Pourquoi appelle-t-on un bon cuisinier un cordon bleu ?

Portrait d'Abel Poisson (L. Tocqué, 1755)Portrait d'Abel Poisson (L. Tocqué, 1755) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

La collection d’objets liés à l’ordre du Saint-Esprit, exposée au musée du Louvre, est un bon moyen d’évoquer ensemble l’expression « cordon bleu » !

Vous ne voyez pas le rapport ? Suivez le guide !

À l'origine de l'expression

L’expression « cordon bleu » désigne aujourd’hui un-e cuisinier-ière émérite. Un-e top chef, quoi.

Mais connaissez-vous son origine ?

Elle nous vient d’un ordre fondé par Henri III en 1578, à Paris : le siège se trouvait dans l’ancienne église des Grands-Augustins, détruite à la Révolution.

Voilà pourquoi nous nous trouvons, pour évoquer cette expression, au musée du Louvre, qui expose ce qu’il reste de cet ordre prestigieux : le trésor comprenant objets et manteaux de cérémonie.

Manteaux de l'ordre, musée du LouvreManteaux de l'ordre, musée du Louvre | ©Tangopaso / Wikimedia Commons / CC0

L'ordre du Saint-Esprit... ou cordon bleu

Sous le signe de la Pentecôte

Saint-Esprit. C’est sous ce nom qu’Henri III crée un nouvel ordre royal de chevalerie, le 31 décembre 1578.

Deux raisons à ce choix de nom :

  • il a été élu roi de Pologne ;
  • il a succédé à son frère Charles IX un jour de Pentecôte.

Pour les chrétiens, il s’agit du jour de la descente du Saint Esprit sur les apôtres...

L’ordre compte 100 membres (87 chevaliers, 9 commandeurs et 4 grands officiers), le roi étant le grand-maître de l’ordre.

Le dauphin était reçu dès sa première communion, les princes étrangers devaient avoir 25 ans, les gentilshommes 35.

Dans tous les cas, on devait, pour faire partie de ce club très fermé, montrer au moins « trois générations de noblesse paternelle »...

Un collier et son ruban bleu

Mais alors, me direz-vous, le lien avec notre expression de chef au top, c’est quoi ?

Le grand collier de l’ordre !

Il est orné d’une croix à huit pointes ornée d’une colombe ; de l’autre côté, saint Michel terrassant le dragon.

Les chevaliers de l’ordre avaient l’habitude de porter la croix de l’ordre suspendue à un ruban de moire bleu, dit cordon bleu, porté « en sautoir de l’épaule gauche au côté droit. »

De là, le fait d’appeler un chevalier du Saint-Esprit un cordon-bleu...

On en vient au cuisinier !

Ensuite, pour désigner quelqu’un de très fort dans son domaine, on l’appelle familièrement cordon bleu,

« le cordon bleu étant une distinction toute particulière, réservée à un petit nombre parmi ceux qui occupaient un rang très élevé dans la société, on prit l’habitude de donner, par comparaison, le nom de cordon bleu aux personnes d’un mérite supérieur. »

Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française (Charles Toubin, 1886) explique que plus tard encore, cordon bleu se met à désigner, « par une extension plaisante de sens », les « cuisinières distinguées. »

Charles Rozan, dans Petites ignorances de la conversation (1856), dit :

« Cette comparaison fit si bien son chemin qu’elle alla sans encombre jusqu’à la cuisine les célébrités dans l’art de Vatel et de Carême étaient aussi des cordons bleus. […] L’ordre du Saint Esprit a été aboli à la Révolution, rétabli par la Restauration, et aboli de nouveau en 1830 ; toutes les dignités comme toutes les idées qui se rattachaient à cet Ordre ont disparu avec lui, le cordon bleu relégué dans la défroque des illustres aïeux appartient à l’histoire et il ne sert plus dans notre langage figuré à rappeler un grand mérite ou un grand nom ; il n’y a plus maintenant d’autre cordon bleu qu’une bonne cuisinière. »

Le dictionnaire d’Émile Littré (1878) ajoute que l’expression désigne « familièrement, et par une plaisanterie qui porte sur l’éminence du grade de cordon bleu et sur l’ancien tablier bleu des servantes, une très bonne cuisinière. »

Une petite histoire en plus !

L’origine de l’expression viendrait en fait plus précisément de messieurs de Souvré, d’Olonne, de Lavardin, de Mortemart et de Laval, gourmets et gourmands, qui faisaient tous partie de l'ordre du Saint-Esprit.

Leurs tables étaient tellement réputées, que l’on avait l’habitude de dire après un bon repas : « C’est un repas de cordon bleu ! »

Sources

  • Charles Rozan. Petites ignorances de la conversation. 1856.
  • Charles Monselet. Gastronomie : récits de table. 1874.