilà qu'elle déraisonne complètement !

Elle enrage, des larmes dans ses beaux yeux. Il lui faut autre chose que la misère noire qui lui colle les basques. Pour arrêter ces voix qui lui souffle de ne pas accepter sa condition...

« Faute de soleil dans sa vie, Marion saura y allumer un feu d'enfer. Et voici qu'elle se met à rire tout haut. Elle se sent capable de devenir mauvaise, la Marion. Une belle haine dans le cœur, cela aide à vivre », dit Yvonne Chauffin dans sa Marion du Faouët à la fin du chap I.

Marie la Finefont

Alors, Marion devient voleuse de grands chemins à tout juste 23 ans. Les hommes la suivent. On les appelle la « bande à Marion » ou la « Compagnie de Finefont ».

Aah, comme ils la dévorent tous des yeux... Elle est si belle, Marion, très intelligente qui plus est : on la surnomme la Finefont, la foncièrement fine.

Elle se sait belle, elle est coquette, rieuse, avec ses cheveux roux comme les blés dorés en été, ses yeux gris-vert comme la mer en hiver... Un acte la décrit comme « taille de 5 pieds environ, yeux gris, cheveux châtains roux, une cicatrice au front, visage marqué de rousseurs. » Le seul « portrait » qu'on ait de Marion !

Verser le sang ?

Elle est un rayon de soleil dans la vie si pénible de ces pauvres gars... Elle réunit donc une petite troupe qui se met à écumer la région.

Particularité : elle ne touche pas aux pauvres gens et aux gentilshommes. Elle détrousse marchands et étrangers qui se sont attardés de retour des foires...

Cette Robin des Bois au féminin donne même une part de son butin aux plus pauvres ! Tout ça sans jamais tuer ni torturer. « À quoi bon verser le sang quand cette extrémité est inutile ? » disait-elle.

Entre temps, le premier enfant de Marion naît en 1737. Une petite fille, Alice. On se demande qui peut bien être le père...

Marion la belle a tant de galants ! Un seul pourtant a réussi à prendre son cœur. Il s’appelle Henri. Henri Peyzron dit Hanvigen, un grand gaillard à la peau brune et aux cheveux noirs, sec comme un coup de trique.

On voit souvent Marion avec et les rumeurs courent. La petite qu'elle a eue, est-ce son père ? Oui, c'est sa fille, aussi brune de visage que son père, de grands yeux noirs et brûlants...

De l'or !

On commence à accuser Marion et sa bande. Une nuit, ils ont volé un prêtre chez lui ! À côté de Guémené, plusieurs personnes sont détroussées. Ils sont arrêtés à Carhaix mais Marion réussit à négocier sa liberté. Henri et quelques autres restent en prison. Pour le moment...

Ils ont un jour l'opportunité de s'enfuir. Une porte mal fermée, parait-il... un geôlier distrait ? On ne sait pas. Peut-être Marion était-elle derrière tout ça ! Bref, Henri revient auprès de Marion après 2 ans d'absence.

L'a-t-elle oublié ? Bah, la Marion a un vrai cœur d'artichaut ! Elle est toujours chef de bande, ça, ça n'a pas changé. Il lui faut toujours plus d'argent, toujours... Une fois qu'on a touché à la caresse brûlante de l'or, plus rien n'arrête, on en veut encore, encore...

Vous comprenez ? Avec cet or, Marion fait la belle, s'habille bien, joue la dame (réminiscence de son éducation à Port-Louis diront certains), se fait payer des coups à boire par de beaux messieurs.

Vous l'avez-vu, là ? Elle adresse son plus beau sourire en servant le cidre aux hommes ; le feu danse dans l’âtre et l’enveloppe d’un bien-être fugace. Dans la salle, on rit, on parle, on réclame à manger, on se met même à chanter. Elle donne quelque chose à certains... quoi ?

Des sauf-conduits, précieux sésame qui permet de marcher tard la nuit sur les petits chemins sans être inquiété par la belle ! On la craint, la belle Marion...

Marquée au fer rouge

Première arrestation à Ploërdut, une nuit glaciale de 1746 : ça s'est passé comme dans un rêve...Marion s’était réveillée, alertée par des bruits de pas rapides dans la cour. Ça y était. Au milieu des cris, des regards muets, livides, les dragons les avaient emmenés : tous, Henri, elle. Marion croise son regard... Brièvement.

