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Quand la malaria décimait Porto-Vecchio... et une partie de la Corse

Quand : 1489 - 2006

Bastion de France | Bruno Barral / CC-BY-SA
Fortification Épidémie Citadelle de Porto-Vecchio

Aaah, Porto-Vecchio, ses jolies plages, son soleil... Oui, mais tout n'a pas toujours eu l'air d'une carte postale ! Loin de là…

Le paludisme ou malaria a longtemps empoisonné, non seulement Porto-Vecchio, mais une partie de la Corse !

Des marécages qui pullulent

Porto-Vecchio s’est littéralement fait dépeupler par la malaria, au cours de son histoire ! Une horreur…

La faute à de nombreux petits marécages qui pullulent, le long du rivage.

Ces marais voisins de Porto-Vechio rendent la cité inhabitable, une partie de l’année.

Quelques considérations médicales sur la Corse de Joseph Masnou (1846) dit :

« Les habitants n’y séjournent que depuis le mois de novembre jusqu’au mois de juin. Pendant l’été, ils se retirent dans les montagnes de l’intérieur, à 5 myriamètres des bords de la mer. »

Il ajoute que ceux qui sont obligés de séjourner à Porto-Vecchio, en été notamment, tombent vite malade « de fièvres tierces très graves », dont ils finissent par mourir.

Un mal majeur, qui empêche de tirer parti d’une terre pourtant très fertile !

Un problème corse

Le problème n'est pas que porto-vecchiais, en réalité. Il touche toute la Corse.

« Cette contrée si fertile est d'une extrême insalubrité qui tient aux marais d'eau douce ou saumâtre dont elle est infestée. Aucun des malheureux cultivateurs qui fréquentent même temporairement cette région n'échappa aux funestes effets des fièvres. »

Mérimée, en visite à Aléria vers 1840, ne trouve... qu'un « vieillard souffreteux. »

Vers 1875, l'espérance de vie « ne dépasse pas 26 ans à Aléria », 22 ans à Biguglia, 29 ans à Porto-Vecchio !

À la même époque, au pénitencier de Casabianda, la mortalité annuelle est de 280 pour 1000.

En 1906, 46 % du personnel des gares de la côte orientale de l’île meurt de la malaria.

Etang de Biguglia

Étang de Biguglia | ©Maxim Massalitin / Flickr / CC-BY-SA

1489, première mention du paludisme corse

Dans l'Antiquité, la Corse prospère est considérée comme le grenier de Rome, dixit Pline.

Mais il est probable que des fièvres palustres existaient déjà, bien que l’on manque de sources pour le savoir.

La première mention du paludisme en Corse remonterait à 1489 : une requête des habitants de Biguglia demande à ce que le Golo, dont le cours a été déplacé, soit ramené dans son ancien lit pour assainir la région, et se déverser dans l'étang de Biguglia.

Au 16e siècle, des chroniqueurs s'inquiètent de la mortalité dans les plaines corses.

Des fièvres palustres sont attestées tout le long des 17e et 18e siècles.

Une Corse ravagée par des vapeurs mortelles

En 1768, lorsque la Corse est rattachée à la France, les ministres de Louis XV se rendent compte de l’importance de l'assainissement de l'île.

Des canaux sont creusés, mais la Révolution vient tout arrêter.

Le frère du célèbre homme politique Auguste Blanqui, Adolphe, écrit en 1838 un Rapport sur l'état économique et moral de la Corse.

Il rapporte que « l'assainissement des marais est une question de vie ou de mort pour la Corse. »

Blanqui décrit une Corse… ravagée ! Une terre désertée sur toute sa côte orientale, là où l'on compte le plus de marais.

Dès le mois d'août, tous les soirs, au crépuscule,

« une vapeur épaisse et grisâtre s'élève du sein de ces marais : elle plane lourdement sur l'horizon et recèle en ses flancs le principe de ces fièvres pernicieuses qui brisent les constitutions les plus robustes, quand elles ne donnent pas la mort. »

Vous le voyez : tout au long du 19e siècle, c'est l'inaction qui règne, concernant le problème de malaria corse, malgré quelques projets, notamment lancés par les Ponts-et-Chaussées.

L'eucalyptus contre les miasmes !

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais, à ce stade de notre histoire, au milieu du 19e siècle, on ne sait toujours pas quelle est la cause de ces « fièvres des marais », qui tiennent d’ailleurs leur nom de paludisme, de palus (« marais » en latin).

Tenez ! En 1869, le docteur Carlotti publie Du mauvais air en Corse.

Il croit, comme beaucoup d’autres, que ces fièvres viennent de miasmes émanant des eaux stagnantes des marais : d'où d’ailleurs mal’aria, « mauvais air » !

Il faut donc assécher lesdits marais, notamment par la plantation à grande échelle d’eucalyptus. En effet, cet arbre peut absorber son poids en eau en 24 h !

Planté en rangées, il permet d'arrêter les miasmes poussés par le vent.

Ne vous étonnez donc pas de croiser des eucalyptus sur l’île de Beauté, comme à Ota : ils ont probablement été plantés sous Napoléon III, pour tenter d’endiguer la malaria !

Eucalyptus à Ota, Corse

Eucalyptus à Ota, Corse | ©Jean-Pol GRANDMONT / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Moustiques anophèles, quinine... et DDT américain !

On ne sait donc pas encore que c’est le moustique qui transmet la maladie !

Il faut attendre 1880 et les travaux du Dr Alphonse Laveran, qui mettent en évidence le rôle des moustiques anophèles, dans la transmission de la malaria.

En 1899, Laveran confirme la présence d'anophèles dans les régions corses touchées par la maladie.

Il préside en 1902 à la fondation de la Ligue corse contre le paludisme, à Bastia. La lutte peut commencer !

On extermine les larves avec un grand renfort de quinine, l'emploi de moustiquaires.

Une loi d'assainissement de la Corse est votée en 1911. Les premiers résultats se font sentir ! Enfin !

Dès octobre 1943, les Américains venus pour la libération du pays luttent contre les moustiques avec le DDT. Les résultats sont probants dès 1953.

En Corse, la malaria frappe jusqu’en 1973, avec un cas autochtone en 2006 !

Sources

  • Henri Pierangeli. Le paludisme en Corse et l'assainissement de la côte orientale.
  • René Santoni. La colonie horticole de Saint-Antoine : le bagne d'enfants d'Ajaccio sous le second Empire. 2008.
  • Marcel Léger. Le paludisme en Corse. 1913.
  • M.J. Jaujou. La lutte antipaludique en Corse. 1954.
  • Pierre Gazin. Laveran et l’éradication du paludisme en Corse.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !