Rabelais se qualifie de « Lyonnais par le cœur. »
Il séjourne à Lyon entre 1532 et 1535, où il occupe un poste de médecin à l'hôtel-Dieu.
Rabelais avant l'hôtel-Dieu
Lyon, Rabelais arrive !
Au printemps 1532, Rabelais est à Lyon...
Mais oui, Rabelais le papa de Gargantua, moine défroqué, écrivain humaniste et... médecin !
Il a 40 printemps, il n'a que le simple titre de bachelier en poche, après des études universitaires éclairs à Montpellier.
Aaah, Lyon au 16e siècle... comment vous dire ?
La cité est alors un centre commercial et intellectuel très puissant.
Les foires instaurées par Louis XI attirent quatre fois par an une foultitude de gens venus de Flandres, Allemagne, Suisse, Espagne…
Tissus, épices, tapisseries arrivent en masse sur les quais de la Saône.
Chez les imprimeurs
Une foultitude d’imprimeurs et de libraires, aussi, qui publient les livres des savants de tous poils et corrigent leurs épreuves.
Avant d'être nommé à l'hôpital de Lyon, Rabelais va lui-même trouver un job de correcteur d’imprimerie chez l’Allemand Sébastien Gryphe, à l’angle des rues Mercière et Thomassin.
Et c’est chez ce même Gryphe que Rabelais fait publier son premier ouvrage, les Aphorismes.
Puis, Pantagruel, sorti le 3 novembre 1532. On n'est jamais trop prudent : Rabelais, pour se prémunir de toute censure, signe l'ouvrage avec l'anagramme de son nom, Alcofribas Nasier !
Un simple bachelier
Et voilà. À l’âge de 37 ans, Rabelais entre enfin à l’Hôtel-Dieu, en novembre 1532.
Mais minute ! Vous expliqueriez cela comment, qu'un simple « bachelier » ait pu exercer la médecine à l’hôpital ?
Grâce à l’échevin et médecin Symphorien Champier, un érudit dont le fils Antoine a fait partie de la même promotion que Rabelais, à Montpellier.
Deux publications savantes ont aussi aidé à sa nomination : Les Lettres médicales de Manardi et Les Aphorismes d’Hippocrate.
Rire, guérir !
C’est donc à Lyon qu’il publie la première édition de son Pantagruel, en 1532...
Un livre-remède, un bouquin-médoc, la panacée anti morosité !
Car cette satire haute en couleurs est destinée à égayer la vie de ses malades, à les soigner par le rire, à aider la guérison en occupant l’esprit.
Rabelais estime :
« que n’y ayant rien de plus contraire à la santé que la tristesse et la mélancolie, le prudent et sage médecin ne doit pas moins travailler à réjouir l’esprit abattu des malades qu’à guérir les infirmités du corps. »
Zoom sur le grand hostel
Lits et cheminées
Le voici donc au « grand hostel Dieu de Nostre Dame de Pitié du Pont-du-Rhône », fondé (d’après la tradition) par Childebert.
Allez, venez, voilà à quoi ressemblent les lieux à l’époque où Rabelais y officie....
Dans une grande salle (80 m de long et 24 de large) divisée en deux parties par des piliers, six rangs de couches, des lits en bois de noyer, disposés de façon à ce que chaque malade puisse voir la chapelle située au fond, où se disait la messe chaque matin.
D’un côté les hommes, de l’autre les femmes, qui pouvaient se voir, mais pas se côtoyer.
Au milieu, la grande cheminée où l'on vient se chauffer : chacun son côté, selon son sexe !
Dans un autre bâtiment, on trouve une maternité et une salle spéciale pour les plus contagieux.
Plus une cuisine, une boulangerie fondée à l'époque de Rabelais, la lingerie, l’enclos pour les animaux.