On les enferme tous les deux dans les sombres tours médiévales d'Hennebont. On les condamne pour vol, port d'armes et attaques avec ces armes. Henri et elle vont être pendus sur la potence de la ville d'Hennebont... À moins que ?

Les amants font appel et sont transférés à Rennes pour un nouveau procès. Henri subit la question : on le brûle atrocement. 9 fois.

Mais il nie tout, de toute façon il sera pendu, il le sait. Alors, il nie pour Marion aussi, hurle son innocence jusqu'au bout. Il a sauvé sa belle...

Sa douce Marie qui elle, attend toujours son sort. Tant pis pour lui... Il sera pendu. Marion, pendant ce temps en prison, imagine la scène car on lui a lu la déposition.

Il l'a sauvée... mais elle l'a perdu. On la condamne à se faire « fustiger nue de verges, par 3 jours de marché, par les carrefours de cette ville de Rennes ». Marquée au fer rouge du V humiliant de voleuse, comme du vulgaire bétail...

On prend les mêmes, on recommence

Une fois libre, la Finefont reprend sa vie telle qu'elle l'avait laissée. Elle vit entre Priziac, Saint-Caradec-Trégomel, Ploërdut et Quimperlé...

Plusieurs mois que son Henri est mort et la voilà au bras de beaux galants. Parmi eux, il y a Olivier Guilherm, le bel Olivier. Regardez-le, là ! Vous voyez cet homme bien bâti, le cheveu court, blond comme les blés ?

Olivier, le favori de tous ses amants. Un homme rusé, qui échappe toujours à la police. On murmure que lui et Marion se sont fiancés.

À cette époque, ils vivent bien, ne se privent de rien, mangent et boivent tout leur saoul. Marion se pare de toutes les plus belles toilettes qu'elle puisse porter. Ils ont plus d'argent, oui, parce qu'ils détroussent toujours plus.

Les rues du Faouët ne sont plus que des coupe-gorges ! C'est elle qui fait le partage du butin. Les hommes suivent sans broncher, ou presque. Un témoin rapporte qu'elle partageait toujours l'argent grossièrement, d'une poignée de mains.

Si l'un d'eux râlait qu'il n'avait pas eu beaucoup, Marion prenait un bâton et le frappait... Un des rares actes de violence de la belle.

Y'a plus rien de sacré !

Et voilà... Maintenant, Marion et sa bande se mettent à voler dans les églises autour du Faouët...

Ces contrées avaient toujours regorgé de truands en tout genre, mais personne encore n’avait osé s’en prendre aux biens de l’Église, même en ces temps de calamités. Sacrilège !

L'église de Quelven subit une attaque en mars 1748. Un coup de la bande de Marion ?

Quelques jours après, au tour de l'église du Faouët. Jean Lorédan nous rapporte ce que la maréchaussée a découvert : portes cassées, serrures fracturées, objets et linges volés... On arrête Marion une nouvelle fois à Auray en juin 1748.

On l'emmène en prison à Vannes où elle donne naissance à un garçon. Mais Marion échappe encore et toujours au pire. Juste une condamnation au bannissement à perpétuité...

Alors... On murmure des choses dès 1750... que Marion serait protégée par quelqu'un de haut placé, un seigneur qui en serait l'amant.

C'est pas faux ! L'homme en question s'appelle René-Gabriel de Robien. Il aime le luxe, la bonne chère, plus que ça d'ailleurs. On le dit dépravé, et les frasques de la belle Marion l'émoustillent au plus haut point.

Échec... et mat

Au tout début de l'année 1752, le roi demande l'arrestation de Robien, « qui s'associe avec une troupe de voleurs ».

On l'enferme à Pontorson. Marion a-t-elle perdu son soutien, celui qui faisait qu'elle échappait à chaque fois à la prison ou pire, à la pendaison ?

En tout cas au mois de juillet 1752, elle se fait arrêter avec Olivier après des mois d'errances de maisons en maisons à Poullaouen.

Enfermés comme des chiens à Carhaix, Olivier se fait la malle quelques jours plus tard pour rejoindre le Faouët.

