Pionnier de la chirurgie moderne et archéologue en herbe, il sauve le château de Lutzelbourg de la ruine !

De 1890 à 1915

Château de LutzelbourgChâteau de Lutzelbourg | ©Ikar.us / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Ce sauveur des ruines de Lutzelbourg, en Moselle, s'appelle Eugène Koeberlé. Voici son portrait !

Un très vieux château

Vénérable château de Lutzelbourg ! Il domine la vallée de la Zorn depuis le 11e siècle, sur son haut rocher, passé entre les mains de Pierre, le fils du comte de Montbéliard, au cours du 12e siècle.


Le nom de Lutzelbourg apparaît à cette époque : lutzel veut dire « petite cité. »


Pierre de Montbéliard, en prenant possession de sa terre, prend le nom de seigneur de Lutzelbourg.

Des ruines tirées de l'oubli

Parmi les occupants les plus célèbres, on trouve Franz von Sickingen, célèbre chef de mercenaires allemands ravageant la région, faisant du Lutzelbourg son Q.G. Ses voisins, fatigués, font raser le château, en 1525… ce qui explique son état actuel !


Le premier sauveur des ruines débarque en 1840 : le notaire mosellan Adolf Germain.


Puis vient celui qui nous intéresse : le docteur Eugène Koeberlé. Dès 1900, ce pionnier de la chirurgie moderne, fana d’histoire, travaille à préserver les ruines et entreprend d’importantes fouilles archéologiques.

Château de LutzelbourgChâteau de Lutzelbourg | ©Marc Auer / Flickr / CC-BY

Koeberlé l'ingénieux médecin alsacien

Un novateur

L'Alsacien Eugène Koeberlé (1828-1915) est un grand nom de la chirurgie moderne !


Novateur et ingénieux, il :

  • pose les règles de la chirurgie abdominale moderne (comprenant intestins et ovaires), grâce à l'asepsie, dont il est le précurseur ;
  • généralise l'emploi des pinces hémostatiques, l’une de ses célèbres inventions, encore utilisées aujourd'hui !

Il devient, à la fin de sa vie, un infatigable archéologue, restaurateur du château de Lutzelbourg, et poète à ses heures perdues !

E. Koeberlé en 1912E. Koeberlé en 1912 | ©BIU Santé Médecine

Une grande première chirurgicale française

Le 2 juin 1862, Koeberlé réalise avec succès à Strasbourg la première ovariectomie de France, sur une femme de Sélestat de 26 ans, porteuse d'un volumineux kyste à l'ovaire.


Opération jugée à haut risque, voire impossible, en France ! Mais déjà pratiquée outre Atlantique : la toute première mondiale se déroule en 1809, au Kentucky.


Oh, il y avait eu quelques rares opérations, en France, mais elles sont tombées dans l'oubli… jusqu’à l'intervention chirurgicale de Koeberlé, dont le succès éclatant dépasse les frontières de l'Alsace, et de la France !

E. Koeberlé en 1908E. Koeberlé en 1908 | ©Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Koeberlé, le père de l'asepsie

Koeberlé est le père de l'asepsie, la « propreté », selon ses propres mots. L’asepsie ? L’ensemble des mesures empêchant la contamination d’une surface par des micro-organismes étrangers, susceptibles d’entraîner une infection.


À l'époque, on croit encore que les infections opératoires surviennent à cause de miasmes dans l'air : Koeberlé pressent que de micro-organismes sur les mains et les instruments sont en cause.


Sa méthode, qui consiste en un lavage des mains et une désinfection des instruments, est pratiquée avant des interventions abdominales (avec succès), dès 1862.


5 ans avant l'antisepsie du docteur anglais Lister et les travaux de Louis Pasteur sur le sujet... considéré comme le véritable inventeur de la méthode !

L'inventeur des pinces hémostatiques

L'infection due au manque d'hygiène étant la cause principale des mortalités opératoires, l’hémorragie opératoire en est une autre !


À l'époque de Koeberlé, pour arrêter une hémorragie, pendant une opération ou en cas de blessure, on utilise un instrument archaïque muni d'anneaux, peu efficace !


Il met alors au point une « pince à cliquets », permettant de serrer (clamper) efficacement tissus et vaisseaux sanguins, afin d’interrompre les saignements : elle existe toujours, on l’appelle pince hémostatique ! Couplée à l'asepsie, qui limite les infections, la pince est un succès !

Koeberlé l’archéologue et le Lutzelbourg

Des travaux de grandes ampleurs

Une fois à la retraite, en 1880, le docteur alsacien se consacre au patrimoine, à l'archéologie et à la poésie. Il était, depuis 1890, l’heureux propriétaire des ruines de l’ancien château de Lutzelbourg.


Tous les matins, on le voit prendre le train de Strasbourg pour travailler sur les ruines, avec son sac en bandoulière, son bâton de marche : le trajet jusqu’à Lutzelbourg fait 60 km.


C’est à lui que l’on doit les travaux de restaurations des ruines du château, ainsi que la construction de la chapelle néo-romane.

Château de Lutzelbourg : la chapelleChâteau de Lutzelbourg : la chapelle | ©Ikar.us / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Une vieille idole dans les ruines !

À 80 ans, « un peu bossu par suite de [son] antique attitude lorsqu'[il] opérait jadis [ses] malades sur leur lit », Koeberlé participe activement au déblaiement des pierres des ruines de son château, devient un archéologue passionné et autodidacte, des années durant.


Il publie bientôt les résultats de ses fouilles, notamment sur la découverte d'une stèle, en 1910 : une vieille idole qu’il nomme « Parvati », du nom d'une déesse védique, trouvée enfouie dans les ruines du château. Actuellement conservée au musée archéologique de Strasbourg, elle est en fait romaine, dédiée à Minerve et Mercure !

Château de Lutzelbourg, début du 20e sChâteau de Lutzelbourg, début du 20e s | ©Limédia Galeries / Public domain

Un poète plein de sagesse

Koeberlé résume ainsi sa paisible retraite, entre archéologie, fouilles et poésie :

« À présent je vis en sage, bienfaisant autant que possible, et ne pouvant plus lire longtemps sans fatigue, je passe les jours d'hiver à faire des rimes. »

Un de ses premiers poèmes est d'ailleurs inspiré par l’idole de Lutzelbourg, Parvati...


Le bon docteur Koeberlé s’éteint à Strasbourg le 13 juin 1915, à l’âge de 87 ans. Les ruines de Lutzelbourg se tiennent encore fièrement debout, grâce à lui !

Sources

Paul BoursonUn centenaire : Eugène KoeberléIn La Vie en Alsace : revue mensuelle illustrée, 1928

Roland PichevinLe docteur Koeberle et son œuvreRevue Alsacienne, 1914