Le personnel
Il se compose de : 16 « filles repenties » (anciennes prostituées ou veuves isolées), un pourvoyeur, 3 domestiques, 5 servantes, 2 nourrices, un jardinier, un portier, un apothicaire, un chirurgien-barbier, un prêtre et un médecin.
Celui-ci fait sa visite quotidienne à 6 h du matin : il rencontre chaque patient, de 150 à 220 personnes, à 2 ou 3 dans le même lit.
Le chirurgien l’accompagne pour écrire les ordonnances et les exécuter.
Malades... et maladies
Du temps où Rabelais est médecin, la statistique montre que la mortalité baisse drastiquement.
Pas facile, pourtant.
Car deux terribles maladies marquent le 16e siècle : la peste, traitée à Saint-Laurent-des-Vignes, et la syphilis traitée ici, dans une chambre spéciale.
Rabelais appelle les syphilitiques les napleux, à cause de l’origine prétendue de la maladie !
Les malades sont pour la grande majorité des pauvres gens : « n’a habillement qui vaille », disent de l'un d'eux les procès verbaux d’entrée.
Le pendu disséqué
À Lyon, Rabelais fait une dissection mémorable sur le corps d'un criminel que l'on a pendu la veille.
La foule d'étudiants et de curieux médusés est dense.
Une chose hallucinante, à l’époque, puisque les dissections de cadavres humains ne sont pas monnaie courante !
Rabelais fait dire plus tard à ce pendu :
« Étranglé par le nœud fatal, je pendais misérablement à la potence. Fortune inespérée et qu'à peine j'eusse osé demander au grand Jupiter ! Me voici l'objet des regards d'une vaste assemblée. Me voici disséqué par le plus savant des médecins qui va faire admirer dans la machine de mon corps l'ordre incomparable, la sublime beauté de la structure du corps humain. La foule regarde, attentive... Quel insigne honneur et quel excès de gloire. Et dire que j'allais être le jouet des vents la proie des corbeaux tournoyants et rapaces. Ah ! le sort peut maintenant se déchainer contre moi : je nage dans la gloire ! »
Corps et esprit sains
Rabelais n’a pas été un Ambroise Paré, je veux dire par là qu'il n’a pas révolutionné la médecine à coups d'inventions révolutionnaires.
Mais... il est considéré comme un bon médecin, qui a mis en place pour ses patients des règles d’hygiène, un régime alimentaire équilibré, des remèdes à base de plantes...
Après tout, le médecin-écrivain est l'auteur du fameux « un corps sain dans un esprit saint » !
Il a cependant redécouvert deux instruments chirurgicaux, inventés par le Grec Galien :
- le glossocomion, pour réduire les fractures du fémur ;
- le syringotome, pour soigner les hernies.
Quitter Lyon...
Rabelais quitte plusieurs fois Lyon et son poste.
En 1533, 3 mois, pour accompagner son protecteur, le cardinal du Bellay, à Rome.
En février 1535, ça sent le sapin ! Maître Rabelais, qui s'est absenté et a abandonné ledit hôpital sans avertir personne, est remplacé.
Un départ peut-être dû à la naissance d'un enfant illégitime ?
Pauvre Rabelais : Lyon n'aura pas toujours été douce. Il y reviendra en 1538, pleurer la mort de ce petit de seulement 2 ans :
« Dans ce sépulcre repose le petit Théodule, petit de corps, mais grand par son père. Lyon est sa patrie, Rabelais est son père. »
Sources
- Alain Bouchet. Les années médicales lyonnaises de Rabelais. 1990.
- Félix Martin-Doisy. Dictionnaire d'économie charitable. 1855.
- J. B. Monfalcon. Histoire monumentale de la ville de Lyon (volume 2). 1866.
- D. Saucié. Histoire de la littérature française. 1863.
- Alexis Bertrand. Le séjour de Rabelais à Lyon. 1893.
- Vital de Valous. Rabelais à Lyon. 1881.
- Théodore Pétrequin. Essai sur l'histoire de la chirurgie à Lyon. 1856.