Marion, elle, se fait transférer à la prison de Quimper. Et attend. On lui réserve quoi maintenant ? Pas le meilleur ! Le roi fait publier un monitoire, un procédé de justice visant à obtenir des témoignages lorsque ceux-ci manquent.

On s'appuie pour ça sur l'Église, les curés devant faire peur à leurs paroissiens, leur promettant les flammes de l'Enfer s'ils ne disent pas toute la vérité !

Des âmes damnées

Mais Marion s'évade de prison début septembre 1752. Avec l'aide d'Olivier Guilherm, qui sait ? Le bel Olivier qui ne l'avait pas oublié, bien sûr...

Elle fuit, déguisée, vers le Faouët comme si de rien n'était... La revoilà dans son fief, qu'elle écume à nouveau.

Mais plus rien n'est comme avant. Marion se sent traquée comme une bête à l'agonie. Foutue, la belle le sent, elle l'est.

Les monitoires font leur effet. Les paysans, les gens viennent raconter des choses. Plusieurs amis de Marions sont arrêtés et pendus.

Elle fuit vers Saint-Caradec-Trégomel tant qu'il est temps. Au Faouët, les hommes de la bande continuent leur vol.

Corentin, le frangin, qui lui use de la force, et pire.

Ou Joseph, un autre de ses frères, qui n'hésite pas à tuer des hommes. On ne sait pas si Marion traîne encore avec eux...

Chair lacérée et mains brûlées

Jusqu'à un petit matin brumeux de 21 octobre 1754... une femme rousse se fait contrôler à Nantes. Quand on lui demande son nom, voilà ce qu'elle répond : « Marion du Faouët ».

Oh, Marie, mais pourquoi ?! Pourquoi avoir dit ça ?

Du coup, on l'incarcère à la prison du Bouffay. On la réintègre ensuite dans la prison de la rue Obscure à Quimper, pour subir son procès.

Le dernier... Tout est fini, Marie !

On lui fait subir la terrible question, ce feu atroce qui a grillé son Henri avant elle. Elle a les pieds et les mains brûlés. La chair lacérée.

Elle vacille, en chemise, mains nouées. On l'emmène en charrette jusqu'à l'échafaud. Les gens sont venus nombreux voir la terrible Marie Tromel.

Ah ! Regardez-là ! Courbée en deux, la chair meurtrie, les os grillés, le visage livide comme la mort ! Regardez !

On la condamne à mort, la « catin aux cheveux rouges », comme l'appelle le sénéchal de Guémené, Louvart !

La pendaison. Nous sommes le 2 août 1755. Quimper frémit une dernière fois. Marion vient de pousser son dernier soupir...

Sur les pas de Marion

Cap sur les lieux où a vécu et volé Marie Tromel : du Faouët à Quimperlé, en passant par les sinistres prisons d'Hennebont...

La Fontenelle : sans foi, ni loi

La Bretagne à feu et à sang

On a commencé tout doux avec Marion du Faouët et Pontcallec. Une brigande pas vraiment mauvaise, un défenseur des libertés bretonnes un peu dépassé par les événements...

Avec La Fontenelle, on entre au cœur de la sauvagerie. La vraie. La férocité, la violence à l'état brut. La cruauté.

Le contexte se prête bien à ce déchaînement de violences, en même temps : on est au début des guerres de la Ligue, en Bretagne. Et alors, que se passe-t-il à cette époque ?

Henri III a laissé en 1582 le gouvernement de la Bretagne à son beau-frère, le duc de Mercœur. Mercœur, s'allie avec les Ligueurs contre Henri IV.

Il n'y a pas vraiment de protestants en Bretagne : la religion réformée atteint surtout les nobles et les bourgeois... mais ça n’empêche pas la région de prendre part au conflit.

C'est dans ce pays à feu et à sang que des bandits décident de sévir. Le pire de tous s’appelle La Fontenelle. Tremblez ! Ses yeux luisant dans le noir, ses crocs aiguisés comme des couteaux, voilà le Loup !

Ce folâtre de Guy Eder

La Fontenelle s’appelle en fait Guy Eder de Beaumanoir.

Sa famille ? Oh, une des plus vieilles de Bretagne ! Ils sont seigneurs de la Haye-Eder. Le père s’appelle René Eder et la mère Péronnelle de Rosmar.

Ils vivent dans leur château de Beaumanoir, au Leslay (22), terre qui leur appartient depuis le XVe s.

Guy voit le jour vers 1575, peut-être au château, peut-être à Guenrouët on ne sait pas bien. Aah, c'est qu'on ne tenait pas les registres des naissances, à l’époque !

Son père le place au collège de Boncourt à Paris à l'âge de 12 ans. C'est là qu'il rencontre son ami Moreau, qui plus tard suivra toute sa « carrière » et la racontera dans des mémoires.

Son daron le laisse, les lourdes portes se referment sur le dos de Guy... misère ! Il sent qu'il va déguster !

Le jeune Eder avait passé une jeunesse libre, faite de chevauchées sauvages dans les champs, de bagarres. Aucune contrainte...

Là, au collège, le « folâtre Guyon » doit apprendre la rigueur et la discipline. Dur ! Ca ne bouge pas assez pour lui. Moreau remarque plus tard qu'il montrait déjà des signes de « dépravation ». Guy rêve d'aventures !

Tu ne voleras point

Au diable tout ça : en 1589, il s’enfuit du collège, vend ses livres et achète une épée.

Il veut aller à Orléans où se trouvent les troupes catholiques du duc de Mayenne. Des troupes réputées indisciplinées, violentes, commettant les pires actes.

Mais en chemin, à peine quitté la capitale, on le détrousse... et Guy doit rebrousser chemin ! Il réussit quand même peu après à les rejoindre, ces maudites troupes, en juillet 1589 près de Corbeil. Il a 16 ans.

Il est déjà vif, très brutal. Il prend le nom de La Fontenelle, d'une petite terre qui lui appartenait.

Il a réussi à se faire une petite bande : des miséreux, des traîne-savates, des domestiques, de la petite frappe, qu'importe pourvu qu'on le suive...

On est en pleine guerre, les Bretons luttent pour la Ligue, les paysans combattant dans les moindres communes, du jamais vu !

La Fontenelle commence à piller des villes et prendre des otages pour avoir la rançon. Il s'en fiche de qui est en guerre avec qui : lui veut juste voler, tuer, torturer...

La bête attaque...

Sa première expédition ? Coatnevenoy dans les Côtes-d'Armor. C'est un manoir où vivent la jeune veuve Marguerite Le Veer et ses enfants. Des proies faciles. Un jeu d'enfant !

La Fontenelle s'installe ensuite autour de Saint-Brieuc. Nous sommes en en 1590. Il s'empare du manoir de Kersaliou à Saint-Pol-de-Léon qu'il pille et vole.

Ensuite, au tour du château de Langarzeau à Pludual dont il vide les greniers. Rha, il a soif de violence !

Et pour ses raids, il a besoin d'aide : il enrôle donc tous les jours toujours plus d'hommes. En août 1592, La Fontenelle fait diriger sur Tréguier deux galères et 18 vaisseaux, français et espagnols, « pour rassasier son cœur de vindicte ».

Ses hommes violent les femmes, volent, saccagent tout sur leur passage. Après 3 jours d'enfer sur terre, ils mettent le feu aux maisons...

Après Saint-Brieuc, La Fontenelle dévaste la région de Tréguier. Entièrement. Il a tout écumé. Son joujou cassé, il décide d'aller voir ailleurs. En Cornouaille !

Je vous couperai le col !

Nous voilà en 1592. À Châteauneuf-du-Faou, il ravage tout. Il peut se cacher dans la sombre forêt du Laz, toute proche et réputée comme hautement dangereuse, il ne craint rien.

Mais les habitants ont le malheur de se plaindre. Nom de Dieu, bien mal leur en a pris ! La Fontenelle sait qu'il peut les trouver réunis à Vannes un soir de mars 1592, à l'auberge de la Tête-Noire.

Il y trouve le porte-parole des habitants de Châteauneuf et lui dit : « J'ai entendu que vous êtes venu faire plaintes de moi en ces états, mais par la mort de Dieu, regardez bien à ce que vous direz, car, selon ce que vous direz, je vous couperais le col ! »

Des menaces qui arrivent aux oreilles du gouverneur de Bretagne, le duc de Mercoeur. Ah c'est comme ça ? Eh bien, tu iras en prison, La Fontenelle !

Il le fait arrêter à la fin du mois de mars 1592 et l'enferme dans les prisons de Vannes.

Mais pendant ce temps, on apprend que le prince de Dombes vient d'assiéger la ville de Craon. Une bataille difficile va s'engager...

Mercoeur ne sait pas quoi faire. Si ! Il a une petite idée : libérer La Fontenelle. Ses talents militaires, son courage va faire merveille, il le sent...

Idée totalement irresponsable ou stupide, on ne sait pas, en tout cas il le laisse rejoindre Craon. Grâce à lui, Mercoeur remporte la bataille... et La Fontenelle retourne à ses affaires.

L'odeur de l'ennemi mort

Où a-t-il prévu d'aller, maintenant ? Vers Carhaix ! Là, il transforme l'église Saint-Trémeur en forteresse.

Il y dépose son butin et peut aller tranquillement en raid dans les villes alentours. Alentour, il y a le château de Granec.

Une belle place-forte très convoitée, fief du seigneur de Pratmaria Vincent de Coatnezre, un ligueur. Tellement bien fortifiée, que personne n'a jamais pu la prendre !

La Fontenelle s'y intéresse bien sûr. Il y a de sacrées richesses dedans ! Et si on ne peut pas le prendre par la force, il faut ruser.

La Fontenelle fait croire au seigneur que le gouverneur de Morlaix lui envoie des troupes pour défendre son château. Trop crédule, il laisse le loup entrer... sur quoi on le chasse de son château, et le vainqueur s'installe en maître !

La Fontenelle s'y plaît bien, et comme à Saint-Trémeur, il a là une planque idéale d'où il continue ses attaques. Seulement voilà...

Les paysans des environs, tenant des « royalistes », profitent d'une absence de La Fontenelle pour assiéger le château.

800 paysans qui après une semaine de siège tomberont nez à nez avec le bandit qui les massacrera un à un...

Baudry rapporte dans La Fontenelle le ligueur et le brigandage en Basse-Bretagne pendant la Ligue, 1574-1602 :

« Non content de ce carnage, La Fontenelle refusa aux parents des victimes la permission d'enlever les blessés et même les morts pour leur rendre les derniers devoirs. Les corps finissent par pourrir. »

Moreau rapporte que, se baladant près du château, le sieur de Pratmaria fait remarquer à La Fontenelle : « Comment pouvez-vous supporter la puanteur de ces corps tout pourris ? » « L'odeur d'un ennemi mort est toujours suave et douce... » répond-il.

Il fait fortifier son château, le rendant « assez fort même contre le canon ».

Les cachots infects de l'île

Puis il continue ses raids : Châteauneuf-du-Faou, Châteaulin, Landerneau, Morlaix, Tréguier...

Au début de l'année 1594, voilà La Fontenelle à Locronan. Il massacre « 2 000 à 3 000 hommes tant gentilshommes, bourgeois que du plat pays, qui voulurent s’opposer à ses desseins vue la grande cruauté dont il usait. » 

Puis il débarque à Douarnenez... Malheur ! Ça fait un moment que La Fontenelle veut s'installer sur l'île Tristan.

Mais l'île est déjà occupée par un seigneur protestant, Guengat. Il faut qu'il dégage ! La Fontenelle le fait prisonnier au lever du jour et va piller Douarnenez.

Il va faire de l'île son refuge le plus parfait. Imprenable ! Avec de sombres prisons où sa cruauté n'aura plus de limites.

Moreau raconte dans son Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne durant les guerres de la Ligue qu'il traite les prisonniers :

« à la turque et même plus barbarement par les tourments et toute sorte de pauvreté et de disette, et ainsi les mettant à l'impossible, mouraient misérables dedans les cachots et cloaques.
« Ceux qui pour éviter les tourments avaient, au moyen d'amis et parents, pu trouver promptement leur rançon, sortaient demi-morts, semblant plutôt à des anatomies ou spectres hideux, n’ayant que la peau et les os, chargés de puanteur et de vermine, lesquels sitôt qu'ils étaient à changer d'air et de viandes, mouraient pauvrement d'une enflure. »

La Fontenelle continue ses raids et entasse les prisonniers dans l'île. Moreau écrit :

« Les uns moururent misérablement en des cachots infects et après une infinité de tourments qu'on leur faisait tous les jours, tantôt les faisant seoir sur un trépied à cuir nu, qui les brûlait jusqu'aux os, tantôt au cœur de l'hiver, et aux plus grandes froidures, les mettant tous nus dans des pipes pleines d'eau gelée.
« Fort peu en échappaient qu'ils ne mourussent en prison et ne pouvaient autrement arriver s'ils y demeuraient trois ou quatre jours, car ils étaient si pressés du nombre qu'ils ne pouvaient aucunement se remuer et n'avaient autre chose à se reposer que sur leurs excréments, où ils trempaient bien souvent jusqu'aux genoux et n'avaient autre sépulture après leur mort que le ventre des poissons.
« Car sitôt qu'ils avaient trépassés, leurs compagnons prisonniers étaient commandés de les jeter à la mer... »

Il va gagner son surnom, celui d'une bête inhumaine assoiffée de sang que rien n'arrête. Qui fait trembler. Ar Bleiz... le Loup.

Une proie pour la bête

Mais dans cette vie de malheur, La Fontenelle est seul. Trop seul. Toujours sur son cheval à courir les routes froides et humides... C'est pas une vie, ça !

Le destin va remédier à ça : il va placer sur son chemin la jeune Marie Le Chevoir.

Au château de Mézarnou vit le seigneur Hervé de Parcevaux. Il avait eu de son premier mariage une fille, Marie. Une riche héritière on peut le dire ! Quelques mois après la mort de son père, elle devient l'épouse de La Fontenelle...

Le château, rempli de richesse, s'est déjà fait pillé. La Fontenelle remet le couvert ! Il enlève Marie en 1595 et l'épouse.

Elle a à peine 10 ans ! Pourtant, on dit qu'ils vivent heureux ensemble. Oh, qui l’eut cru ? La Fontenelle cache ses horreurs à sa « femme » qu'il garde enfermée sur l'île Tristan avec ses domestiques et Marie s'éprend peu à peu de ce beau jeune homme.

La fin du Loup

Puis La Fontenelle continue ses raids. Cette fois, cap sur Pont-Croix. On sait ce que le Loup y fait comme horreurs...

L'histoire atroce de Pont-Croix arrive jusqu'aux oreilles du roi. Il faut arrêter cet homme ! Il aura encore le temps de faire un raid sanglant sur Penmarc'h, en mars 1596 : le dernier d'une longue liste.

La Fontenelle se fait finalement arrêter. Emmené à Paris, il subit la question dans les prisons du Châtelet puis se fait condamner pour vol, viols et meurtres... condamné pour avoir trempé dans la conspiration du maréchal de Biron, aussi.

Allez le Loup, du calme : Henri IV a abjuré sa foi réformée, les Ligueurs n'ont plus raison d'être. La guerre est finie... Toi aussi !

Une mèche dans le vent

Nous sommes le 27 septembre 1602, La Fontenelle se fait traîner à son supplice sur la place de Grève. Les gens sont venus en masse. Tension palpable dans l'air ! À mort le chien ! entend-on presque hurler.

Au centre se trouve une grande « croix de fer » où il va être « rompu vif ». À côté, la roue où ses membres seront broyés.

Le supplice de la roue, vous voyez en quoi ça consiste ? Le condamné se fait attacher sur une croix de Saint-André, puis le bourreau frappe les membres avec une barre de fer pour les casser. 9 coups.

Puis il attache le condamné bras et jambes repliés sous lui sur une roue montée sur un essieu et le laisse agoniser.

« Il languit environ 6 quarts d'heure », dit le chroniqueur L'Estoile du Loup. Il avait 29 ans.

On expose sa tête sur la porte Toussaint à Rennes. La tradition veut que La Fontenelle ait donné une mèche de ses cheveux à Marie, pour qu'elle les attache sur la porte du château familial de Coadelan, « afin que les gens, en allant à la messe, disent : Que Dieu fasse grâce au marquis ! » dit le texte du Barzaz Breizh.

On dit qu'elle s'y trouvait encore quelques années avant la Révolution...

Sur les pas de La Fontenelle

Petit retour sur les lieux écumés par La Fontenelle : de Morlaix à Tréguier ou Carhaix, de Landerneau à Lannion en passant par Locronan...

Et Ploumilliau, avec son terrible Ankou ? Ou l'église de Pont-Croix, l'abbaye de Langonnet ? L'île Tristan ? Penmarch ?

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !